Journée à rallonge, heures travaillées non payées, stress énorme... Durant plusieurs mois des représentants d’Unia ont fait le tour des dépôts de DPD. S’appuyant sur des entretiens menés avec 200 employés, le syndicat dénonce des conditions de travail misérables et des dysfonctionnements dans l’entreprise de livraison de colis. Il exige l’ouverture immédiate de négociations
Journée à rallonge, heures travaillées non payées, retenues abusives, surveillance constante, stress énorme… Dans un rapport explosif présenté la semaine dernière, Unia dénonce les conditions de travail «misérables» des livreurs de DPD. «Ce que nous avons constaté dans cette entreprise est hors du commun», assure Aymen Belhadj, secrétaire syndical en charge de la branche logistique en Suisse romande.
Depuis plusieurs mois, les syndicalistes d’Unia se sont levés à l’aube pour faire la tournée des onze dépôts de DPD en Suisse. Ils ont mené plus de 200 entretiens avec des chauffeurs et des logisticiens. De nombreux témoignages rapportent des journées de 12 à 14 heures, dont les heures supplémentaires ne sont pas rémunérées. Les livreurs sont sous pression en permanence, soumis à la surveillance du scanner et du système de traçage de la société, ils doivent courir toute la journée pour livrer des paquets qui dépassent parfois les 50 kg. Ils n’ont pas le temps de s’arrêter pour prendre une pause, ils doivent se contenter de grignoter à midi un sandwich dans leur véhicule arrêté aux feux et n’ont pas accès à des toilettes. «Certains livreurs nous ont rapporté qu’ils étaient obligés d’utiliser une bouteille pour se soulager», indique Umberto Bandiera, secrétaire syndical dans la logistique, basé à Genève.
«Avec son scanner, DPD dirige ma vie»
L’un des témoignages recueillis par Unia et publié dans le rapport est particulièrement éclairant: «Tous les matins, j’arrive au dépôt de DPD à 5h30. Je commence par charger des paquets pendant deux à trois heures, puis je les livre. Je dois m’arrêter plus de 150 fois par jour. Ensuite, je dois aller chercher des paquets dans les entreprises. Je suis souvent encore au travail à 18h, complètement crevé parce que je n’ai pas pu faire de pause de toute la journée. Mon patron me paie seulement les premières huit heures et demie. Toutes les autres heures, je dois les faire gratuitement. Je travaille gratis tout l’après-midi. Via son scanner, DPD dirige ma vie. C'est une course permanente, j’en rêve même la nuit…»
En raison de ces conditions de travail, un chauffeur a raconté à Unia avoir perdu 14 kilos en une année.
12 francs par heure
D’après Unia, le salaire brut des chauffeurs se monte en moyenne entre 3600 et 3800 francs pour un temps de travail hebdomadaire de 42 à 44 heures. Or, ces horaires sont régulièrement dépassés. Durant les fêtes de fin d’année ou les confinements, ils atteignent fréquemment les 70 heures par semaine. Et seules les huit à neuf premières heures sont rémunérées. Du coup, le salaire horaire ne se situe qu’entre 12 et 15 francs l’heure. Les compensations pour le travail de nuit (avant 6h du matin) ne sont pas versées, pas plus que les indemnités pour le repas de midi. «Selon nos calculs, les chauffeurs sont privés de 6 à 12 millions de francs de salaire par an», indique Roman Künzler, responsable transport et logistique d’Unia.
Déjà spoliés d’une partie de la rémunération qui devrait leur revenir, les livreurs subissent encore des retenues salariales. «On m’a déduit plusieurs fois plus de 500 francs de salaire parce qu’un paquet avait été volé chez le client. Il avait pourtant donné à DPD la procuration de dépôt et je n’avais fait que mon travail en suivant les instructions», rapporte un chauffeur. Pendant leur période d’initiation, certains chauffeurs disent n’avoir pas reçu de salaire ou un salaire réduit. «Le chef m’a dit: tu es nouveau, tu me coûtes très cher, donc pendant que tu apprends tes tournées, tu ne recevras pas de salaire. C’est-à-dire pendant un mois au moins. Qu’est-ce que j’étais censé faire? J’avais besoin de ce job», confie un travailleur.
Comme si cela ne suffisait pas, la plupart des livreurs ne perçoivent pas leur salaire les trois premiers jours de maladie ou d’accident, ce qui est illégal. Nombreux sont ceux qui sont licenciés en cas d’absence. Certains chauffeurs racontent qu’ils ont été forcés de travailler malgré des tests positifs au Covid ou des symptômes manifestes. D’autres, dans le même cas, ont été poussés à prendre leurs vacances.
