Les travailleurs de la construction ont manifesté en masse samedi pour exiger de meilleures conditions de travail alors que les négociations pour le renouvellement de leur convention sont pour l’heure bloquées
Manifestation haute en couleur samedi à Zurich. Des travailleurs de la construction venus des quatre coins du pays ont défilé pour défendre leurs conditions de travail. Cette mobilisation s’inscrit dans le renouvellement de la Convention nationale (CN) du secteur de la construction, qui couvre environ 80000 salariés et expire à la fin de l’année. Les négociations entre la Société suisse des entrepreneurs (SSE), dont le siège est à Zurich, et les syndicats Unia et Syna sont pour le moment dans l’impasse. Les travailleurs revendiquent plus de protection, des journées de travail plus courtes et la fin du vol d’heures lors des déplacements (lire ci-dessous), mais les représentants des employeurs n’ont pas encore accepté d’en discuter. Eux exigent, au contraire, plus de flexibilité. Ils veulent en particulier abolir le calendrier des heures de travail, qui détermine en début d’année le planning. Les patrons seraient dorénavant libres de fixer au jour le jour les heures de travail. Au rythme de 50 heures par semaine, les 2112 heures annuelles pourraient être réalisées en dix mois seulement avec des journées de 10 heures et plus l’été.
«Pas de convention, pas de maçons»
Les quelque 15000 participants à la manifestation, selon le décompte des syndicats, ont pu dire tout le mal qu’ils pensent de cette position, dans une ambiance tout de même festive.
Une pelle mécanique ouvre la marche, toutes les régions du pays sont représentées et, si Unia forme le gros des bataillons, les membres de Syna, du Sit genevois et des syndicats chrétiens valaisans et tessinois sont aussi présents en nombre. «Pas touche à notre temps de travail et à notre santé!», peut-on lire sur la banderole d’Unia Transjurane. Tandis que dans le tronçon d’Unia Fribourg, on entend: «Pas de convention, pas de maçons! Pas de maçons, pas de maisons!» Les Genevois sont les plus bruyants, avec leurs sifflets, des sirènes et une banda brésilienne suivie par une poignée de jeunes zurichois heureux de se trémousser sur la Bahnhofstrasse. Derrière apparaît la banderole d’Unia Vaud: «Marre de bosser gratuitement! Payez nos déplacements!» Plus loin, le tronçon d’un demi-millier de Valaisans, avec plusieurs fanfares et deux marionnettes géantes, a des airs de carnaval. «Patrons, c’est foutu! Les maçons sont dans la rue!» tonne au mégaphone le secrétaire régional d’Unia Blaise Carron. La plupart des maçons forment de petits groupes de collègues ou de copains, d’autres sont accompagnés de leurs épouses et de leurs enfants. On repère un drôle d’attelage. Un homme en chaise roulante pousse une brouette devant lui. Même s’il ne peut pas marcher en raison d’une opération, Francisco, jeune retraité, a tenu à soutenir ses anciens collègues. Et la brouette montre sa qualité de travailleur du bâtiment. «Il y a quatre ans, nous manifestions déjà à Zurich et je marchais là», se souvient le Fribourgeois, tandis que des syndicalistes se relaient pour pousser sa chaise.
