«Les forêts du monde entier sont sœurs»
Le film d’Orane Burri est né d’une carte blanche donnée par le Jardin botanique de Neuchâtel. Une initiative lancée par Blaise Mulhauser, directeur de l’institution. Entretien.
Quelle est la source de ce projet?
Pendant la période Covid, nous avons eu la volonté d’aider de jeunes artistes indépendants afin d’enrichir la réflexion autour de notre exposition à venir intitulée «Business Plantes» qui lie nature et économie. Nous voulions sortir de nos murs, ou plutôt de notre parc, puisque l’exposition est en plein air. Notre choix s’est porté sur Orane Burri qui a eu carte blanche, même si nous avons été en étroite relation tout au long du processus. Finalement, le film et l’exposition sont complémentaires car, de notre côté, nous parlons peu de la forêt hormis sous l’angle de la traçabilité du bois, sujet qui n’est pas traité dans le documentaire.
Quel regard portez-vous sur le documentaire?
Une chose essentielle pour moi était que l’on ne donne pas la parole qu’aux ingénieurs forestiers, car la forêt est visitée par tout le monde. Dans le documentaire, la diversité et la richesse des intervenants est extraordinaire. Orane Burri a su aussi distiller le souffle de la forêt pour laisser vivre l’imaginaire. Alors qu’elle n’a filmé quasi seulement à Neuchâtel, hormis une incursion à Genève, elle arrive parfaitement à illustrer que les forêts du monde entier sont sœurs et que toutes méritent d’être gérées de manière aussi durable que dans notre pays.
Quel est le message de votre exposition Business Plante?
Dans ce lieu de promenade qu’est le jardin botanique, nous avons cherché à titiller la curiosité du public sur une thématique ingrate. En bons chefs d’entreprise, nous avons donc créer un business plan pour la nature en 18 postes. Comme le sous-titre de l’exposition «la vraie nature de l’économie» l’indique, nous rappelons l’éthymologie du mot: «oïkos» et «nomos» signifient «savoir gérer son environnement». Le développement durable est donc le fondement même de l’économie. Soit savoir dépenser la juste énergie pour vivre. Ecologie et économie sont donc fortement liées. Rien à voir avec l’idée que l’on se fait d’une économie de libre-marché, non seulement source de profits, mais également débauche d’énergie et de gaspillage.
Pour prendre un exemple, la forêt de Ballens dans le canton de Vaud risque d’être rasée pour en faire une gravière. Comment trouver la juste balance entre le besoin en béton pour la construction et la sauvegarde d’un écosystème? Et comment utiliser le bois pour la construction sans décimer les forêts?
Depuis le 18e siècle déjà, suite à la surexploitation du bois par les industries naissantes, on s’est rendu compte que sans arbres les sols ne tenaient plus. Il s’agissait donc de protéger les forêts pour protéger les villages des risques d’éboulement. Dans le canton de Neuchâtel, on a commencé à développer une sylviculture proche du fonctionnement de la nature pour maintenir l’équilibre naturel de la forêt. La loi forestière le dit depuis 1876: les forestiers n’ont le droit de prendre que ce que la forêt a produit pendant l’année. C’est le principe du rendement soutenu. Or aujourd’hui on a besoin d’un environnement sain. Stocker le carbone dans le sol, mais également réguler le climat, ne seront possibles que si des arbres couvrent le terrain. Donc, aujourd’hui, entre créer une gravière et protéger une forêt, le besoin écosystémique majeur est, à mon avis, clairement de sauvegarder cette dernière.
Business Plantes – la vraie nature de l’économie, réalisée par Elodie Gaille, conservatrice en ethnobotanique, et Blaise Mulhauser, directeur de l’Institution, dans le parc du Jardin botanique de Neuchâtel jusqu’au 30 novembre 2025.