Mercredi dernier, quelques jours avant la nouvelle mobilisation féministe, le Conseil national adoptait la réforme de l’AVS prévoyant d’augmenter l’âge de la retraite des femmes à 65 ans. Des syndicalistes et personnalités de gauche s’étaient mobilisées peu avant pour exprimer leur colère contre ce projet et proposer d’autres voies afin de résoudre les problèmes des retraites
Ce lundi 14 juin 2021 marquait les 40 ans de la votation et de l’introduction du principe d’égalité entre les femmes et les hommes dans la Constitution. C’était aussi les 30 ans de la première grève des femmes pour que cette disposition soit enfin appliquée. Le nouvel article constitutionnel pourvoit à «l'égalité de droit et de fait, en particulier dans les domaines de la famille, de la formation et du travail. L'homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale.»
Au moment de la mise sous presse de ce journal, la mobilisation féministe se déroulait partout en Suisse (nous y reviendrons dans notre prochain numéro). Une semaine plus tôt, et deux jours avant les débats sur le projet AVS 21 au Conseil national, l’Union syndicale suisse (USS) organisait une conférence de presse pour rappeler les revendications essentielles, restées lettre morte, de la Grève des femmes de 2019. Et ce, deux ans après une mobilisation de masse.
Discriminations salariales
«AVS 21 ferme les yeux sur les problèmes existants, et n’en résout aucun. Au contraire, toute la réforme est prévue sur le dos des femmes et s’avère inacceptable. Nous allons donc combattre tout relèvement de l’âge de la retraite», a expliqué Vania Alleva, présidente d’Unia. D’autant plus que la discrimination salariale persiste tout au long des carrières féminines (19% de différence, dont 8% sont inexpliqués). L’écart a même augmenté entre 2014 et 2018 (les dernières statistiques disponibles portent sur ces années). Pour exemple: les différences sont de 8% dans l’hôtellerie-restauration, de 18% dans le commerce de détail, de 22% dans l’industrie des machines et de 33% dans le secteur des assurances et du crédit. De surcroît, «plus la proportion de femmes est élevée dans une branche, plus le salaire est bas», a souligné Vania Alleva, notamment dans les secteurs du commerce de détail et de la santé. Or, comme l’a dénoncé Katharina Prelicz-Huber, présidente du SSP et conseillère nationale Verte: «Sans inégalité salariale, nous n’aurions pas de trou mais 825 millions de plus dans les caisses de l’AVS chaque année!» Des solutions pour renforcer le 1er pilier ne manquent pourtant pas: l’augmentation de la contribution de la Confédération, l’utilisation des bénéfices réalisés par la BNS ou encore la mise en place d’une taxe sur les transactions boursières. Toutefois, la majorité bourgeoise du Parlement a choisi de faire peser les économies sur le dos des femmes. «AVS 21, c’est dix milliards d’économies entre 2022 et 2031 grâce à l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes. C’est un choix politique et dogmatique», s’est insurgée Léonore Porchet, conseillère nationale Verte et vice-présidente de Travail.Suisse.
Des injustices du 2e pilier
«Les femmes investissent plus de temps dans la famille, assument plus de travail non rémunéré et constituent par conséquent moins d’épargne pour leur prévoyance vieillesse», a expliqué Patrizia Mordini, coprésidente de la Commission des femmes de l’USS, responsable de l’égalité à Syndicom. Comme l’a souligné Gabriela Medici, secrétaire centrale de l’USS en charge des assurances sociales, près d’un tiers des femmes n’ont aucune pension du 2e pilier et, pour celles qui en ont une, elle se monte à la moitié seulement de celle des hommes. «Cet écart est bien moindre dans l’AVS, qui prévoit des bonifications pour tâches éducatives ou d’assistance», précise-t-elle. Raison de plus pour ne pas fragiliser le 1er pilier. «L’AVS est la réalisation sociale du 20e siècle… mais il faut une AVS qui assure un revenu décent», a expliqué Mattea Meyer, coprésidente du PS suisse et conseillère nationale. Toutes les oratrices ont ainsi appelé à soutenir l’initiative syndicale pour une 13e rente AVS. Vania Alleva a résumé: «Il faut des rentes plus élevées et pas de relèvement de l’âge de la retraite. Le référendum contre AVS 21 s’annonce incontournable.»
Deux jours après la conférence de presse, le 9 juin, le Conseil national confirmait l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans. La réforme, malgré l’opposition de la gauche, a été adoptée par 126 voix contre 67. Restent des divergences entre les deux Chambres sur les compensations. Le Conseil des Etats en débattra cet automne.