Les rentes du 2e pilier diminuent, le coût de la vie augmente et le Parlement adopte une révision de la LPP qui va encore pénaliser les salariés et les futurs retraités. Le référendum est lancé. Interview de Pierre-Maillard, président de l’USS
«Payer plus, pour toucher moins?», tel est le cœur de la réforme de la Loi sur la prévoyance professionnelle (LPP 21) adoptée le 17 mars dernier par une forte majorité du Parlement, soit la quasi-totalité des élus de droite, Vert’libéraux compris. Selon l’Union syndicale suisse (USS), cette révision entraînerait des diminutions de rentes du 2e pilier pouvant atteindre 3240 francs par année ou 270 francs par mois.
La révision prévoit une baisse du taux de conversion de 6,8% à 6%. Ce taux permet de calculer la rente annuelle du 2e pilier en fonction du capital accumulé dans sa caisse de pension durant sa vie laborieuse. Cette diminution représente une baisse de près de 12% des rentes. Une compensation a été accordée par le Parlement durant quinze ans pour la «génération transitoire», mais seule la moitié des assurés en bénéficieront. Pour les autres, ce sera une baisse réelle des rentes par rapport à ce qu’ils devraient toucher avec la loi actuelle. Une perte accrue par le renchérissement, les pensions du 2e pilier n’étant pas indexées.
Alors qu’une femme sur trois n’est pas affiliée à une caisse de pension en raison d’un temps partiel ou d’un bas salaire, et que celles qui le sont ne touchent en moyenne que deux fois moins de rentes que les hommes, les mesures prises pour améliorer leur accès à la prévoyance professionnelle s’avèrent être un piège. Ainsi, la diminution du seuil d’accès et le remplacement de la déduction de coordination par la fixation du montant assuré à 80% du salaire AVS touchera tous les travailleurs à petits revenus, et les femmes en particulier. Ces personnes devront payer beaucoup plus de cotisations pour un bénéfice très modeste à l’heure de la retraite.
«La réforme de la LPP constitue une attaque frontale contre le niveau de vie des retraités actuels et futurs. Tout porte à croire que les partis bourgeois veulent sciemment produire une crise sociale», avertit Unia qui prendra une part active au référendum. Celui-ci a été lancé vendredi à Berne par une large alliance référendaire comprenant, outre Unia, l’USS, le SSP, Travail.Suisse, le Parti socialiste et les Verts.
Le point sur cette importante réforme avec Pierre-Yves Maillard, président de l’USS.
Le Parlement a accepté la réforme LPP 21 dont l’origine remonte à un compromis entre les syndicats et le patronat repris par le Conseil fédéral. Quelle est aujourd’hui la nature de la réforme et pourquoi est-il nécessaire de la combattre par référendum?
Le Conseil fédéral et la droite du Parlement estiment qu’avec un taux de conversion de 6,8% dans la partie obligatoire du 2e pilier, les prestations de rente ne seraient pas financées. Selon eux, il y aurait jusqu’à 6 milliards par année qui seraient versés en trop aux retraités. Pour y remédier, ils veulent baisser le taux de conversion, c’est-à-dire baisser les futures rentes. Ce discours est tenu depuis vingt ans. Pendant cette période, le capital des caisses de pension a pourtant plus que doublé, passant de 500 milliards de francs à plus de 1000 milliards, alors que les taux de conversion dans la partie sur-obligatoire se sont effondrés, entraînant une baisse des nouvelles rentes de 20%, à capital égal, par rapport à 2008.
Cette baisse du taux de conversion obligatoire nous a toujours paru erronée, mais nous avons négocié avec les patrons un compromis qui introduisait une dose de solidarité dans le 2e pilier. Cela améliorait les rentes, en particulier celles des bas salaires et des femmes. Ce compromis était équilibré et acceptable pour nous. Il a été repris par le Conseil fédéral.
La droite du Parlement l’a détruit en éliminant sa composante de répartition et de solidarité. Nous nous retrouvons maintenant avec une baisse des rentes et une augmentation des cotisations. C’est inacceptable.
Quelle solution avait été trouvée?
Avec l’Union patronale, nous avons élaboré un mécanisme qui compensait la baisse du taux de conversion et améliorait immédiatement les petites rentes. Une cotisation de 0,5% de la masse salariale, jusqu’à 860000 francs de salaire annuel, amenait les ressources nécessaires pour des compléments de rente pour tous les assurés dès les premières générations. Grâce à cette contribution qui touchait les hauts salaires, nous pouvions verser 200 francs par retraité pendant les sept premières générations après l’entrée en vigueur de la révision, puis un montant dégressif pour les suivantes, jusqu’à un seuil garanti d’environ 100 francs. Cela permettait d’éviter une baisse des rentes. Et surcompensait la diminution du taux de conversion pour les bas revenus.
