Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Apprendre à devenir humain...

Silvia Giorgiatti et son border collie Lilou.
© Olivier Vogelsang

Complicité et affection mutuelle. Membre de l’association des Chiens du cœur, Silvia Giorgiatti fait équipe avec Lilou, son border collie qui a vocation de thérapeute.

Le cœur bien accroché à gauche, Silvia Giorgiatti a interrompu ses nombreux engagements pour se battre contre un cancer. Rayonnante malgré l’adversité

«Tant qu’il y a de la vie, il y a... de la vie»: voilà la devise de Silvia Giorgiatti, 61 ans, rencontrée au lendemain d’une nouvelle séance de chimiothérapie à Yverdon. Solaire, refusant de s’apitoyer sur son sort, cette citoyenne du monde comme elle se définit elle-même lutte depuis trois ans contre un cancer ovarien. Une maladie découverte au début de la pandémie de Covid qui l’a contrainte à quitter son travail de responsable administrative auprès de SolarXplorers, mais aussi nombre d’activités en résonance avec sa fibre sociale. Figure bien connue du monde associatif, ancienne présidente de la section yverdonnoise du PS et conseillère communale durant près de vingt ans, la jeune sexagénaire a cumulé les engagements. Avec, pour valeurs cardinales, son refus de l’injustice et la défense des personnes les plus défavorisées. «Celles qui ont moins de chance, celles qui ne bénéficient pas de reconnaissance. J’ai toujours eu le souci que chacun trouve sa place», complète Silvia Giorgiatti qui, durant ses études déjà, s’affirme sur le terrain de la militance, rejoignant la Jeunesse ouvrière chrétienne puis, plus tard, le Mouvement populaire des familles. Un positionnement découlant aussi de son histoire.

Le droit de respirer

Fille de parents italiens, la militante se remémore la dure vie de son père, bossant sur les chantiers, et le temps des baraquements. Sa maman, elle, travaille à son arrivée dans nos frontières comme fille au pair pour une famille de bijoutiers. La petite fille d’immigrés se rappelle le manque de considération à l’égard de sa famille et les réactions hostiles de ses camarades d’école. «J’étais alors la seule étrangère dans ma classe. On m’a fait comprendre que je ne me trouvais pas à ma place.» Une situation qui, sur fond des années Schwarzenbach, l’a conduite à effectuer une maturité commerciale bilingue. «Je pensais que nous ne pourrions pas rester dans une Suisse qui exportait alors beaucoup de chômage.» C’est aussi les yeux pleins de larmes que Silvia Giorgiatti raconte un voyage effectué en Argentine, afin de retrouver des cousins éloignés partis d’Italie pour des raisons économiques. «Autant de racines arrachées, de familles disloquées, de sacrifices effectués pour permettre aux générations suivantes de bénéficier de meilleures conditions de vie.» De quoi remuer cette femme à la sensibilité à fleur de peau qui, à 50 ans, entreprendra une marche en solitaire de 21 jours, traversant plusieurs cantons helvétiques pour rejoindre le village natal de son père, Piateda, en Lombardie. Un voyage qu’elle qualifie d’initiatique... Aujourd’hui, s’attriste Silvia Giorgiatti, rien n’a changé: «Les migrations se poursuivent, générées par l’absence de perspectives, la violence et la guerre. Des flux utiles pour fortifier les populations d’accueil. Pourtant, les mêmes problèmes se répètent. Les mêmes souffrances sont portées par les nouveaux arrivants. La lutte doit continuer pour que chacun ait le droit de respirer. Il nous faut apprendre à devenir humain.» Un but ou plutôt une boussole qui orientera constamment les choix de Silvia Giorgiatti.

Le clown, toujours présent

En 2013, la militante explore un nouveau domaine caritatif, participant à la fondation de l’association Fil Rouge, Sainte-Croix. Cette structure réunit des clowns hospitaliers intervenant en duo dans des services institutionnels de gériatrie et de psycho-gériatrie. Silvia Giorgiatti n’hésite pas alors à se former à l’art des pitreries. Et, munie de son nez rouge, vêtue de robes rigolotes qui ne lui vont pas et de son chapeau orné d’une fleur jaune, se lance dans l’aventure. Avec l’idée «d’alléger les peines du monde» de son public. «J’étais lasse d’agir frontalement. J’ai opté pour une voie différente et cherché à amuser des résidents confrontés à des deuils permanents entre perte d’autonomie, de santé, de fin de vie... C’était magnifique de percevoir du bonheur dans des yeux éteints.» La maladie mettra toutefois aussi un terme à cet engagement, contraignant Silvia Giorgiatti, mariée et mère de quatre enfants adultes, à consacrer son énergie à l’essentiel. «J’en dispose de beaucoup, un véritable don. Mais je dois la garder pour lutter contre le cancer et juste vivre au jour le jour. Le clown continue néanmoins à m’accompagner. Il joue sur les défauts, des points d’accès à l’humanité», souligne cette battante, qui limite désormais ses tâches extérieures à celle menée avec l’association des Chiens du cœur.

Mère poule et mulet

«Je me rends avec ma chienne Lilou dans des institutions en charge de personnes vieillissantes en situation de handicap mental. Mon border collie agit comme thérapeute», affirme Silvia Giorgiatti, formée à cette pratique, qui marche chaque jour deux heures avec sa compagne à quatre pattes. Et précise trouver aussi du sens à ce qui lui arrive. «J’ai suivi un enseignement en psycho-bio-généalogie. Selon cette dernière, la maladie résulte d’un conflit non résolu et c’est alors le corps qui s’exprime. Pour ma part, je dois apprendre à lâcher mes enfants au sens large, à faire davantage confiance aux autres, à moins m’impliquer, à ne plus tout porter. En bref, sortir du rôle de mère poule et de mulet», sourit Silvia Giorgiatti, qui assume néanmoins son hyperactivité passée. «J’ai cru dans toutes les démarches que j’ai entreprises, agi avec sincérité», revendique l’humaniste, inspirée par des personnalités comme Gandhi ou Martin Luther King. Aujourd’hui, cette optimiste de nature affronte son cancer avec un courage remarquable. Une force que Silvia Giorgiatti puise dans sa capacité à toujours rechercher de la lumière, même dans les pires moments de la vie, à y voir une opportunité. L’étoffe d’une grande dame qui, après avoir consacré toute son existence à aider les autres, livre le combat de sa vie...