«On nous presse comme des citrons»
«Cinquante heures à cramer au soleil, alors que le climat est en train de se dégrader, on va tous avoir des cancers de la peau», lance Loïc, jeune étancheur et travailleur frontalier de la région genevoise. «Nous réalisons un travail très physique, alors bosser 50 heures et le samedi, on ne tiendra juste pas le coup», témoigne, de son côté, Claudio, qui trime sur La Côte. Et d’ajouter: «En tant qu’ouvrier, nous avons beaucoup de pression, le contremaître nous pousse à faire toujours plus.» Entendant cela, Ivo, contremaître de 56 ans, conteste: «La pression sur les ouvriers, ce n’est pas de notre faute, elle vient de plus haut. Lorsqu’on commence un chantier, on a parfois déjà une semaine de retard. Cela devient toujours plus difficile et, des fois, on n’arrive plus à suivre.» Le Vaudois avoue ne pas dormir certaines nuits. «Je me dis parfois qu’il vaut mieux être ouvrier que contremaître.» Antonio, lui, enchaîne les missions temporaires depuis 2017 et la fermeture de l’agence genevoise de Walo à Genève: «Si ça continue, je ne vais pas avoir le droit à la retraite anticipée. Les boîtes d’intérim poussent comme des champignons. Il faudrait supprimer le statut de temporaire, comme on a aboli celui de saisonnier. En tant que saisonnier, on avait au moins un contrat à durée déterminée et on savait à quoi s’en tenir. Là, je ne sais pas jusqu’à quand je vais pouvoir continuer à travailler, je peux perdre mon emploi du jour au lendemain si le patron n’a plus besoin de moi ou si je commets une petite erreur, comme cela vient d’arriver à l’un de mes collègues. On nous presse comme des citrons et, lorsqu’on n’a plus besoin de nous, on nous jette à la poubelle.» Son copain Francesco ajoute: «A un certain âge, si on perd son emploi, il est très difficile d’en retrouver un.»
«Si nécessaire, nous ferons grève»
Lors du rassemblement final sur l’Helvetiaplatz, Bruno Almeida, contremaître vaudois, a bien résumé les sentiments partagés par les maçons: «La pression augmente constamment et, au lieu d’améliorer les conditions de travail, les entrepreneurs nous attaquent frontalement», a dit le syndicaliste d’Unia. «Nous allons lutter pour notre Convention nationale, pour une protection en cas d’intempéries, pour moins de travail temporaire, pour que le temps de déplacement soit payé correctement et pour une augmentation salariale. Et, si nécessaire, nous ferons grève», a déclaré, pour sa part, Nico Lutz, le responsable du secteur construction d’Unia.
«Cette manifestation est un point de départ. Les patrons vont regarder ce qu’il se passe aujourd’hui et c’est en septembre et octobre que ça va bouger», explique Antonio Guerra, coprésident du comité gros-œuvre Genève et membre de la délégation de négociation. La prochaine rencontre avec la SSE est prévue le 16 septembre. Codirecteur du secteur construction d’Unia, Chris Kelley conclut: «Nous envoyons un signal de lutte très fort.»
Des revendications légitimes
Les travailleurs de la construction ont fixé leurs revendications dans le cadre d’une vaste consultation menée sur les chantiers entre le printemps et l’automne 2021 et à laquelle 17500 d’entre eux ont participé. Parmi les revendications principales figure la protection contre les intempéries. Ils exigent des critères clairs réglementant les suspensions de travaux, le report des délais en cas d’interruption et des sanctions à l’égard des contrevenants. Toujours dans l’optique de la protection de leur santé, les maçons demandent des journées de travail moins longues, une réduction du travail hebdomadaire de 40,5 à 40 heures avec des journées de maximum 8,5 heures en été, contre 9 heures aujourd’hui. Pour compenser la pression croissante qu’ils subissent, ils espèrent également obtenir une semaine de congé supplémentaire. Autre revendication phare, celle de l’indemnisation de l’intégralité des temps de déplacement, qui n’est payé aujourd’hui que s’il dépasse 30 minutes par jour. Les syndicats jugent la pratique illégale. De même, le temps pour s’habiller et pour charger le matériel doit être pris en compte. La CN exclut aussi du temps de travail la pause matinale. Les travailleurs réclament donc une pause payée d’un quart d’heure telle qu’elle existe déjà à Genève. Ils veulent encore qu’une meilleure protection soit accordée aux travailleurs âgés. Ils sont partisans d’une prolongation du délai de congé dès l’âge de 50 ans et d’indemnités de départ pour ceux qui ont consacré leur vie à travailler dur dans la construction. L’hygiène reste un problème récurrent, c’est pourquoi les maçons souhaitent plus de toilettes, une pour dix travailleurs, contre vingt aujourd’hui, et des nettoyages réguliers. Ils suggèrent que ces installations soient contrôlées par les commissions paritaires avec la possibilité de délivrer une amende de 3000 francs. Enfin, citons encore le travail temporaire que les maçons espèrent limiter à 10% de la masse salariale sous CN. JB
Témoignages
Victor - «Je travaille depuis deux ans dans la construction comme aide de chantier. Avant, j’étais dans le nettoyage, mon nouvel emploi est plus difficile, mais il me plaît bien. Je suis venu à la manifestation pour défendre les intérêts des travailleurs de la construction, il faut se battre non seulement pour défendre la Convention collective, mais aussi afin d’obtenir de meilleurs salaires.»