En outre, nous divisions de moitié la déduction de coordination. Cela augmentait de manière supportable le salaire assuré et permettait aussi d’assujettir à la LPP plus de personnes à des coûts supportables.
Pourquoi le compromis n’a pas pu s’imposer?
Le compromis a été attaqué en son cœur: le mécanisme de répartition de 0,5% a été combattu par les Radicaux, le Centre, les Vert’libéraux, l’UDC. Solliciter un tout petit peu plus les riches, c’est exclu pour eux. C’est aussi simple que cela. Ils n’ont pas voulu introduire un peu de solidarité, dans un monde où le coût de la vie augmente et où les revenus ne suivent pas pour les personnes à revenu modeste et la classe moyenne. Leur principe est: tout le monde paie, sauf les riches!
Pour éviter une chute drastique des rentes, ils ont décidé une baisse drastique de la déduction de coordination qui passe à 20% du salaire assuré. Cela va conduire à des hausses brutales de cotisations pour les salariés les plus mal rémunérés avec des baisses de salaire net pouvant aller au-delà de 6%. Au total, cela représente 2,1 milliards de cotisations supplémentaires, payées par les salariés et les employeurs.
On peut montrer les effets cumulés de cette hausse des cotisations couplée à une baisse du taux de conversion avec un exemple concret: une femme de 50 ans, qui gagne 4500 francs par mois, paiera 147 francs de cotisation mensuelle en plus et recevra 8 francs de moins à la retraite. Pour les personnes ayant un salaire inférieur, on pourrait obtenir une meilleure rente, mais avec hausse brutale de cotisation. Le problème, c’est que ce seront des rentes dérisoires, qui n’auront aucun effet sur le revenu à la retraite pour beaucoup de ces personnes, car elles devront de toute façon solliciter les prestations complémentaires.
Tous les partis de droite, ainsi qu’Economiesuisse et l’Union patronale, ont salué l’adoption de la réforme. Pour eux, il s’agit d’une «modernisation favorable aux jeunes, aux femmes, aux travailleurs à temps partiel et à la classe moyenne». Qu’en est-il?
Certainement pas à la classe moyenne qui est complètement perdante. Pour les bas revenus, notamment les femmes et les jeunes, la seule certitude c’est que le salaire net va massivement baisser à un moment où ils ont le plus besoin de cet argent, dans un contexte de forte inflation, et alors que les garanties de rentes restent hypothétiques et modestes.
On voit dans cette histoire la limite de la capitalisation individuelle pour créer un système de retraite. Elle ne peut pas garantir un minimum vital pour tous. Le seul moyen pour tenir compte de la situation des femmes souvent contraintes de diminuer leur temps de travail pour les tâches éducatives, aurait été de créer un bonus éducatif, comme dans l’AVS. Or, cette proposition a été rejetée, même par les prétendues féministes des Vert’libéraux!
En refusant d’introduire une part de solidarité dans le 2e pilier, la droite veut préserver les marges de l’industrie financière qui fait d’énormes profits sur nos retraites, avec les 10% de «legal quote», le bénéfice légal sur le chiffre d’affaires, et les 7 milliards de frais de gestion! La droite cherche aussi à fragiliser les prestations du 2e pilier pour que les gens acquièrent un 3e pilier, encore plus lucratif.
Dans ce contexte, ne faudrait-il pas un changement en profondeur de la prévoyance vieillesse? Un projet a été déposé au Parlement demandant de basculer les fonds du 2e pilier vers une nouvelle AVS «solidaire, sûre et respectueuse de l’environnement»?
Pour l’heure, il y a deux projets à l’ordre du jour: notre initiative pour une 13e rente AVS qui donne droit en moyenne à 1800 francs supplémentaires par année, et une révision de la LPP qui baisse les rentes et coûtera 2,1 milliards. Cet argent, où faut-il le mettre? Nous disons qu’il est mieux investi dans l’AVS. Ce n’est certes pas une révolution, mais une réorientation. Nous voulons renforcer l’AVS et stopper la baisse des rentes du 2e pilier. Dans l’AVS, 90% de la population touche plus que ce qu’elle a cotisé.
Nous aurons à voter sur ces questions en principe en mars 2024. Il y aura peut-être aussi l’initiative des jeunes PLR sur la retraite à 66 ans et l’initiative socialiste sur la limitation des primes maladie. Ce sera un superdimanche de votation!
