Une Suisse version carte postale...
Anthropologue, chercheuse et commissaire de l’exposition, Anne Kristol travaille depuis plusieurs années sur la thématique de la naturalisation. Entretien
Pourquoi avoir réalisé une exposition sur la naturalisation?
C’est un sujet relativement méconnu et très politique, objet de différents référendums et d’initiatives, d’interrogations sur les critères de sélection des candidats au passeport suisse. L’exposition vise à informer et à sensibiliser le public à la thématique, à susciter des réflexions sur la procédure, sur sa légitimité, sur les barrières qu’elle dresse sachant que notre pays compte 25% d’étrangers qui ne bénéficient pas des mêmes droits que le reste de la population.
Comment avez-vous travaillé?
J’avais déjà mené des recherches de terrain sur la thématique entre 2014 et 2019. J’ai passé des mois dans des administrations à suivre des auditions pour comprendre comment se prennent les décisions. Ces connaissances ont alimenté le matériel d’exposition. Mais les données relatives aux postulants n’ont pas pu être utilisées pour des raisons évidentes de confidentialité. Ces derniers doivent raconter leur vie dans les menus détails: motivation, travail, situation financière, loisirs, appartenance à des associations, etc. Mon parti pris a été alors de me focaliser sur les autorités compétentes. J’ai mené de nouveaux entretiens avec les membres des commissions de naturalisation en Gruyère. J’invite le public à les découvrir en se mettant dans la peau de candidats. A se familiariser avec ce système long et complexe, dont l’exposition met en scène les moments phares.
Que retirez-vous de cette démarche?
La Suisse applique des critères particulièrement restrictifs, parmi les plus sévères d’Europe. On peut s’interroger sur la pertinence de certaines questions posées lors des auditions. J’ai été surprise par des images véhiculées sur la Suisse, parfois folkloriques, ne prenant pas en compte sa diversité. C’est ce qui m’a le plus frappée: la perpétuation d’une image «carte postale». Un exemple? Les questions sur les spécialités culinaires. C’est étonnant qu’on demande souvent de parler de la fondue alors que ce n’est pas un mets quotidien.
Jugez-vous la procédure arbitraire?
Non. Le mot ne convient pas. Il y a eu aussi beaucoup d’améliorations au cours de ces vingt dernières années, avec la définition de critères plus précis. Reste une marge de manœuvre qui peut être problématique. Il y a une volonté dans la loi de traiter de manière distincte les personnes qui ont des capacités différentes, aussi avec le risque de faire des procès d’intention. On adapte les questions en fonction de l’origine des candidats, entre autres sur la base de préjugés... On ne peut pourtant pas conclure que cela mène forcément à des discriminations dans les décisions prises, d’autant plus que les voies de recours existent. Dans ce contexte, on devrait mieux penser la formation des membres des commissions, actuellement très courte, pour exercer ce rôle.
Quelle est votre définition de l’identité suisse?
C’est un imaginaire auquel on s’identifie. Une réponse qui n’est pas figée et à laquelle chacun répond à sa manière. Il existe donc une multitude d’identités suisses. En ce qui me concerne, j’ai des racines multiples et mon sentiment d’appartenance évolue constamment, en fonction de mon lieu de vie, et des transformations dans mon quotidien. Je ne peux pas réduire ça à une identité nationale.