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La cohésion sociale en ligne de mire

La déléguée à l'intégration du du district de Conthey, en Valais et une bénéficiaire des prestations.
© Thierry Porchet

Déléguée régionale à l’intégration du district de Conthey, Bénédicte Seifert (à gauche) met entre autres sur pied des cours de français et des ateliers thématiques pour des personnes comme Enri Senabre (à droite), arrivée d’Espagne en 2022.

Déléguée régionale à l’intégration du district de Conthey, en Valais, Bénédicte Seifert s’exprime sur son travail. Un métier-passion aux multiples enjeux. Entretien.

Elle est au four et au moulin. Sur le terrain administratif et opérationnel. Jonglant avec les directives fédérales, cantonales et les sensibilités propres aux élus des cinq communes du district de Conthey; gérant budgets, subventions et différents projets, entre cours de langue et atelier thématique. Elle, c’est Bénédicte Seifert, la déléguée régionale à l’intégration. Une fonction que la dynamique Valaisanne de 38 ans occupe depuis mars 2022 à 50%. Un pourcentage restreint au regard de l’ampleur de la tâche remplie par la travailleuse sociale qui dispose néanmoins de renfort: l’ancienne éducatrice de rue peut compter sur l’aide, à mi-temps, d’un étudiant en emploi et d’une collaboratrice sur mandat. 
Aussi à l’aise sur le front politique qu’au contact de la population qu’elle épaule, Bénédicte Seifert détaille les différentes facettes de son métier. Une activité qualifiée de passionnante malgré la charge mentale qu’elle implique. Et les réticences auxquelles elle se heurte parfois pour faire passer ses propositions.

En quoi consiste concrètement votre travail?
J’ai pour mission de mettre en œuvre les lignes directrices cantonales d’intégration à travers la coordination de différents projets et d’entente avec les conseillers communaux. J’offre par ailleurs un soutien individuel aux nouveaux arrivants sur différentes questions: permis de séjour, logement, etc. 

Quel est votre public-cible?
Toute nouvelle personne arrivant dans le district, Suisse ou titulaire d’un permis B, C ou L. En principe, les réfugiés ne sont pas concernés, ils relèvent du domaine de l’asile. Mais je fais parfois des exceptions selon les cas. Le service traite avec une soixantaine de nationalités.

Que préconisez-vous à l’arrivée de nouvelles personnes?
Actuellement, je travaille à un concept de primo-information pour les nouveaux arrivants. Un projet pilote est mené à Conthey comprenant un repas offert et un kit de bienvenue. J’aimerais développer l’idée dans les autres communes et mettre en place une véritable culture de l’accueil. Celle-ci passerait, au minimum, par un courrier de bienvenue et des informations propres à orienter les étrangers dans leurs démarches et à faciliter leur insertion, en mentionnant les services utiles, les relais et les personnes ressources, etc. 

Quel objectif poursuivez-vous?
Le district compte environ 25% d’étrangers. Mon travail consiste à favoriser la création de liens et le bien-vivre ensemble. Avec, comme but essentiel, la cohésion sociale.

Quels types de projets sont développés dans ce sens?
Il y a bien sûr les cours réguliers de français d’une heure et demie par semaine au prix symbolique de 100 francs par personne pour une année. J’ai par ailleurs lancé un projet pilote d’atelier thématique mensuel contribuant à la compréhension de la vie locale et à la pratique de la langue. Le dernier a été consacré aux droits fondamentaux dans le domaine du travail. Et a été animé par un représentant d’Unia.
Je coordonne aussi l’initiative «histoires pour petits enfants et leurs parents» articulée autour de la lecture d’un récit et d’un café partagé entre parents. Cette démarche réunit une à deux fois par mois 30 à 40 participants et permet, là encore, d’exercer le français et de nouer des contacts.
Plusieurs autres projets d’échanges et de partage complètent l’offre sur les cinq communes concernées, mis en place par différents partenaires.

De manière générale, vous touchez un large public?
Oui, mais certaines populations sont plus difficiles à atteindre, notamment les femmes probablement freinées par la garde des enfants. Ou pour des raisons culturelles ou religieuses. Nous comptons aussi un nombre relativement restreint de saisonniers. Bien qu’ils reviennent chaque an, il est plus compliqué de créer du lien social avec eux, car ils manquent de temps. 

Comment définissez-vous l’intégration?
Je n’aime pas beaucoup ce terme, trop connoté «migration» et «assimilation». Je lui préfère celui d’inclusion. Il s’agit de contribuer à créer un sentiment d’appartenance à une communauté, de développer une solidarité de proximité informelle, plus difficile à susciter quand on vient d’ailleurs. Dans ce sens, les communes doivent assumer leurs responsabilités, créer des espaces de rencontre – les échanges facilitent une compréhension mutuelle –, accueillir les nouvelles personnes avec bienveillance. 

