Témoignages
Travailleurs floués
Marine* «En juin 2017, je me suis inscrite dans une agence qui m’a demandé de payer 500 francs pour être formée sur cinq jours comme femme de chambre. Nous étions une vingtaine à la faire. Ils nous ont assuré qu’après ça, on trouverait un poste, mais nous avons été trois à décrocher un job seulement. Je suis restée en contact avec certaines des filles: malgré la formation, cinq mois plus tard, elles n’avaient toujours pas eu de mission. Dans l’hôtellerie, les travailleurs se font user, c’est un système qui se perpétue. Et ceux qui se plaignent ou qui font valoir leurs droits, comme moi, sont dans le viseur des supérieurs. J’ai fait une autre formation depuis, et je ne remettrai jamais les pieds dans un hôtel pour y travailler.»
Maria* «Je travaillais dans un grand hôtel de luxe genevois depuis plusieurs années via une agence de placement, mais celle-ci posait beaucoup de problèmes et a fait faillite, donc l’hôtel a changé de prestataire. La nouvelle agence nous a gardés, mais elle a exigé que nous fassions une formation de trois jours dans l’établissement, alors que nous connaissions le métier. Ces trois jours n’ont jamais été payés. J’ai beaucoup d’amies à qui cela est arrivé.»
Yusuf* «Je suis arrivé en Suisse en 2011. J’ai enchaîné de nombreuses missions en tant que plongeur à plusieurs endroits et, à chaque fois, les trois premiers jours n’étaient pas payés. Quand j’ai osé réclamer, on m’a répondu que tout m’avait été payé...»
«J’ai quitté le métier, dégoûté par ces pratiques indignes»
François*, ancien cadre d’une agence de placement «J’ai travaillé une dizaine d’années au total dans deux agences de placement à Genève, dans le secteur de l’hôtellerie-restauration, mais pas directement dans les métiers concernés par ces abus. J’étais donc aux premières loges mais pas partie prenante. J’ai vu les méthodes qui étaient pratiquées par mes collègues pour les femmes de chambre, les nettoyeurs, les portiers/bagagistes et les voituriers. Ils faisaient miroiter des emplois au bout des formations, ils offraient du personnel en formation aux hôtels partenaires pour s’assurer certains contrats ou écarter la concurrence. On parlait d’un, deux, voire trois jours non payés, et parfois non déclarés. Par exemple, quand arrivaient des périodes de salons à Palexpo, les managers des hôtels environnants venaient à l’agence en prévision de la forte affluence. Ils intégraient du personnel, le formaient, en faisant espérer un emploi fixe et, à la fin du salon, tout le monde était renvoyé. De la poudre aux yeux.
Toutes les agences ne fonctionnent pas comme cela, mais certaines sont prêtes à se montrer très agressives pour prendre le marché. C’est une concurrence que paient les travailleurs. Pour moi, le cœur de ce métier c’est l’humain, mais mes collègues m’ont dégoûté avec leurs pratiques odieuses et lamentables. Les intérimaires étaient pour eux de la chair à canon, corvéables à merci, qu’on prend et qu’on jette. Des gens fragiles dont ils usent et abusent.
Je suis persuadé qu’on peut faire de bons résultats en respectant les travailleurs, mais eux ne voyaient qu’à travers les chiffres et le business et les traitaient comme des moins que rien. J’ai quitté le métier, dégoûté par ces pratiques indignes, je ne me reconnaissais pas.
J’espère qu’on parviendra à mettre la lumière sur ces travailleurs que certaines agences dévalorisent et rabaissent. J’ai des valeurs, une conscience, et je ne conçois pas qu’on soit prêt à tout pour faire du chiffre. Voilà pourquoi j’ai dénoncé ce système.»
*Prénoms d’emprunt