A Valeyres-sous-Montagny, Gwenaëlle Rodieux-Cattin développe une autre relation aux équidés et au vivant, empreinte de respect
Elle ne chuchote pas aux oreilles des chevaux. Elle vibre avec eux. «Je communique avec leur langage: une forme de vibration et de résonance, corporelle, non verbale, méditative.» Les mots manquent, justement, pour dire le lien profond que Gwenaëlle Rodieux-Cattin a développé avec le monde des équidés.
Enfant déjà, pas loin de son domicile, elle se rendait régulièrement dans le parc animalier de Bercher, dans le canton de Vaud. «Un des chevaux avait beaucoup de caractère, était même un peu dangereux par moments, mais il m’a ouvert les portes du ressenti. J’ai passé des moments formidables avec lui. Je pouvais me balader des heures avec lui, avec une simple cordelette, quasi sans contrôle», se souvient la quarantenaire assise à deux pas de son écurie, le Domaine des Takhi à Valeyres-sous-Montagny (près d’Yverdon), qui compte actuellement 18 chevaux.
«Je suis arrivée sur cette terre passionnée par le vivant et curieuse de m’ouvrir à une palette de manières de vivre…» résume cette hypersensible, autodidacte. A 15 ans déjà, mue par sa soif de découvertes, elle ouvre ses horizons en partant au Canada avide «d’autres cultures, d'autres réalités, d'autres façons de vivre». A son retour en Europe, elle rencontre un spécialiste des chevaux sauvages et des méthodes d’équitation cheyennes, Patrizio Allori, dont les grands-parents étaient Amérindiens. «Il m’a beaucoup appris en partageant sa vision sacrée du cheval. Avec lui, les rituels étaient très importants. C’était loin de ma culture, mais passionnant et si respectueux.»
Nomade
Après cette formation de terrain, Gwenaëlle part travailler et observer les chevaux semi-sauvages – «réensauvagés» – dans le Haut-Bugey, le Jura, les Cévennes, la Drôme et la Camargue. C’est dans cette dernière région qu’elle travaille dans le tourisme comme guide dans une écurie. «L’expérience était difficile, confrontante, mais enrichissante.» C’est de là qu’elle ramène son premier cheval: Cisco. «Le début d’une extraordinaire expérience. Il a perdu peu à peu la vue, ce qui est très compliqué pour “l’animal de fuite” qu’est le cheval. Pourtant, il est devenu le meneur du troupeau. Il était très sécurisant pour les chevaux stressés. Il regardait avec les pieds.» Les yeux de Gwenaëlle Rodieux-Cattin pétillent lorsqu’elle parle de feu Cisco, et de chaque cheval qu’elle accompagne après l’avoir sauvé de la boucherie, parce que trop agressif, malade ou vieux.
Elle raconte la Mongolie aussi, où elle a partagé, pendant plusieurs semaines, le quotidien de nomades. «Leurs liens avec les chevaux sauvages de Przewalski sont extraordinaires. Dans ce milieu de vie difficile, aux conditions climatiques dures, le cheval doit rester cheval, ne pas perdre ses instincts. Mais dès que l’homme lui met l’urga, le lasso, autour de l’encolure, pour transporter du matériel ou pour aller à la rencontre de son troupeau de moutons, de chèvres ou de yaks, le cheval se connecte à lui. Ici, nous sommes dans un contrôle permanent. Là-bas, j’ai appris le lâcher-prise.»
Nomade, elle l’a été à sa façon, déménageant souvent dans le canton de Vaud avec toute une caravane: sa fille, son chien, ses chats, ses chevaux de plus en plus nombreux réunis dans l’écurie baptisée alors l’Enfant Takhi («cheval» en mongol). Gwenaëlle propose très tôt des ateliers et des stages équestres, pour enfants et adultes, le respect de l’animal au cœur de sa démarche.
Réensauvagement
Il y a une dizaine d’années, la jeune femme rencontre l’agriculteur bio Fabrice Rodieux, et s’installe à Valeyres-sous-Montagny. Depuis, deux enfants sont nés de leur union. Et elle a pris goût à la sédentarité. «J’aime pouvoir suivre le fil des saisons, observer le blaireau, le renard, les chevreuils, voir l’évolution du terrain, l’impact des chevaux sur lui et sur la flore. Fabrice m’a beaucoup appris sur la vie du sol, cet équilibre qui s’ancre en profondeur. Nous essayons de faire que les chevaux évoluent avec leur environnement en leur permettant, comme dans la nature, de maintenir des zones ouvertes sur des terrains riches en haies, bocages, forêts... favorisant ainsi la biodiversité. C'est notre mini réserve!»
Elle évoque un voyage au jour le jour, une aventure permanente, celle de cultures, celle des humains, des animaux et des plantes, du climat qui change. «Nous sommes très actifs, mais je n’ai pas l’impression de travailler. C’est une qualité de vie extraordinaire dans un lieu de sérénité que nous partageons avec nos enfants au quotidien.» Alors que les semailles et les moissons coïncident avec les vacances scolaires, puisque les petites mains étaient requises en ces temps pas si anciens, la famille Rodieux-Cattin a choisi de faire l’école à la maison pour la liberté d’organisation inhérente à cette forme d’éducation.
Plus largement, la passionnée du vivant questionne la domestication, et les méthodes éthologiques qui conditionnent à coup de récompenses. «L’homme a sélectionné les animaux en fonction de leur docilité. Dans certains parcs de chevaux, ces derniers attendent leur nourriture et s’ennuient. Les chevaux sont sursélectionnés pour la compétition. Si on les relâche, ils n’ont aucune chance de survie, au contraire d’un cheval plus rustique qui reste proche de son instinct, connaît les plantes qui lui font du bien. D’ailleurs, je trouve la communication plus facile avec des chevaux semi-sauvages, comme ceux que j’ai pu côtoyer dans la Drôme ou en Camargue.» Confiante en la nature, Gwenaëlle Rodieux-Cattin prône le réensauvagement et le laisser-être. Celle qui ne cesse d’apprendre pourrait parler des heures des relations qui se tissent, de cette faculté des chevaux à ancrer l’être humain, à le faire ressentir le moment présent, de la nécessité de se reconnecter à soi-même avant d’aller à sa rencontre. Mais il est temps pour la photo, avec le cheval qui voudra bien y figurer…