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«Les femmes migrantes sont dans un angle mort de nos politiques»

Femme nettoyant une salle de bain.
© Thierry Porchet

Les femmes migrantes se retrouvent très souvent dans des emplois peu valorisés, dans les services ou les soins, même si leurs qualifications sont supérieures. Celles n’ayant pas de qualification sont confrontées à une grande précarité.

Les migrantes sont les grandes oubliées des politiques d’intégration. A l’isolement social et aux problèmes de garde, s’ajoute souvent celui de la reconnaissance des diplômes

Le colloque intitulé «Femmes migrantes et trajectoires professionnelles: Comment réussir l’inclusion?» a réuni début mars à Lausanne des représentants et des représentantes de plus de 80 institutions et associations actives dans les domaines de la migration et de l’insertion professionnelle.

Lors de cet événement organisé par le Bureau lausannois pour les immigrés (BLI), des femmes migrantes, personnellement touchées par les problématiques évoquées, étaient également présentes. Certaines ont eu l’occasion de faire part de leur situation personnelle aux différents intervenants. Les organisateurs ont regretté l’absence de représentants d’associations patronales et professionnelles.

«Les femmes migrantes sont dans un angle mort de nos politiques», a déploré la conseillère municipale Emilie Moeschler, en soulignant l’importance de telles journées, permettant de réfléchir à des pistes d’action pour favoriser leur inclusion. Après une intervention de Bashkim Iseni, délégué à l’intégration, Tindaro Ferraro, chef suppléant de la Division intégration du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) est entré dans le vif du sujet. Accompagné d’Alexandra Perréard, spécialiste en intégration professionnelle, Tindaro Ferraro a rappelé le rôle central des Projets d’intégration cantonaux (PIC), qui comblent des lacunes en rendant possible la mise en place des mesures d’intégration supplémentaires. Il a également mis en évidence les avancées en matière d’intégration socioprofessionnelle amorcées par la mise en œuvre de l’Agenda d’intégration suisse (AIS), entré en vigueur le 1er mai 2019.

Femmes invisibles

Philippe Wanner, professeur à l’Institut de démographie et socioéconomie de l’Université de Genève, a poursuivi avec un aperçu de la situation des femmes migrantes peu qualifiées. «Sept femmes sur dix sont arrivées en Suisse dans le but de rejoindre un membre de leur famille ou en le suivant», a constaté le démographe. On retrouve ces femmes principalement dans des professions peu valorisées des domaines des services et du care, avec, dans 13% des cas, un contrat à durée limitée, ou pas de contrat du tout pour 4% d’entre elles.

Après ce tour d’horizon sur la situation des femmes migrantes peu qualifiées, Justine Hirschy, chargée de projet à la Ville de Lausanne, a indiqué que la population étrangère de Lausanne était composée de 48,5% de femmes. «Malgré une présence à quasi-égalité sur le territoire, les femmes migrantes sont longtemps restées invisibles tant des politiques d’intégration que de la littérature sur la migration, en Suisse comme à l’international», a regretté la chercheuse associée de l’Institut des sciences sociales (ISS) de l’Université de Lausanne*.

Des difficultés à faire reconnaître leurs diplômes étrangers et leur expérience, aux moyens de garde des enfants, souvent peu adaptés aux horaires d’emplois dans le domaine du care, les obstacles rencontrés par les femmes migrantes sont multiples. La jeune chercheuse a également fait remarquer qu’à la déqualification professionnelle qu’elles subissent souvent, s’ajoutent des discriminations en tous genres, parfois d’ordre raciste.

Yvonne Riaño, professeure de géographie urbaine à l’Université de Neuchâtel, a fourni des exemples types de parcours professionnels de migrantes, notamment universitaires. Celui d’Alejandra, titulaire d’un diplôme en Business management d’une université mexicaine réputée, est emblématique: après avoir travaillé dans une entreprise internationale basée à Mexico, la jeune femme décide de s’inscrire dans une école de langues en Suisse, pour y améliorer son français. Durant ce séjour, elle rencontre son futur époux, suisse, et vient s’installer ici une année plus tard. Elle apprend rapidement l’allemand, et espère décrocher un poste équivalent à celui qu’elle occupait dans son pays. Les employeurs n’évaluent toutefois pas sa formation et son expérience, et son permis B est perçu comme trop précaire par certains. Les difficultés augmentent encore à la naissance de son premier enfant et elle ne peut travailler qu’à temps partiel. Elle commence alors à donner des cours d’espagnol dans une école de langues, avant d’être employée dans un bureau, à un poste administratif bien en deçà de ses qualifications.

Mythe à déconstruire

«Il faut, dans ce genre de cas, déconstruire le mythe selon lequel l’éducation ouvre des portes», regrette Yvonne Riaño, qui est aussi cheffe de projet au Pôle de recherche national (PRN) consacré aux études sur la migration et la mobilité. «Pour une partie importante des femmes étudiées, la migration n’est pas synonyme de progrès, puisqu’elle les sanctionne lourdement», conclut la professeure.

La table ronde par laquelle s’est achevé le colloque a notamment réuni, aux côtés d’Emilie Moeschler, la sociologue Kristela Tepelena, Andrea Léoni, responsable du projet Progredir, Tatjana Elias, conseillère en insertion, et Alexandra Perréard du SEM. Cette dernière a eu l’occasion de présenter brièvement le projet pilote AFi, un programme d’Aides financières à l’intégration professionnelle des personnes réfugiées et admises à titre provisoire. Sorte de pendant professionnel des PAI (Préapprentissage d’intégration), l’AFi vise à convaincre les employeurs, par le biais de subventions, d’engager des personnes issues de l’asile. Ces personnes ayant besoin de s’acclimater, les subventions peuvent couvrir jusqu’à 40% du salaire pendant six mois, précise la spécialiste en intégration professionnelle. Le but du projet est que les bénéficiaires trouvent un emploi entre 80% et 100%. «La plupart des femmes ne sont souvent pas disponibles à un tel pourcentage, remarque Alexandra Perréard, par conséquent, le SEM envisage de baisser ce taux jusqu’à 50%.»

Si ces mesures ne permettent pas de résoudre les problèmes d’intégration professionnelle rencontrés par les migrants et les migrantes, elles y contribueront certainement. Justine Hirschy déplore toutefois que «les mécanismes liés à l’origine expliquent mieux que ceux liés au niveau d’intégration le désavantage que rencontrent les personnes issues de la migration sur le marché de l’emploi».


* Justine Hirschy, Cahier du BLI No 10, Intégration professionnelle des femmes peu qualifiées ou déqualifiées issues de la migration à Lausanne: quels freins à l’insertion professionnelle?

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