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Une boîte à outils pour contrer les arguments sexistes

Game ovaire

Dans Game ovaire, la journaliste physicienne Lucia Sillig renverse des stéréotypes de genre prétendument basés sur des recherches scientifiques. L’humour en prime.

Oui, les femmes préhistoriques s’adonnaient aussi à la chasse; non, le mâle alpha n’est pas le plus gros ni le plus agressif; non, les hommes ne bénéficient pas d’un talent inné pour garer leur voiture – la palme du parcage revient aux pros des jeux vidéo, indépendamment du genre... Dans Game ovaire, à travers 24 essais illustrés, la journaliste scientifique Lucia Sillig bouscule des idées reçues. Et déconstruit une gamme hétéroclite de stéréotypes sexistes prétendument validés par des recherches antérieures. Le ton drôle et impertinent, la plume engagée, elle explore des «vérités» empruntées à l’archéologie, la biologie, la neuroscience ou encore la zoologie. Et les analyse à la lumière des dernières connaissances et de contributions féminines souvent passées sous le radar. «La raison de cet ouvrage? On se réfère facilement à la science pour repousser les questions de l’égalité. On l’utilise volontiers pour justifier le statut quo, invoquant la loi de la jungle et ce quand bien même certaines théories ont été invalidées. Je me suis attachée à présenter d’autres exemples», explique la collaboratrice de l’émission CQFD de la RTS, puisant dans un répertoire allant clairement dans le sens défendu. «Je l’assume. J’ai pris un contre-pied, sans pour autant occulter les faits n’arrangeant pas mes bidons. Mais sans oublier que la science a été durant des siècles dominée par la perspective masculine. Ce livre est une boîte à outils pour contrer les arguments sexistes.»

Partager son amour pour la science

La journaliste de 46 ans a également souhaité transmettre à travers sa démarche son amour pour la science en la rendant accessible. A grand renfort d’humour. Et avec une palette de jolies illustrations qu’elle signe aussi. «J’ai toujours aimé dessiner. J’ai l’imagination visuelle», indique Lucia Sillig, qui a consacré près de trois ans à ce projet. Cette initiative s’inscrit dans le prolongement de chroniques écrites par la spécialiste et diffusées sur les ondes. On y trouve des sujets aussi divers que les bonobos – «une espèce très proche de la nôtre où le patriarcat n’est pas la norme» –, la tyrannie des minorités, le mythe de la femme prude, les stratégies animales contre le harcèlement... Une singulière galerie qui se termine par un chapitre intitulé «Quand va-t-on pouvoir se passer d’hommes?» «C’est une boutade. Je ne les déteste pas», rigole la quadragénaire, en couple, mère de deux filles, non sans souligner la charge pesant sur les épaules des femmes. «Il y a quand même quelque chose d’un peu pourri dans le contrat hétéro.» 

Une cage aussi pour les hommes

Si Game ovaire s’adresse d’abord à un public féminin, Lucia Sillig espère aussi capter l’attention des jeunes et des hommes. «Le patriarcat n’est pas une cage seulement pour les femmes», affirme l’auteure, misant sur l’approche ludique pour trouver son audience. 

La sensibilité féministe de Lucia Sillig trouve ses racines dans sa trajectoire de vie. Lors de ses études de physique, elle raconte qu’elles étaient seulement deux filles dans une classe de 21 garçons. «Pas facile d’avoir alors les seins qui poussent au milieu d’ados en pleine construction de leur masculinité. On ne passait pas inaperçues.» Elle sera aussi au cours de son parcours confrontée au sexisme. Et à la persistance de préjugés. «Si on échoue, on associe l’échec au fait qu’on est une femme et, dans le cas contraire, aussi», regrette la journaliste, espérant que son ouvrage contribuera à davantage d’égalité. «S’il peut être une pierre à l’édifice, alors je serai ravie», conclut Lucia Sillig, qui croit à la force de la solidarité entre femmes, «un pouvoir sous-estimé», et ne manque jamais les manifestations organisées sous la bannière violette... 

Game ovaire, Editions Helvetiq, 168 pages.


Le travail, entre vocation et aliénation

L’auteur de BD Fabien Toulmé explore dans Et travailler et vivre la place qu’occupe l’activité professionnelle dans notre société. Des témoignages forts à la clé.

