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Le stress au travail, un mal inavoué

Ainsi, la majorité de droite du Conseil national ne veut pas entendre parler de stress au travail. Fin mai, la Chambre basse a refusé, par 127 voix contre 65, de donner suite à l’initiative parlementaire socialiste «Pour une meilleure reconnaissance des maladies liées au stress comme maladies professionnelles». L’un des arguments de ses détracteurs, c’est qu’il serait difficile de distinguer les causes liées au travail de celles liées à l'environnement privé. Mais n’est-ce pas le cas avec la plupart des maux? Si on a mal au dos, est-ce parce qu’on a un mauvais matelas à la maison ou parce qu’on passe sa journée assis sur une chaise de bureau? A part pour quelques pathologies bien spécifiques, comme celles provoquées par la manipulation de produits toxiques, la distinction n’est jamais vraiment aisée. Pour autant, on ne voit pas en vertu de quoi le bénéfice du doute doit forcément profiter aux employeurs, qui sont ainsi exonérés de toute responsabilité financière. 

D’ailleurs, la frontière entre vie privée et travail est de plus en plus poreuse. Avec les nouvelles technologies, il faut être connecté et joignable en permanence. Avant l’ère du téléphone portable, il fallait vraiment qu’il y ait un tremblement de terre pour que votre chef vous appelle à la maison. Et avant Internet, il lui était impossible de vous envoyer un e-mail en exigeant que vous répondiez dans l’heure. Cette porosité s’est encore accrue avec la généralisation du télétravail depuis la pandémie de Covid. Les journées de travail s’allongent et empiètent allègrement sur la sphère privée, comme quand vous envoyez encore vite un courriel tout en essayant de faire manger sa soupe au petit dernier. Dans ces conditions, pas étonnant que de plus en plus de gens se sentent stressés par le travail, comme le montrent les résultats de l’enquête sur la santé de l’Office fédéral de la statistique, publiés quelques jours avant le vote au Parlement.

Près d’un quart des salariés (23%) se sentent stressés la plupart du temps ou en permanence. Cette proportion était plus faible il y a dix ans (18%). Et selon le député socialiste Christian Dandrès, on est sans doute en-dessous de la réalité puisque l'enquête de l'OFS ne prend pas en compte les frontaliers, les travailleurs détachés et les sans-papiers, très présents dans des secteurs particulièrement concernés par cette problématique, comme la construction, la restauration, le nettoyage ou les soins à la personne. On peut même se demander si, parmi la population résidente, tout le monde répond honnêtement à la question, tant la sacro-sainte valeur du travail est ancrée dans nos mentalités helvétiques. Quel autre peuple, si on lui en avait laissé le choix, aurait refusé en votation une semaine de vacances supplémentaire, comme le firent les Suisses en 2012? Que ce soit la honte face à la pression sociale ou la peur de figurer sur la liste du prochain plan social, on n’ose pas avouer qu’on n’est pas épanoui au travail. Même si on a parfois plus envie de relire Le droit à la paresse de Paul Lafargue – le gendre de Karl Marx – que d’aller manifester pour le droit au travail, et qu’on pense que le premier mériterait, tout comme le second, d'être inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. Contrairement à ce que dit l’adage, le travail n’est pas toujours bon pour la santé.