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Entre prévisions économiques et négociations salariales

portrait d'Yves Defferrard
© Neil Labrador/archives

Responsable de l’industrie au comité directeur d’Unia, Yves Defferrard s’exprime sur les prévisions économiques du KOF. Des données utilisées par le patronat pour contrer les revendications de hausse des salaires. Pour le syndicaliste, cette attitude ne fait que renforcer la volonté et la nécessité de se mobiliser.

L’économie suisse ne serait plus au beau fixe selon le KOF. L’industrie manufacturière marque le pas. Les patrons en profitent pour dénoncer les revendications salariales

Début août, le Centre de recherches conjoncturelles KOF, rattaché à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, alertait sur la situation des affaires en Suisse, certains secteurs risquant d’être affectés par le ralentissement de l’économie mondiale. Le KOF base ses prévisions sur des enquêtes effectuées auprès des entreprises. Dans son communiqué du 7 août, il évoquait une détérioration des affaires en juillet dans la majorité des secteurs économiques interrogés, avec une plus forte incidence dans l’industrie manufacturière où l’indicateur était à la baisse pour le sixième mois consécutif. «Ce secteur économique connaît un net ralentissement», note le KOF, indiquant que la tendance était plus marquée dans les entreprises orientées vers l’exportation. Autres secteurs à la peine, les services financiers et d’assurance, la construction et l’étude de projets. Les perspectives sont en revanche positives pour les secteurs de la consommation, du commerce de détail et de l’hôtellerie-restauration. Selon le KOF, tous les secteurs font encore face à une pénurie de main-d’œuvre, qui reste un problème urgent pour les entreprises, mais s’atténue dans la construction, l’industrie manufacturière et le commerce de gros.

L’enquête a également porté sur les perspectives inflationnistes. Les prix vont poursuivre leur ascension dans certaines branches alors que la hausse devrait ralentir dans d’autres. Le secteur principal de la construction prévoit même une baisse des prix de ses prestations. En moyenne, les entreprises disaient s’attendre à une hausse des prix à la consommation de 2,5% durant les douze prochains mois.

Une semaine plus tard, le KOF dévoilait son enquête sur les salaires auprès des entreprises. Ces dernières prévoient une hausse des salaires de 2% en moyenne. A l’exception notamment de l’industrie de transformation qui annonce 1,5% et du commerce de gros qui prévoit 1,6%. Seule l’hôtellerie-restauration se situe en dessus de la moyenne en tablant sur une augmentation de 3,8%. Le KOF signale qu’avec une hausse des salaires de 2%, «le pouvoir d’achat fondrait complètement si le renchérissement de 2,5% prévu par les entreprises se produisait».

L’Union patronale suisse a réagi peu après les communications du KOF. Prenant prétexte du climat économique qui s’assombrit, les patrons ont dénoncé les «exigences salariales excessives» des syndicats. Rappelons que l’Union syndicale suisse revendique des hausses de 5% pour 2024 afin de compenser le renchérissement et les baisses de salaires réels.

Le point sur la situation dans l’industrie avec Yves Defferrard, responsable du secteur au comité directeur d’Unia.


Le KOF parle d’une détérioration des affaires en Suisse, en particulier dans l’industrie manufacturière. Qu’en est-il concrètement?

On ne peut jamais faire des généralités. Certaines entreprises industrielles fonctionnent extrêmement bien, font d’énormes bénéfices. Comme dans la chimie par exemple, branche renforcée par la pénurie de médicaments actuelle. Il est possible qu’il y ait une baisse des affaires dans des cas isolés. Nous devons être prudents et analyser entreprise par entreprise. Au niveau de l’exportation, la situation en Ukraine et l’instabilité ont eu des incidences, en positif et en négatif, sur l’industrie suisse.

Un autre élément dont on doit tenir compte est la force du franc. S’il y a quelques années nous avions demandé à l’Etat d’intervenir pour abaisser son cours qui pénalisait les exportations, ce n’est pas le cas aujourd’hui. L’inflation est beaucoup plus importante dans les pays qui nous entourent, les prix des marchandises y ont fortement augmenté, ce qui permet aux entreprises suisses d’avoir des tarifs toujours très attractifs. De plus, la qualité de nos produits est reconnue, c’est un atout très important.

