Ce dimanche 22 septembre, les cantons de Berne et du Jura votent sur le transfert de la cité prévôtoise. Les bas revenus peuvent-ils compter sur une adaptation des salaires une fois leur ville devenue jurassienne?
Le passage de la ville de Moutier du canton de Berne dans celui du Jura en 2026 entraîne de fait un changement de régime. Et supposément une adaptation des bas salaires à Moutier. En particulier dans des branches telles que le commerce de détail, la coiffure ou la restauration, des secteurs d’activité où les fiches de paie sont parfois indécentes dans les cantons où le salaire minimum n’a pas encore cours. Si le Jura a adopté après votation populaire le principe d’un revenu minimum dès 2013 déjà, ce n’est de loin pas le cas de celui de Berne. Penchant à droite, son gouvernement avait estimé voici cinq ans «peu judicieux» de l’introduire à l’échelle cantonale. A fortiori de l’ancrer dans une loi. Pire, il avait projeté que les travailleurs et les travailleuses peu qualifiés des secteurs à bas revenus s’exposeraient même au risque de «voir leurs emplois disparaître à la suite de l’introduction d’un salaire minimum». En réponse à une intervention parlementaire, le gouvernement avait conclu «qu’un nivellement des salaires par le bas irait à l’encontre des efforts de lutte contre la pauvreté».
Fait du prince
Le son de cloche a été tout autre dans le canton du Jura voisin, lequel dispose depuis 2018 d’une loi ad hoc qui fixe ce salaire actuellement à 20,60 francs l’heure. Mais contrairement à d’autres cantons où un ajustement au renchérissement s’opère automatiquement, la question reste ici du domaine du prince. Comprenez une prérogative du gouvernement, lequel étudie encore aujourd’hui si un relèvement est nécessaire pour 2024 selon divers critères d’appréciation (inflation, conjoncture, marché du travail). Une décision devrait tomber ces prochains mois. Pour rappel, ce seuil a été fixé pour cette année à 24,32 francs à Genève et 21,09 francs à Neuchâtel. Responsable du secteur surveillance et régulation au Service de l’économie et de l’emploi du canton du Jura, Yves Bron, relativise toutefois la portée réelle de l’introduction du salaire minimum sur le territoire jurassien. «Il n’y a pas de grandes branches dans leur ensemble qui doivent se conforter à ce régime, car la plupart sont déjà soumises à des conventions collectives ou à des contrats-types», explique-t-il, agriculture et vente notamment. D’après lui, le nombre de personnes concernées est marginal. «Il s’agit de cas isolés, là où en particulier aucune disposition n’est prévue.» Il prend l’exemple d’un jeune de moins de 18 ans, non soumis en raison de son âge à une convention collective de travail (CCT), employé dans un restaurant. Ou le cas des jobs d’été. Il est cependant impossible de savoir combien de personnes bénéficient de ce garde-fou. Yves Bron ne s’attend par conséquent pas à une déferlante de réadaptations de salaires une fois Moutier jurassienne. «Ce sera aux employeurs de faire en sorte d’être en conformité dans un peu plus d’une année et demie», rappelle-t-il. Si des abus seront constatés malgré tout, les employés discriminés devront s’en remettre alors au Conseil de prud’hommes qui est à Porrentruy. Car cette loi jurassienne ne donne pas davantage de pouvoir aux autorités sur les pratiques salariales. Stipulant certes qu’il ne peut être dérogé ici «aux dispositions de la loi au détriment des travailleuses et travailleurs», son article 4 n’a qu’un caractère «relativement» impératif.
Deux points faibles
«Malheureusement, cette loi contient deux points faibles. Elle maintient une exception pour les branches avec CCT et contrats-types, et les employés doivent saisir d’eux-mêmes la justice en cas de litige, ce que la plupart ne font pas», déplore Rébecca Lena-Cristofaro, secrétaire régionale d’Unia Transjurane. Selon elle, du point de vue de l’adaptation des salaires, le transfert de Moutier dans le giron jurassien devrait se réaliser sans trop d’anicroches, parce que les salaires entre le Jura et le Jura bernois sont presque identiques et que la plupart des acteurs (électricité, techniques du bâtiment, artisanat, etc.), se sont déjà regroupés au sein d’organisations transjurassiennes dépassant les frontières cantonales.