Offrir 2 milliards de francs de cadeaux fiscaux aux entreprises, et donner en contrepartie 2 milliards à l’AVS pour assurer son avenir et maintenir l’âge actuel de la retraite des femmes en guise de compensation? Décidément, nos sénateurs et nos élus ont bien des difficultés en mathématique... Ils sont peut-être de futés politiciens, mais le résultat est tout de même un trou gigantesque dans les finances de l’Etat. Car les 2 milliards promis pour l’AVS ne sortent pas de nulle part. Ils seront pris dans les recettes fiscales actuelles à hauteur de 800 millions, et dans la poche des salariés et du patronat par une hausse des cotisations à l’AVS (1,2 milliard). En résumé, il ne s’agit pas, comme le prétendait fallacieusement la commission du Conseil des Etats ayant concocté ce compromis, d’offrir un franc à l’AVS pour un franc donné aux entreprises, mais bien d’une addition des charges.
Au total, le trou se montera pour la Confédération, les cantons et les communes à 2,8 milliards, somme à laquelle il faut ajouter les 1,2 milliard prélevés sur les salaires, sans aucune garantie qu’un nouveau plan de réforme de l’AVS, avec une hausse de l’âge de la retraite, ne voie pas le jour.
Ce fameux franc affecté à l’AVS ne fait que grossir le manque à gagner du Projet fiscal 17 (PF17), avec comme conséquence de futures recherches d’économies dans les prestations afin de combler les déficits. Economies qui, on le sait, touchent de plein fouet les retraités, les chômeurs, les jeunes, les familles et plus généralement les aides à la population.
Au-delà des chiffres, ce nouveau «deal» politique est tout simplement indécent et dangereux. Car il lie des thématiques qui n’ont rien à voir et qui doivent être résolues en fonction de leurs propres spécificités. C’est comme si l’on proposait de vous couper un bras pour sauver la jambe de votre voisin, alors que des possibilités existent pour garder les deux…
Les syndicats, comme près de 60% de la population, avaient clairement rejeté en février 2017 une réforme de l’imposition des entreprises presque identique à PF17. Pour faire passer la pilule aujourd’hui, on nous assure qu’avec PF17 on va sauver l’AVS mise à mal par l’arrivée à la retraite des babyboomers. C’est mettre dans la balance un cadeau aux actionnaires contre la garantie constitutionnelle d’un droit à une retraite digne pour l’ensemble des travailleurs et des retraités.
Augmenter des cotisations à l’AVS n’ayant pas bougé depuis 40 ans serait bien sûr une bonne chose. Mais ce n’est pas en la liant à des cadeaux fiscaux que cela permettra de pérenniser cette assurance. Au contraire. Et d’autres revendications syndicales ont été exprimées pour renflouer les caisses de notre assurance sociale: hausse des salaires, égalité salariale entre hommes et femmes, des exigences qui permettraient d’augmenter la part des cotisations afin de payer des rentes dignes à nos aînés.
Se lier les mains avec un compromis insensé, c’est aussi se lier les mains lorsqu’il faudra se battre contre des coupures budgétaires dans les soins, les écoles ou ailleurs, et c’est ouvrir à nouveau une dangereuse brèche dans l’unité syndicale, dans laquelle le patronat et la droite bourgeoise ne manqueront pas de s’engouffrer pour faire passer leurs attaques, contre les CCT, les salaires, les conditions de travail et les droits des plus défavorisés.