Lors de la campagne, les partis de droite vont prétendre que vous exagérez avec la baisse des rentes, que seuls 15% des salariés n’ont droit qu’aux prestations obligatoires de la LPP et que vous alarmez la population pour rien…
Si cette réforme ne concerne qu’un petit nombre de personnes, et que cela n’a pas d’impact sur la réalité, pourquoi la font-ils? La baisse du taux de conversion est censée faire cesser le transfert indu des actifs vers les retraités, que les partis bourgeois estiment eux-mêmes à plusieurs milliards. Cela montre bien que cette baisse du taux de conversion aura des effets massifs sur les rentes. Il faut savoir que la moitié des capitaux des caisses de pension provient de la partie obligatoire de la LPP. Tout le monde est concerné par cette réforme.
Comment qualifier l’attitude de l’Union patronale qui accepte une réforme qui n’a plus rien à voir avec le compromis des partenaires sociaux?
C’est extraordinaire. L’Union patronale avait accepté le compromis, l’Union suisse des arts et métiers (Usam) l’avait refusé. Et maintenant, la plupart des membres de l’Usam sont contre la version concoctée par la droite, par exemple GastroSuisse, les paysans, les petits entrepreneurs qui devront encaisser le choc de la hausse des charges sociales. Mais ils risquent de devoir se mettre au garde-à-vous ordonné par les milieux de la finance. Dans ce cas, ces patrons ne seront jamais crédibles quand ils nous diront qu’ils ne peuvent pas indexer les salaires! Ils s’aligneraient pour l’argument qu’a donné le journal de la secte néolibérale: en cas d’échec de la révision de la LPP, c’est l’AVS qui va se renforcer. L’AVS, pour eux, c’est le diable!
«Les règles de la décence commune sont en train de passer par-dessus bord!»
La réforme LPP 21 a été adoptée le 17 mars, deux jours avant l’annonce du rachat de Credit Suisse par UBS et juste après que les premiers 50 milliards de francs ont été alloués par la Banque nationale suisse. Quelle est votre réflexion par rapport à ça?
Les néolibéraux et les détenteurs de capitaux ne se remettent jamais en question, même face à l’évidence du désastre. Cette politique-là est en train de perdre la moindre notion de décence commune, que chacun reçoit durant son enfance, basée sur quelques règles d’équilibre, d’équité. Ces règles sont en train de passer par-dessus bord!
Il s’agit de 259 milliards d’argent public misés pour sauver une banque, et cela hors toute procédure démocratique, en tordant un article constitutionnel. Pendant la même session, ces défenseurs de la finance ont refusé le rattrapage, partiel, de l’indexation au coût de la vie pour les retraités, d’un montant de 10 à 12 francs par ménage…
Si on perd seulement 10% de ce qui a été misé sur Credit Suisse, on aura bousillé l’équivalent de plus de la moitié du fonds AVS. Et on nous explique que 100 ou 200 millions de plus pour l’indexation des rentes AVS ce n’est pas possible! Pas plus tard que mercredi passé, Mme Keller-Sutter, notre ministre des Finances, a annoncé qu’elle veut s’attaquer aux rentes de veuves. Il y a de quoi se révolter.
Les gens sont en colère. Il faut faire quelque chose d’efficace de cette colère. Signer le référendum et se mobiliser. Il reste dix mois devant nous jusqu’à la votation de mars 2024 pour que la révision de la LPP soit refusée et la 13e rente acceptée. Cela provoquera un électrochoc salutaire pour cette droite qui doit retrouver la raison, le sens de l’équilibre et de la décence commune.
Le projet de loi français qui prévoyait de revoir les indemnités de chômage des frontaliers à la baisse a été partiellement abandonné. Aux côtés de la CGT, les syndicats des pays voisins, dont Unia, s’en réjouissent et restent mobilisés.
Le projet de loi français qui prévoyait de revoir les indemnités de chômage des frontaliers à la baisse a été partiellement abandonné. Aux côtés de la CGT, les syndicats des pays voisins, dont Unia, s’en réjouissent et restent mobilisés.
«Une mesure discriminatoire à l’encontre des frontaliers»
Jeudi 21 novembre 2024
Les partenaires sociaux français ont validé un projet d’accord sur l’assurance-chômage qui pénaliserait les frontaliers. Le Groupement transfrontalier européen est prêt à aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.
Après leur victoire dans les urnes, les syndicats veulent de meilleures rentes et un contrôle accru des caisses. Mais dans l’immédiat, la priorité, c’est le financement de la 13e rente AVS.