Quelle place le travail occupe-t-il dans nos existences? Quelle valeur lui accorde-t-on? Que ferions-nous si nous avions suffisamment d’argent pour vivre sans avoir besoin d’exercer un métier? Des questions qu’explore Fabien Toulmé dans son nouvel opus des Reflets du monde. Pour mener à bien son projet, l’auteur a récolté différents témoignages glanés au cours de ses pérégrinations autour du globe. Il commence son voyage aux Etats-Unis, curieux de comprendre ce qui a poussé en 2021, au temps du Covid en 2020, 47 millions d’Américains à quitter leur job. Un phénomène baptisé la «Grande démission» qui, deux ans plus tard, concernait toujours 20 millions de personnes. Le bédéiste se rend au Texas où il rencontre Austin, du même nom que la ville. Un cadre supérieur qui a décidé de tout plaquer pour se consacrer à la musique. Avant d’emprunter ce tournant radical, l’homme évoluant dans le monde de la finance, se laissera essorer par ses jobs, effectuant des journées interminables, carburant à l’alcool et à la drogue, soumis à une concurrence féroce. 

Morts par surmenage

D’autres exemples illustrent le mouvement de la «Grande démission» qui a toutefois essentiellement touché des classes sociales moyennes et basses, en particulier dans les domaines de la santé et de l’éducation. Associé à une sorte de gigantesque burn-out, ce fait aura au final surtout débouché sur une grande rotation dans les postes de travail. A travers ses rencontres, le bédéiste met en lumière le poids des injonctions sociétales et des influences de proches. Et la difficulté de s’en affranchir quand on envisage de déposer le tablier. Fabien Toulmé va aussi se rendre en Corée du Sud – deuxième pays où, selon l’OCDE, on travaille le plus au monde, après le Mexique – pour interviewer des personnes recrutées par l’économie de plateforme. On y fait notamment la connaissance de livreurs œuvrant pour le troisième employeur le plus important du pays. Un personnel sous stress permanent soumis à des horaires insensés et à une cadence infernale. Avec, pour résultat, nombre d’actifs mourant de surmenage au point qu’un terme leur est consacré: gwarosa. Chaque année, on compterait quelque 500 personnes qui se sont littéralement tuées à la tâche. 

Quête de sens

Le voyage de Fabien Toulmé le conduit encore aux Comores où il prête sa plume et ses dessins à un projet écologique et solidaire. Son récit s’entrecoupe d’intermèdes où il échange avec la sociologue et philosophe française Dominique Méda. La spécialiste des questions du travail aborde largement la quête de sens face à une course effrénée à la rentabilité, la performance, avant d’évoquer les futures voies possibles: poursuite du démantèlement des droits des salariés, robotisation et numérisation poussée à l’extrême ou reconversion écologique et créations de coopératives. 

Vocation ou aliénation, moyen de subsistance ou d’épanouissement, le travail est un sujet complexe dans nos vies que le talentueux bédéiste aborde à travers une diversité de témoignages forts, sensibles, alternant entre sujets joyeux, dramatiques ou plein d’espoir. Et une humanité et une poésie caractéristiques de son œuvre. 

Quand le quotidien se fait poésie...

L’écrivain valaisan Jérôme Meizoz signe Commerce de bouches, un recueil de poèmes, dont plusieurs aux accents politiques et syndicaux. 

Le quotidien appréhendé à travers le prisme de la poésie: voilà l’exercice auquel s’est adonné l’écrivain Jérôme Meizoz puisant dans le monde qui l’entoure matière à nourrir sa plume. Transcendant un réel ordinaire dans une prose aérienne et délicate. 

Regards sur le monde du travail, de la consommation, questions environnementales, anecdotes glanées dans la rue, portraits de personnes, paysages évocateurs... Guidé par un sens aigu de l’observation et un cœur bien accroché à gauche, le Valaisan exprime en filigrane sa soif d’égalité et de justice sociale. Joue de la musicalité du verbe pour titiller les cordes sensibles de son lectorat – certains poèmes seront d’ailleurs mis en chanson par Thierry Romanens. Et excelle dans cette économie de mots, en tirant toute leur quintessence. «Plus que de la narration, la poésie, c’est de l’horlogerie. Un langage vertical serré, très dense», souligne l’auteur, qui s’est déjà frotté à ce genre littéraire par le passé. «Ce n’est pas le meilleur support pour défendre certaines causes en raison de son caractère considéré parfois comme élitaire. Il y a pourtant politiquement une tradition dans ce sens, même si elle a tendance à se perdre. J’espère atteindre un public élargi», ajoute l’écrivain, qui partage son temps entre son art et un poste de professeur de littérature contemporaine à l’Université de Lausanne. Et a recouru aux gravures de Matthieu Berthod pour illustrer son recueil. Avec, au final, un Commerce de bouches qui fait mouche, composant une galerie de tableaux propres à susciter réflexion et émotions. 

Commerce de bouches, Editions Empreintes, 85 pages.

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