T-shirt orange vif et écouteurs vissés sur les oreilles, Thomas Wiesel se livre à travers écrans interposés. Rencontre, en ligne, avec l’humoriste romand
Le rendez-vous virtuel est fixé en tout début d’après-midi. Installé sur son canapé, Thomas Wiesel, 33 ans, apparaît sous quelques pixels. Cynique, l’humoriste a tout du clown triste lorsqu’il explique sa situation actuelle. Au chômage technique, il ironise: «Quand les théâtres ont rouvert en septembre, j’ai stoppé mes contrats avec les médias pour lesquels je travaillais et j’ai décidé de me concentrer sur la scène. Bon timing!» Ne touchant des subventions que depuis le mois d’octobre à cause de son statut de chef d’entreprise, le trentenaire se remémore la période où il pouvait se permettre de refuser des projets. «Je ne me rendais pas forcément compte de la chance que j’avais. En Suisse, on a toujours l’impression d’être à part. Les effets de la crise sanitaire m’ont permis de mettre tout ça en perspective.» L’homme raconte qu’il produit aujourd’hui des vidéos pour la RTS et anime des réunions Zoom d’entreprises. «Zoom c’est bien pour plein de choses mais pas pour l’humour. Comme les gens sont obligés de désactiver leurs micros, j’ai l’impression de faire des monologues devant des assemblées de muets», explique celui pour qui le stand-up était, au début, un coup de poker.
Changement de carrière
Diplômé d’HEC en 2011, la carrière de Thomas Wiesel débute en tant que comptable. «J’ai fait ces études par élimination. Au début, je ne pensais pas qu’humoriste était un vrai métier», s’amuse-t-il. Et d’ajouter: «J’ai surpris mon entourage quand je me suis lancé. Je n’étais pas hypercharismatique et tout le monde s’attendait à ce que je renonce après cinq mois. Aujourd’hui, ça fait dix ans que j’exerce cette profession.» L’année de l’obtention de son diplôme commercial, le Vaudois donne son premier spectacle dans sa ville natale, Lausanne. Habitué de la scène depuis, il n’en reste pas moins un angoissé en raison de sa grande timidité. L’humoriste raconte qu’il lui a fallu environ huit ans pour enfin réussir à se détacher de son texte et interagir avec le public. «Je suis quelqu’un d’introverti. La scène commence, aujourd’hui seulement, à être un lieu où je me sens bien.» Egalement très actif sur les réseaux sociaux, en particulier pendant cette période, il n’hésite pas à y donner son avis. Entre mèmes (élément ou phénomène repris et décliné en masse sur Internet) et montages Photoshop, il ironise et interprète l’actualité. Avec le mordant qui le caractérise... mais pas insensible aux retours qu’il suscite: «Quand on donne son point de vue sur les réseaux, on s’expose forcément à des commentaires. Les gens réagissent plus souvent à mon opinion qu’à mon expression artistique. Comme ils ne mettent pas de distance entre mon travail et ma personne, j’essaie, moi, de la garder. Mais puisque je ne joue pas vraiment de personnage, c’est parfois dur de ne pas prendre les critiques personnellement.»
Un humour made in Switzerland
Son talent, Thomas Wiesel l’exprime essentiellement dans nos frontières. «Je n’ai jamais ressenti le besoin de me produire à Paris. J’ai fait 95% de ma carrière en Suisse», explique le Lausannois, en ajoutant que le Théâtre de Beaulieu est la plus grande salle dans laquelle il ait joué. Et pourtant son palmarès dépasse le cadre romand. Avec sa participation à la 8e saison du Jamel Comedy Club sur Canal+, à l’émission Quotidien présentée par Yann Barthès ou encore à La Bande Originale avec Nagui sur France Inter, l’humoriste a su trouver un public francophone élargi. Mais malgré ces apparitions chez nos voisins, c’est à sa patrie qu’il a décidé d’offrir son art. En 2018, il mène, avec son homologue Blaise Bersinger et entouré d’autres humoristes romands, l’émission Mauvaise langue sur les ondes de la RTS. Il écrit également des chroniques pour plusieurs journaux comme L’illustré. Et en 2019, il joue son spectacle ça va, qui remporte un franc succès en Suisse romande... Mais aussi en France. Ses préférences en matière de lieux de spectacles? «Je n’aime pas les salles trop petites – parce que j’ai le sentiment que ça inhibe le public – ni les trop grandes. Un théâtre d’une capacité de 1000 à 2000 places me convient bien», explique celui pour qui l’égalité, l’immigration et l’écologie représentent ses thèmes de prédilection. Questionné sur sa définition de l’humour, Thomas Wiesel répond sans hésiter: «C’est un bouclier pour affronter la vie. Le mien reflète qui je suis et me permet de donner mon avis sur l’actualité.»
«Claustrophobe de l’engagement»
Au chapitre de ses loisirs, le jeune trentenaire mentionne le sport et notamment le basket. Moyen de décompression, il s’agit pour lui de la meilleure manière de libérer son esprit. «J’adore en faire mais j’en regarde surtout énormément. Je peux passer des heures à suivre des matchs en direct.» On ne s’étonne dès lors pas qu’il rêve de boire un café avec Roger Federer. «Je pense que je l’ennuierais mais j’aurais tellement de questions à lui poser!»
Interrogé sur ses plus grandes peurs, Thomas Wiesel mentionne «la lassitude et le temps qui passe». Quand bien même il se définit comme un «claustrophobe de l’engagement». «Je me limite à des projets sur le court terme. Je déteste pourtant l’idée que quelqu’un puisse arrêter de m’aimer.» Ne pas savoir ce qu’il y a après la mort inquiète également le comique: «Je ne suis pas croyant mais j’aimerais tant avoir des contes de fées à me raconter.» L’homme confie encore être très attaché à sa zone de confort. «Si j’étais un animal, je serais certainement un paresseux parce qu’il ne fait pas de mouvements inutiles. C’est aussi un excellent observateur et, moi, je passe énormément de temps à m’informer.» A la fois timide et provocant, on peine à cerner le personnage de Thomas Wiesel. Sa nature calme cache un esprit vif qui, derrière ses lunettes rondes, n’arrête pas de nous faire rire… mais aussi réfléchir sur les dérives de la société actuelle.