Quelles ont été les répercussions sur l’industrie suisse de la guerre en Ukraine?

Dans certains cas, il y a eu davantage de volume de travail en raison de fermetures de sites en Russie ou de bombardements d’usines en Ukraine. La production a été redistribuée dans d’autres sites européens, y compris en Suisse. Certaines entreprises ont dû augmenter leur main-d’œuvre temporairement ou effectuer des heures supplémentaires.

Au niveau de la production d’armement, je ne pense pas qu’il ait eu de grande hausse de production, notamment chez Ruag, en raison de l’interdiction de réexportation dans les pays en guerre. Mais on ne peut pas exclure que le volume de certaines pièces utilisées pour la fabrication d’armes ailleurs, ou pour des véhicules, ait augmenté.

L’Union patronale suisse s’est saisie des prévisions du KOF pour contrer les revendications salariales des syndicats. Est-ce justifié?

Il s’agit d’un rituel des organisations patronales qui se plaignent toujours quelques mois avant les négociations. Ce sont des gesticulations totalement absurdes. Chez Unia, avec les commissions du personnel, nous n’allons pas nous laisser influencer par ça. Nous allons analyser la situation de chaque entreprise. Dans les machines par exemple, on entend les mêmes jérémiades. Or, les demandes de construction de trains ou d’ascenseurs ne faiblissent pas, au contraire. Dans l’horlogerie, les affaires fonctionnent bien. La chimie pareil. Certaines sociétés ont pu être davantage affectées par la guerre, notamment celles sous-traitant pour un seul gros client, dans l’automobile par exemple. Mais il s’agit là de mauvaise stratégie d’entreprise.

Chaque année, les employeurs trouvent des moyens pour ne pas augmenter les salaires. On l’a constaté l’an passé dans de nombreuses entreprises où les commissions du personnel ont négocié seules, sans l’appui du syndicat. Les résultats ont laissé de nombreux travailleurs sur la touche. Avec par exemple des hausses individuelles qui bénéficient surtout aux managers et aux membres de la direction ou des bonus qui ne sont pas garantis sur le long terme. Ces mêmes sociétés disent qu’elles n’ont pas d’argent pour des augmentations générales mais distribuent de juteux dividendes à leurs actionnaires.

L’annonce de l’Union patronale ne fait que renforcer la motivation du secteur industrie d’Unia de se mobiliser massivement pour le pouvoir d’achat et pour les négociations salariales. Elle justifie d’autant plus la mobilisation des salariés. Je les appelle à rejoindre les rangs de la manifestation pour des hausses de salaire le 16 septembre à Berne.

Le secteur industrie a-t-il déjà défini ses revendications salariales?

Nous allons préparer les négociations salariales avec les commissions du personnel et les membres d’Unia sur la base de chiffres et d’analyses précises pour chaque société. Des séminaires par branche sont planifiés dans toute la Suisse. J’invite tous les syndiqués à y participer*. Dans tous les cas, les revendications seront supérieures au taux d’inflation pour compenser la perte du pouvoir d’achat de ces dernières années.

L’an passé, les résultats des négociations ont été plutôt corrects dans l’horlogerie. Dans l’industrie des machines, la CCT prévoit une indexation automatique des salaires minimums. En revanche, les salaires réels n’ont pas été compensés. Dans la chimie, d’importantes revalorisations sont nécessaires. Il y a un fossé indécent entre les bénéfices réalisés et la redistribution qui n’arrive pas dans les poches des travailleurs mais dans celles des actionnaires et des managers. Dans l’industrie alimentaire, il y a de fortes disparités. Par exemple entre des sociétés produisant des pizzas ou autres produits pour Migros ou Coop qui les pressent comme des citrons. Ou chez Nestlé, qui se trouve dans la même situation que dans la chimie, avec des bénéfices importants. On y constate de meilleurs résultats là où existe une CCT, comme chez Nestlé Waters et Nescafé, où les salariés bénéficient d’une redistribution généralisée plus importante que chez Nespresso par exemple où la part au mérite est la règle.

* Les informations et inscriptions peuvent être obtenues auprès de: industrie [at] unia.ch (industrie[at]unia[dot]ch)

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