Lassana - «Ces dernières semaines, nous avons travaillé comme si de rien n’était alors que le thermomètre a grimpé jusqu’à 35 °C. C’est trop. A partir de 32 °C, on devrait s’arrêter. De même lorsqu’il pleut énormément comme ce fut le cas jeudi et vendredi.»
Aristides - «Ce n’est pas la première fois que je vais manifester à Zurich, j’ai participé aussi à des mobilisations à Genève, j’étais sur le pont du Mont-Blanc. Je suis prêt demain à y retourner. Si je ne vais pas moi-même défendre mes droits, qui va le faire? Le coût de la vie augmente, mais les salaires, eux, restent les mêmes. Par contre, ils veulent nous faire travailler le samedi. Alors que le travail de chantier n’est pas facile, tous les soirs, je rentre fatigué. Nous subissons le chaud, le froid, la pluie ou la poussière, c’est très différent du travail dans un bureau.»
Edivaldo - «J’ai travaillé durant 25 ans dans le bâtiment, aujourd’hui, je suis HS, victime d’une hernie discale, je suis à l’AI à 100%. Je suis venu avec mon groupe de musique brésilienne, Curuja Colorida, par solidarité avec mes anciens collègues. Je suis accompagné de mes deux enfants, je veux leur montrer les luttes qu’il faut mener pour de meilleurs salaires. Je crois qu’il est important de se mobiliser contre les patrons qui font trop d’argent sur notre dos, sans le partager correctement. Ils ont des milliards et nous juste de quoi payer le loyer et à manger.»
Propos recueillis par Jérôme Béguin
«Construction: la santé avant les délais»
En cas d’arrêt de travail en période de canicule, les entreprises ne doivent pas être sanctionnées par des pénalités de retard. C’est, en résumé, ce que demande l’interpellation «Construction: la santé avant les délais» de Pierre-Yves Maillard, conseiller national et président de l’Union syndicale suisse. Le texte déposé avec le groupe socialiste le 15 juin dernier pose une série de questions au Conseil fédéral, notamment sur les mesures prises pour protéger la sécurité et la santé des ouvriers de la construction face aux conséquences du changement climatique. Alors que les périodes caniculaires comme vécues déjà en ce mois de juin se multiplient, la Suva et les partenaires sociaux, lors de campagnes de sensibilisation, se heurtent généralement à un même argument de la part des entreprises contre l’interruption du travail: le respect des délais contractuels. Or, comme le souligne l’interpellation, la norme SIA No 118 prévoit que «si l’entrepreneur est empêché dans ses travaux par un cas de force majeure ou par d’autres obstacles imprévus qui ne lui sont pas imputables, il doit en aviser la direction des travaux (…), par écrit et sans délai.» Les délais doivent alors être prolongés en conséquence. Et pourtant, de nombreux maîtres d’ouvrage, y compris publics, continuent d’imposer à tort des pénalités en cas de retard lié aux fortes chaleurs ou aux intempéries. Pierre-Yves Maillard demande notamment au Conseil fédéral s’il envisage de rappeler aux maîtres d’ouvrage que ces pratiques mettent en danger les ouvriers de la construction, s’il compte mettre en place une campagne de prévention à leur égard ou encore s’il prévoit d’autres mesures. AA
Lors de leur conférence de branche, les échafaudeurs ont accepté une nouvelle convention collective de travail (CCT) qui comprend plusieurs avancées notables, mais des revendications subsistent.
«La proposition de la SSE est un affront aux travailleurs!»
Jeudi 07 novembre 2024
Lors d’une pause prolongée à Genève et à La Chaux-de-Fonds, des dizaines de salariés de la construction ont balayé l’augmentation moyenne de 30 francs soumise par les patrons.