30000 personnes battent le pavé à Genève
De nombreuses femmes se sont mobilisées dans leur secteur ou leur quartier, pour ensuite se réunir et former une seule et même vague violette au cœur de la Cité de Calvin
Au bout du Léman, des dizaines d’actions ont été organisées aux quatre coins de la ville tout au long de la journée du 14 juin. Le cœur de la mobilisation se situait sur la plaine de Plainpalais, où les femmes ont échangé, chanté, dansé et crié leur colère. Un moment festif sur fond de gravité. Comme l’a dit Aude Spang, secrétaire à l’égalité d’Unia, sur cette scène genevoise: «Le 14 juin, on se célèbre, mais surtout, on lutte!» Récit de cette journée.
L’heure de l’égalité
L’Evénement syndical s’est d’abord rendu à Plan-les-Ouates, au cœur des entreprises horlogères, où Unia organisait un pique-nique. Une vingtaine de militantes s’y sont retrouvées le temps de leur pause de midi, arborant le rose ou le violet (lire ci-dessous). Alors que la convention collective est en renégociation, la branche doit faire face à l’explosion du travail temporaire et à de forts écarts de salaire, avec une volonté patronale de flexibiliser les horaires de travail. Plusieurs revendications féministes sont à l’ordre du jour, dont la lutte contre le harcèlement, un meilleur accès aux fonctions dirigeantes et la création d’un congé parental propre au secteur.
Nettoyeuses en colère
A 13h33, c’était au tour des nettoyeuses de croiser les bras, sous les fenêtres de la Fédération des entreprises romandes (lire ci-dessous). Une quinzaine d’entre elles ont mené une action visant à dénoncer des salaires et des rentes indignes pour un métier pénible et peu reconnu, mais aussi du temps partiel contraint et la non-reconnaissance de leur ancienneté. Majoritairement féminin, le secteur comprend quand même des hommes, assignés plutôt au nettoyage de fin de chantiers, mieux payé et plus valorisé. Une discrimination dont elles ne veulent plus!
«Nous exigeons des hausses de salaire, la baisse du temps de travail, deux jours de congé par semaine, davantage que quatre semaines de vacances et un délai de congé allongé pour les personnes de plus de 50 ans, a appelé la secrétaire syndicale Camila Aros. Après deux séances de négociations, les patrons ne veulent discuter que des salaires et refusent d’entrer en matière sur l’ancienneté. Nous allons nous battre jusqu’à obtenir une réelle amélioration des conditions de travail!»
Les syndicalistes d’Unia et du Sit ont ensuite pris la direction des Pâquis afin de rendre visite à cinq grands hôtels épinglés pour des cas de violations des conditions de travail ou de discriminations. Des cadeaux symboliques, tels que des chèques en blanc, leur ont été remis.
Paroles de travailleuses
Direction enfin Plainpalais, où la scène a accueilli des femmes et des revendications de tous les horizons, a vibré au son des tambours et s’est unie derrière l’hymne Patriarcat au feu!. Juste avant le départ de la manifestation, des travailleuses ont pris la parole. Une éducatrice en accueil préscolaire a dénoncé le manque de milliers de places et donc le sacrifice des mères qui renoncent à leur carrière pour rester à la maison et élever les enfants, mais aussi une charge de travail qui s’est intensifiée sans aucune réévaluation de salaire. Même son de cloche dans le parascolaire, où «plus rien ne tourne sans nous, nous sommes essentielles au fonctionnement de la société», a scandé l’une d’elles.
Une travailleuse domestique a rappelé leur caractère indispensable dans la vie de tous les jours. «Beaucoup se taisent par peur d’être expulsées. On demande le respect de nos droits, mais aussi des sanctions lourdes pour les employeurs frauduleux.» Exploiter ces travailleuses, c’est de la traite humaine, a-t-elle souligné, avant de réclamer: «Un travail, un permis de séjour!»
Enfin, une infirmière a expliqué que le rythme de travail s’était intensifié ces dernières années. «On nous demande de faire plus avec moins de moyens, alors que les salaires n’ont pas bougé depuis onze ans!»
Une vague violette de 30000 personnes fières, fortes et en colère s’est ensuite élancée à travers la ville et s’est terminée à son point de départ, laissant place à une soirée festive.
TÉMOIGNAGES
Employées d’une grande entreprise horlogère
«Il faut en finir avec ce système archaïque patriarcal et faire bouger les choses! Les horlogères, nous gagnons toujours plus de 20% de moins que les hommes. C’est soit on nous met à égalité, soit c’est à eux de baisser leur salaire de 20%, et là ça fera réfléchir!
On veut aussi dénoncer le fait que les femmes enceintes n’ont pas droit à la prime, sous prétexte qu’elles sont en congé maternité ou maladie et donc moins performantes, c’est inadmissible!»
Employées et délégués syndicaux chez Piaget
«Nous sommes présents pour défendre l’égalité des salaires et l’égalité entre les hommes et les femmes d’une manière générale. Les inégalités de salaire inexpliquées existent, c’est une réalité: on parle de quelques centaines de francs par mois, mais ça peut aller jusqu’à 1000 francs de plus pour un homme! Dans nos entreprises, il est rare de voir une femme diriger un atelier et, quand c’est le cas, on trouve toujours le moyen de la remplacer par un homme! La mentalité est assez machiste.
Il y a une dizaine d’années, nous avons vécu des problèmes de harcèlement moral et sexuel, mais nous avons réussi à faire changer la direction de l’entreprise et, depuis, ils sont très attentifs à ces questions.»
Mariama*, nettoyeuse depuis 2010
«Il faut défendre nos droits: on veut de meilleurs salaires, des retraites dignes et de meilleures conditions de travail. Je travaille quatre heures par jour en horaire coupé, tôt le matin et en fin de journée: du coup, ce n’est pas du tout pratique avec mes enfants. Je suis membre chez Unia depuis trois ans. Le syndicat me soutient et m’aide, et j’en suis très satisfaite. C’est grâce au syndicat qu’on a obtenu des hausses des salaires minimums.»
* Prénom d’emprunt
Aurora, nettoyeuse, 50 ans
«Je ne gagne pas assez, et aujourd’hui, j’exige un salaire plus digne. J’aimerais pouvoir prendre cinq semaines de vacances à mon âge, mais pour cela, il faut avoir onze ans d’ancienneté dans notre entreprise et les femmes sont toujours licenciées avant! J’espère que cette mobilisation aura entraîné une prise de conscience et que nos revendications seront entendues.»
Photos Eric Roset