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La Suisse bafoue le droit à la formation

Lors d’une conférence de presse organisée à Lausanne, le 7 février
© Thierry Porchet

Lors d’une conférence de presse organisée à Lausanne, le 7 février, Philippe Jaquier, représentant des familles de parrainage, Martino Guzzardo, chargé de projet au Service social international, Andréane Leclerq, marraine, Abdijabar, apprenti, et Gazmend Nura, patron (de gauche à droite), entre autres intervenants, ont témoigné de la situation kafkaïenne des jeunes migrants déboutés en formation.

Des citoyens lancent un appel aux autorités pour permettre aux jeunes déboutés de l’asile de mener à terme leur apprentissage

«Un apprentissage – Un avenir». C’est ainsi que s’intitule l’appel lancé la semaine dernière par des jeunes, des patrons, des familles de parrainage, des éducateurs et des enseignants. Face à la multiplication des cas d’apprentis contraints de renoncer à leur formation à la suite du rejet de leur demande d’asile, le Service social international (SSI-Suisse), Action-parrainages Vaud et l’Alliance pour les droits des enfants migrants (Adem) ont organisé les premières assises romandes sur la question le 2 février dernier à Lausanne. Plus de 200 personnes étaient présentes et ont décidé de lancer un appel citoyen demandant aux autorités fédérales et cantonales de permettre aux jeunes qui se retrouvent à l’aide d’urgence au cours de leur apprentissage, de pouvoir terminer leur formation. Quelques jours plus tard, un comité de pilotage, né de ces assises, convoquait la presse afin d’informer la population de leur appel. 

Patrons révoltés

Patron d’une carrosserie, Raphaël Favre témoigne de sa frustration et de sa colère. Son jeune apprenti, un Erythréen de 20 ans, a quitté la Suisse, à la suite du rejet de sa demande d’asile et de son recours au Tribunal fédéral. «C’était un employé exceptionnel. Il sortait du lot. Il avait vraiment envie de travailler. Alors que le métier de tôlier ou de peintre est très exigeant, cela devient très difficile de trouver des apprentis. On fait face à un manque d’effectif.» Toujours en contact par e-mail avec son ancien apprenti, en ce moment en Belgique où celui-ci y a des amis, il en parle avec émotion. 

Un autre employeur, Gazmend Nura, dans le secteur du revêtement de sol et des parquets, transmet les inquiétudes des entrepreneurs: «Nous nous retrouvons face à des interruptions d’apprentissage néfastes à nos entreprises. La réorganisation du travail devient alors difficile.» Il renchérit, en parlant de sa situation propre: «Il n’y a pas beaucoup de Suisses intéressés par ce métier. Abdijabar est réellement motivé. Je ferai tout mon possible pour qu’il puisse continuer sa formation, en restant dans la légalité bien sûr.» Abdijabar est à ses côtés. Jeune Ethiopien de 19 ans arrivé en Suisse il y a un peu plus de deux ans, il a fait recours contre la décision négative reçue récemment: «J’ai fait un voyage qui était long, plein de dangers. Si la décision est négative, je ne sais pas où je vais aller. J’ai construit ma vie ici. Je ne veux pas continuer le voyage. Ça ne donne pas l’envie d’être vivant.» Et de transmettre le sentiment des jeunes réunis lors des assises: «On nous oblige à arrêter notre apprentissage. Cela nous plonge dans une situation très difficile psychologiquement et dans une vie misérable.»

Cette atteinte à la santé et les risques de marginalisation sont également dénoncés par les intervenants sociaux, les enseignants et les familles de parrainage. «Notre mission est d’enseigner, de mener des jeunes à un titre certifiant et qualifiant. Cette mission est rendue parfois impossible par des décisions d’autres instances de l’Etat. Nous sommes dans une situation absurde et non porteuse de sens. Les apprenants sont dans une situation paradoxale où un service de l’Etat leur dit: “Intègre-toi”, et l’autre: “Quitte le pays”», fustige Beatrix Bender, enseignante. 

Face à cette situation aberrante, les patrons sont tout aussi outrés. «Nous constatons une incohérence entre la volonté d’intégration à laquelle on nous demande de contribuer et les renvois d’apprentis ou de jeunes promis à un apprentissage», peut-on lire dans l’appel.

Andréane Leclerq, marraine, relève, quant à elle: «La formation a un rôle-clé à jouer dans la résolution durable de la question migratoire. Et c’est un droit fondamental.»

Mouvement citoyen

Apolitique, le mouvement se veut le plus large possible. Philippe Jaquier, des familles de parrainage, renchérit: «Nous devons travailler à un rapprochement avec la Suisse alémanique et développer toutes les pistes évoquées lors des Assises pour que notre appel soit entendu par les autorités.» Répertorier les cas est aussi à l’ordre du jour, car aucune statistique fiable n’existe selon les différents spécialistes présents dans la salle de conférence. Ils seraient une quinzaine de parrainés dans le canton de Vaud à avoir dû arrêter leur formation ces derniers mois, plus d’une vingtaine à Genève et même davantage en Valais, en plus de quelques-uns dans les cantons de Neuchâtel, Fribourg et Jura. Et c’est compter sans un nombre important de jeunes qui ne peuvent même pas envisager une formation. «C’est une situation qui existe depuis longtemps, mais ce phénomène est en augmentation, car de nombreux mineurs non accompagnés sont arrivés en 2014 et en 2015. A cette époque, les autorités ont privilégié l’accès à la formation. Ils atteignent leur majorité maintenant et reçoivent leur décision. De surcroît, il y a un changement de pratique vis-à-vis des Erythréens», explique Martino Guzzardo, chargé de projet au SSI. Depuis l’arrêt du Tribunal fédéral de juillet 2018, l’admission provisoire pour les Erythréens n’est plus la norme, alors que le risque d’être enrôlé à vie dans l’armée, les tortures et les violences sont toujours présents. Reste qu’on ne peut les renvoyer de force puisque aucun accord de réadmission n’est conclu entre la Suisse et l’Erythrée. Résultat: des jeunes se retrouvent à l’aide d’urgence, coupés dans leur formation, pour un temps indéfini. 


Pour signer l’appel «Un apprentissage – Un avenir» pour que les jeunes migrants, même déboutés, puissent poursuivre et achever leur formation: unapprentissage-unavenir.ch

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