* Etat de nécessité, Stéphane Goël, diffusion sur RTS 2, le 16 octobre à 22h.
Dans les tribunaux, Marie-Pomme Moinat défend les militants climatiques. Dans son village, elle fait planter des arbres fruitiers et éteindre les lumières
En entrant dans le bureau de Marie-Pomme Moinat, on oublierait presque qu’on se trouve dans une étude d’avocats. Un tapis, une vieille table en bois, des fauteuils élimés et des murs peints en jaune golden ornés de trois grandes photos de phares rendent le lieu chaleureux et joyeux à l’image de celle qui y travaille. Optimiste de nature, l’avocate confie ses hauts et ses très bas face à l’état du monde. D’où son engagement dans la défense des «joueurs de tennis» de Lausanne Action Climat (LAC), des militants de la Grève du climat ayant occupé les Retraites populaires ou encore des activistes d’Extinction Rebellion ayant bloqué un grand magasin fribourgeois lors d’un Black Friday. Trois procès collectifs qui ont réuni des dizaines d’avocats bénévoles pour défendre l’état de nécessité face à l’urgence climatique et le droit de manifester.
Avocate et politicienne
Avec générosité, Marie-Pomme Moinat retrace son parcours, très inspiré par celui de son grand-père, Claude Bonnard, avocat, ancien conseiller d’Etat et président des Libéraux suisses. «Un humaniste, se souvient celle qui aimait tant marcher en montagne avec lui. Il m’a beaucoup appris sur la nature et l’importance d’aider les plus faibles.» L’adolescente scolarisée à Renens, qui se voyait bien devenir déléguée au CICR, se lance dans des études de droit qui la passionnent.
Un an seulement après avoir réussi son brevet d’avocate, en 2010, elle est commis d’office pour défendre le généticien Ségalat accusé de l’assassinat de sa belle-mère. Un procès-fleuve, hautement médiatisé. Une photo de presse montre Marie-Pomme Moinat à presque neuf mois de grossesse entrant dans le Tribunal où son client sera acquitté, avant que le procureur fasse appel et qu’il soit condamné à 16 ans de prison. Juste le temps pour le présumé coupable de retourner en France qui refusera de l’extrader. «Il y avait trop de doutes pour l’emprisonner. Il est libre, sans pouvoir quitter le territoire. Je me sens confortable avec l’idée qu’il ne soit pas en détention», résume celle qui a l’âme d’une enquêtrice.
Empathique, à l’écoute, sensible, sa carrière est surtout marquée par la défense de nombreuses femmes victimes de violences conjugales et d’enfants victimes d’abus. Actuellement, elle s’occupe également d’affaires liées à l’amélioration foncière, tentant partout de poser sa patte verte. Depuis deux ans, elle est entrée en politique à la suite d’une élection tacite à la Municipalité de sa petite commune d’Essertines-sur-Rolle. «Dans la Municipalité, nous sommes a-partisans», se réjouit celle qui a réussi à faire éteindre l’éclairage public de 23h à 5h30 du matin. «S’il y a eu des réticences au début, aujourd’hui beaucoup disent mieux dormir, voir davantage d’animaux et les étoiles», sourit la politicienne, qui a aussi posé des prototypes de tuiles solaires sur son toit et, avec le Réseau climat et biodiversité de son village, planté un verger haute-tige – comme un clin d’œil à son prénom.
«Mon suractivisme me permet de gérer mes peurs», résume cette mère de trois enfants de 6, 8 et 10 ans, qui souligne que son mari en fait tout autant qu’elle à la maison. «Mes enfants sont mes leviers. Il y a des périodes où je dors mal, où je rêverais d’ignorer ce qui nous attend, où je crains qu’ils vivent une montée des extrémismes, une Europe qui se barricade face aux migrants climatiques. Dans mes jours optimistes, j’imagine des villes très vertes, sans voiture, un monde résilient où l’on prend soin les uns des autres…»
Le choc
«Je rêverais de voir des baleines au Canada ou d’emmener mes enfants à New York, mais je ne prends plus l’avion. Je veux pouvoir leur dire que j’ai fait ce que j’ai pu pour tenter d’éviter la catastrophe», résume-t-elle sans perdre son sourire. Des larmes, elle en a pourtant versé en se plongeant dans les rapports du GIEC, en interviewant la climatologue Sonia Seneviratne, en écoutant ces jeunes militants qui en savaient tellement plus qu’elle. «Je participais aux marches pour le climat, mais je n’avais pas compris. Ça a été un choc, violent. J’ai ouvert les yeux.»
En 2019, en amont du procès du LAC, elle est contactée par l’un des activistes, pendant qu’un autre fait de même avec Me Irène Wettstein. «On a toutes deux accepté de les défendre. J’ai pris contact avec des consœurs et des confrères avec le souci que toutes les orientations partisanes soient représentées. Et ils ont quasi tous répondu présent», se réjouit-elle, heureuse de cette solidarité nouvelle. Une aventure juridique et humaine filmée avec brio par le réalisateur Stéphane Goël dont le documentaire* retrace les audiences et leurs préparations confidentielles entre 2019 et 2022.
L’immense joie de la première victoire devant le Tribunal de première instance qui reconnaît alors l’état de nécessité ne sera que de courte durée. Les activistes sont déboutés par le Tribunal cantonal, puis Fédéral, avant de faire appel auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Or, celle-ci ne se prononcera pas avant plusieurs années. «Le temps de la justice est bien sûr trop lent, mais je crois en son pouvoir, sinon je ne pourrais plus faire mon métier. Je suis peut-être une indécrottable naïve, mais à chaque fois, je pense qu’on a une chance. Et je sais qu’un jour ou l’autre, on nous donnera raison», assure Marie-Pomme Moinat. D’ailleurs, le Tribunal cantonal vient d’acquitter des activistes dans le cadre du procès des 200, à la suite des blocages d’Extinction Rebellion durant lesquels elle avait alors participé comme «observatrice légale». Le 16 septembre dernier, l’association Avocat.e.s pour le Climat a été lancée officiellement afin de passer de la défense à l’attaque, «pour que l’accusé change de camp», pour permettre aux citoyennes et aux citoyens «de poursuivre à leur tour l’Etat, ainsi que les entreprises les plus polluantes». Et si les vents tournaient…