Ce n’est pas toujours le cas?
Toutes n’agissent pas avec la même diligence. Les pratiques des communes diffèrent, certaines se montrent clairement plus ouvertes que d’autres. Les personnalités des élus jouent largement un rôle. Nous disposons toutefois d’une charte qui définit notre mission et met le service à l’abri lors d’élections de personnes moins enclines à s’engager dans le domaine. Il n’empêche que les nouveaux arrivants sont encore trop souvent associés à des problèmes et demeurent au fond de la pile des préoccupations politiques.
C’est aussi révoltant de constater que, parfois, un mail de ma part permet de résoudre en un tour de main un problème d’un nouveau venu qui, lui, attendait une réponse depuis des mois. Il y a aussi du racisme systémique au niveau institutionnel.

Quelles qualités requiert votre travail?
Il faut en premier lieu de la diplomatie et se montrer patient, endurant et créatif – je dispose de peu de moyens. Mais c’est une activité très stimulante, surtout au niveau de la conception de projets, des enjeux politiques et du défi de réunir autour d’une même table des sensibilités politiques différentes.

Que rétorquez-vous aux personnes estimant qu’on n’a pas à se soucier autant des nouveaux arrivants, qu’ils pouvaient rester chez eux?
Je leur demanderai d’abord si elles sont sûres que nous n’avons pas fait appel à elles. La plupart des étrangers viennent en Suisse pour des raisons économiques. C’est eux qu’on retrouve dans les domaines de la construction, de la restauration, de l’agriculture... Sans leur apport, le pays ne tournerait pas. Nous vivons par ailleurs dans un Etat de droit, au cœur de l’UE, avec des accords de libre circulation que nous devons respecter – il y a beaucoup de confusion sur les statuts des immigrés. Favoriser l’intégration relève d’une responsabilité sociale, civile et citoyenne. 

La situation à l’égard des étrangers s’est-elle tendue?
C’est mon ressenti. La politique migratoire se révèle de plus en plus restrictive. Les discours se durcissent. On s’autorise davantage de propos xénophobes et discriminatoires sur les réseaux sociaux. Un problème qui sera traité dans le cadre de la prochaine semaine de sensibilisation au racisme sous l’angle suivant: comment, en tant que citoyen, peut-on réagir à ces dérives? Que faire quand on en est témoin? 

Votre recette de l’intégration?
Elle passe par l’acquisition de la langue, l’obtention d’un travail – rendu parfois compliqué en raison du manque de reconnaissance des diplômes étrangers – et les liens, le réseau social. Voilà les trois piliers fondamentaux de l’intégration. Mais elle nécessite également que la société s’ouvre aux étrangers. L’intégration ne peut se faire seulement dans un sens... 

Plus d’informations sur: integration-dc.ch
A noter que tous les districts du Valais comptent un ou une déléguée à l’intégration. Cette prestation est aussi développée dans tous les autres cantons suisses.

Témoignage: Rompre avec la solitude

«Je participe depuis trois ans au cours de français. Non pas dans le but d’obtenir une attestation, mais pour rencontrer d’autres personnes, créer des liens sociaux.» Originaire d’Espagne, Enri Senabre s’exprime déjà avec aisance même si elle s’en défend. Et ne manque pas une occasion de pratiquer la langue, considérée comme la principale difficulté à laquelle elle se heurte. «C’est une grande frontière. Il me manque des mots. J’ai peur de répondre au téléphone ou d’aller au marché. C’est plus facile de progresser quand on travaille», soupire la Catalane de 65 ans, en soulignant l’importance de la prestation offerte par le service de l’intégration. Tout comme elle juge essentielle l’aide accordée à l’arrivée pour s’orienter dans les méandres de l’administration. La sexagénaire apprécie aussi beaucoup les espaces d’échanges favorisés par différents projets comme les ateliers thématiques qu’elle fréquente. «Ils me permettent de rompre avec une certaine solitude. Les journées peuvent être très longues.» 
Enri Senabre s’est installée à Conthey en septembre 2022. Elle y est venue avec son mari, de deux ans son cadet, et au bénéfice d’un contrat de travail. Son époux est employé dans l’entreprise créée par leur fils. «Nous souhaitions nous rapprocher de la famille. C’était le plan pour la suite de notre existence», explique cette ancienne professeure, qui a pris sa retraite à 63 ans, avant de préciser que, depuis, le projet du couple a changé. «Nous manquions d’informations avant de venir. Nous pensions que nous pourrions bien vivre. Mais la vie ici est trop chère», se désole Enri Senabre, en évoquant au passage le coût de l’assurance maladie. «Avec nos retraites, on s’en sortira bien mieux en Espagne. Quand mon mari arrêtera de travailler, nous rentrerons à Barcelone», annonce l’immigrée, quand bien même elle se trouve en phase avec la culture suisse. «Elle ressemble à la catalane. On travaille beaucoup et on tient parole.» Si la sexagénaire regrettera à son départ une certaine «tranquillité et la gentillesse et la politesse des Suisses», elle se réjouit en revanche de renouer avec la cuisine espagnole, les plages et son environnement social. «Barcelone – Conthey, c’est un gros changement. Difficile. Surtout quand on connaît très peu de monde.» Et la Catalane d’ajouter: «J’aime marcher. Mais ici, il n’y a souvent personne dans les rues, les gens se déplacent en voiture. On se croirait encore au temps du Covid...» 

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