Pas de livreurs ni de camions: le système DPD
«Un esclavage contemporain», résume Aymen Belhadj. Mais DPD s’en lave les mains. Depuis son siège zurichois, le plus grand service de livraison privé de Suisse contrôle la distribution des colis sans employer un seul chauffeur ni posséder un seul camion. DPD a des relations contractuelles avec quelque 80 sous-traitants, des sociétés à responsabilité limitée qui emploient les 800 livreurs habillés de rouge et de noir que l’on voit sonner à notre porte. Quant aux logisticiens des dépôts, à l’exception des cadres, ils sont recrutés par des agences de travail temporaire. En externalisant les derniers kilomètres, cette multinationale détenue par La Poste française peut prétendre ne rien savoir des violations du droit du travail. «Bien que DPD appartienne à l’Etat français, ce groupe logistique a monté en Suisse un système sans équivalent de sous-traitants qui exploitent principalement de la main-d’œuvre migrante», indique Unia dans son volumineux rapport. «Tout est géré par un système d’exploitation central. Nous sommes d’avis qu’avec ce modèle, DPD se procure un avantage déloyal sur le marché concurrentiel des colis, car il semble conçu pour contourner les règles», souligne Roman Künzler. Selon des estimations évoquées dans le rapport d’Unia, DPD s’épargne, grâce à ce système, un tiers des frais salariaux par rapport à son principal concurrent, La Poste.
Pour Unia, le système DPD est un modèle de précarisation sociale, qui enfreint la Loi fédérale contre la concurrence déloyale. Le syndicat veut empêcher que cette «DPD-isation» ne s’impose et que des pratiques douteuses ne permettent d’obtenir des avantages concurrentiels. Il réclame l’introduction de la responsabilité solidaire dans la branche logistique et des transports, des tachygraphes numériques pour le transport des marchandises avec des véhicules de plus de 2,4 tonnes, ainsi que l’extension de la législation postale aux colis de plus de 20 kilos. Et invite la Commission fédérale de la poste, en sa qualité d’autorité de surveillance et les inspections cantonales du travail à agir.
Agression
Depuis plusieurs mois, le syndicat a tenté à plusieurs reprises de s’entretenir avec la direction de DPD. En vain. «On fait comprendre aux employés de diverses manières qu’ils ne doivent pas parler à Unia et qu’ils s’exposent à des conséquences s’ils s’engagent», affirme Aymen Belhadj. Le secrétaire syndical a lui-même subi une agression de la part d’un sous-traitant. «Il a essayé de m’écraser avec une camionnette», relate le syndicaliste visiblement toujours choqué. Si l’homme ne s’était pas écarté à la dernière seconde, les conséquences auraient pu être dramatiques.
C’est donc un dur conflit qui est engagé avec cette multinationale et ses sous-traitants, Roman Künzler en est bien conscient: «Nous appelons toutes les forces politiques et sociales à soutenir activement les chauffeurs DPD et les employés de dépôt dans leur difficile combat.»
A l’heure où nous mettions sous presse, une délégation d’Unia s’était rendue à Paris devant le siège de DPD Europe et de la société mère GeoPost. Avec le soutien des syndicats CGT et Sud, ils ont revendiqué la fin de l’exploitation des chauffeurs DPD. Nous y reviendrons dans notre prochaine édition.
Les revendications des chauffeurs
La résistance s’organise. Le personnel a créé un comité national DPD et mandaté Unia pour négocier. Un cahier de revendications a été élaboré comprenant les points principaux:
l’enregistrement du temps de travail;
le paiement des heures supplémentaires, y compris pour les dix dernières années avec un supplément de 50%;
la restitution des déductions salariales;
un salaire minimal de 4250 francs et versé treize fois;
une prime Covid à hauteur d’un demi-salaire;
l’application stricte des mesures sanitaires;
le contrôle de la sécurité des véhicules;
un nombre maximal de paquets par tournée;
l’arrêt de la surveillance par le système de traçage;
un nombre plafond de salariés des sous-traitants et de temporaires;
la responsabilité solidaire, DPD étant responsable des sous-traitants;
le respect des droits syndicaux.
«Unia lance des accusations sans preuve»
L’Evénement syndical a sollicité la réaction du CEO de DPD Suisse, Tilmann Schultze, qui n’a pas donné suite. Egalement contacté, le service de presse de la société a répondu par écrit à des questions envoyées par notre hebdomadaire. Si l’on en croit cet organe de communication, DPD ne pratique pas de concurrence déloyale, elle est d’ailleurs signataire de la Convention collective de travail (CCT) du secteur KEP & Mail. «Les dispositions et les conditions de travail convenues dans cette CCT s’appliquent tant à DPD qu’à tous les partenaires contractuels.» Ces derniers bénéficient de «modèles pour l’enregistrement des heures de travail de leurs conducteurs» fournis par la société. «Les données collectées par les scanners enregistrent le “CVˮ des colis et non les heures de travail des chauffeurs, il n'est pas possible d'attribuer les données à des chauffeurs individuels.» Lors du premier confinement et en fin d’année, les sous-traitants ont déployé «jusqu’à 60% de conducteurs supplémentaires». Des accords avec des agences d’intérim leur permettent également d’engager du personnel supplémentaire si besoin. «Nous n'avons pas connaissance de problèmes de santé des chauffeurs dus au poids élevé des colis, le poids maximal que nous transportons est de 31,5 kg.» En ce qui concerne le Covid, «les employés et les conducteurs présentant des symptômes ont été clairement invités à rester chez eux s’ils en présentaient». Quant à l’éventualité de rencontrer Unia, il n’en semble pas pour l’heure question: «Syndicom et Transfair sont nos partenaires sociaux», tandis qu’Unia «lance des accusations sans preuve», estime DPD.
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