Une huile au goût amer
C’est une affaire d’huile. Mais pas seulement. Le 7 mars prochain, les citoyens devront se prononcer sur le traité de libre-échange signé avec l’Indonésie et combattu par référendum. Au cœur de la controverse, l’huile de palme. Et les dégâts associés à cette culture. Au niveau de la nature, avec une déforestation à grande échelle au profit de ces plantations et des pertes irrémédiables de la biodiversité et de la faune entraînant notamment la destruction des habitats des orangs-outans. Mais aussi sur le front des droits humains et sociaux. Entre travail des enfants et préjudices subis par les populations locales et des petits agriculteurs privés de leurs terres vivrières reconverties pour cette monoculture toujours plus étendue. Pour s’en faire une idée, les plantations s’étalent déjà sur 17 millions d’hectares, soit une superficie quatre fois plus grande que la Suisse, chiffre le comité référendaire réunissant des associations environnementales et paysannes rejointes, entre autres, par les Verts et la Jeunesse socialiste. Conséquence: une huile pourtant réputée mauvaise pour la santé inondant le marché. Un facteur aussi favorisé par son prix, modeste, et une utilisation élargie dans nombre de domaines – de l’alimentaire aux cosmétiques en passant par les agrocarburants pour n’en citer que quelques-uns.
Les réductions tarifaires prévues dans le cadre de l’accord contribueront encore à augmenter la prévalence de cette huile aux relents écologiques et sociaux jugés désastreux. Les opposants au traité ne croient pas aux critères de durabilité censés autoriser les concessions douanières. Et pour cause. Ni contrôles ni sanctions efficaces ne seront garantis et l’industrie concernée se chargera elle-même de ces vérifications. Mieux que rien estiment pourtant d’autres ONG divisées sur la question. Dommage. On n’assistera pas à un front uni comme lors de la votation sur les multinationales responsables quand bien même le risque de greenwashing ne saurait être écarté.
L’accord porte aussi préjudice à notre agriculture. La pression sur le prix des huiles locales, colza et tournesol, ne manquera pas de s’exercer avec cette concurrence en roue libre ou presque. Même si des contingents sur les importations pourraient alors être décidés. Reste que dans ce cas aussi, le coût du travail dans nos frontières ne saurait régater. Du côté des partisans, des entreprises suisses – pharmas et secteurs financiers en tête – se frottent les mains en pensant aux affaires supplémentaires qu’elles pourront réaliser avec ce pays de plus de 260 millions d’habitants. Et tant pis si, dans cette dynamique, la plus forte protection de la propriété intellectuelle négociée sera synonyme pour la population indonésienne de médicaments plus chers et d’accès entravé aux semences comme d’un d’affaiblissement du secteur bancaire du pays.
Dans ce contexte, dire non à ce traité, bien qu’il ne concerne pas uniquement l’huile de palme plutôt anecdotique dans les échanges visés, a aussi une valeur de signal. C’est dire non à cette logique du prix le plus bas, de l’épuisement des ressources, de la négation de populations autochtones, de la disparition des forêts, puits de carbone, d’achats à des milliers de kilomètres au lieu de favoriser l’approvisionnement local et dans les pays voisins. C’est actionner un frein à une croissance sans cautèles qui mène l’humanité à sa perte. A l’heure où la question écologique figure en tête de liste des défis que devra relever la planète et s’invite tous les jours ou presque dans les débats helvétiques, il sera possible de faire un pas de côté. De refuser de rajouter de l’huile dans les rouages d’une mondialisation de l’économie accentuant encore la pression sur l’environnement.