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«On nous a baladés. Ce qu’on nous a promis, on veut le démanteler»

Une centaine de participants ont assisté au débat et pris connaissance des arguments syndicaux, patronaux et de l’UE.
© Thierry Porchet

Une centaine de participants ont assisté au débat et pris connaissance des arguments syndicaux, patronaux et de l’UE.

Pierre-Yves Maillard, président de l’Union syndicale suisse, a croisé le fer avec Petros Mavromichalis, ambassadeur de l’Union européenne en Suisse, il y a dix jours à Lausanne

Le discours était clair et net. Les échanges francs. Les positions affirmées. Invités par la Chambre du commerce suisse pour la Belgique et le Luxembourg, le président de l’Union syndicale suisse (USS), Pierre-Yves Maillard, et l’ambassadeur de l’Union européenne en Suisse, Petros Mavromichalis, ont croisé le fer le 28 novembre à l’hôtel Royal Savoy à Lausanne. Le thème du débat: «La libre circulation des personnes, un obstacle à la conclusion d’un accord avec l’Union européenne?» Etaient présents également Blaise Matthey, ancien directeur de la Fédération des entreprises romandes; Isabelle Schlesser, directrice de l’Agence pour le développement de l’emploi du Luxembourg; Christelle Luisier, présidente du Conseil d’Etat vaudois; et Rémy Wyler, professeur de droit. Mais tous les regards étaient tournés vers le duel Maillard - Mavromichalis.

Révolution copernicienne

Une vingtaine de jours auparavant, l’USS avait brûlé la politesse au Conseil fédéral qui s’apprêtait à dévoiler les résultats des discussions exploratoires avec l’Union européenne (UE) menées depuis avril 2022, après l’abandon de l’accord-cadre institutionnel. Les syndicats avaient dénoncé plusieurs points inacceptables issus de ces pourparlers.

«Qu’est-ce qui coince M. Maillard?», a demandé Frédéric Koller, journaliste animant le débat. La réponse a fusé: «A peu près tout!» Pour l’expliquer, Pierre-Yves Maillard est revenu un peu en arrière: «Dans les années 1990, les syndicats ont fait une révolution copernicienne. Pendant des décennies, ils étaient assez favorables au contingentement de la main-d’œuvre afin de limiter les offres de travail venant de l’étranger. Le revers de la médaille, c’était la création de sous-statuts précaires. Or, c’était devenu une évidence que tous devaient avoir le même statut sans déréguler les salaires suisses, trois fois plus élevés. Pour y arriver, les syndicats ont changé de paradigme: il faut protéger les salaires et plus les frontières. C’est grâce à cela qu’ils ont soutenu l’accord de libre circulation des personnes avec des mesures d’accompagnement.» Ces mesures, «c’est une histoire à succès. Nous avons réussi un petit miracle», a souligné le syndicaliste, tout en reconnaissant une pression sur les salaires: «Un ouvrier des machines du Nord vaudois vient de me rappeler que 3600 francs par mois ne permettaient pas de vivre.»

Mesures discriminatoires

Pierre-Yves Maillard a dénoncé la rupture de confiance de la part du Conseil fédéral et de l’UE: «Le processus à succès de la protection des salaires est remis en cause. Demander l’application des salaires suisses est considéré comme discriminatoire par l’UE. On nous a baladés. Tout ce qu’on nous a promis, on veut le démanteler.» Il a poursuivi en accusant l’ambassadeur de l’Union de vouloir une libre circulation sans mesures d’accompagnement et en rappelant les points attaqués par l’UE, notamment la surveillance paritaire des conditions de travail, le nombre de contrôles jugés disproportionnés, «ils veulent les diviser par 15!», et les frais professionnels des travailleurs détachés qui devraient être payés au tarif du pays d’origine.

Blaise Matthey a présenté la position patronale: «Si les syndicats ont fait leur révolution copernicienne, le patronat l’a faite aussi. A l’époque, il ne voulait pas de mesures d’accompagnement. C’était le prix politique à payer. Le discours actuel est qu’on va les maintenir, les adapter. Par contre, nous ne sommes pas d’accord d’aller vers un renforcement. Je défends le corporatisme libéral que nous avons en Suisse, le travail pratique sur les chantiers entre patrons et syndicats.»

«Nos entreprises n’aiment pas ces mesures»

Prenant enfin la parole, Petros Mavromichalis s’est aussi appuyé sur le passé et les «relations gagnant-gagnant» entre la Suisse et l’UE: «Après l’échec de l’Espace économique européen, notre projet était d’aider la Suisse à adhérer à l’Union européenne. C’est pour cela que nous avons accepté les accords bilatéraux. Ils devaient être transitoires. D’où la non-inclusion de la reprise évolutive du droit de l’UE.» Il a tancé la Suisse qui bénéficie le plus du marché intérieur tout en reprenant la législation de l’UE à la carte. «Les mesures d’accompagnement sont contraires à l’accord que nous avons avec la Suisse. Depuis quinze ans, l’UE se plaint de ces mesures. Pourquoi? Parce que cela ne met plus nos entreprises sur un pied d’égalité. C’est une distorsion de la concurrence.» Et d’expliquer qu’un constructeur de chalet valaisan voulant monter un chalet en Savoie n’a pas, comme son homologue français qui viendrait en Suisse, à payer de caution et ne risque pas ou peu de se faire contrôler. «Nos entreprises n’aiment pas ces mesures d’accompagnement. Idéalement, nous voudrions qu’elles n’existent pas du tout.» Quant aux discussions actuelles pour un nouvel accord, il a précisé: «Nous avons accepté des aménagements de ces mesures pour les rendre moins discriminatoires, moins disproportionnées.»

«Merci à M. Mavromichalis d’être aussi transparent et clair, a rétorqué Pierre-Yves Maillard. Cela montre deux choses. D’abord la volonté d’évacuer les mesures d’accompagnement développées depuis plus de vingt ans. Cela indique à quel point la soumission à la Cour de justice européenne est un véritable problème. On démantèle, puis on attend que la Cour liquide ce qui reste. La deuxième chose, c’est qu’il y a peu d’énergie mise dans la défense des salaires et j’ai des doutes que le Conseil fédéral soutienne les protections en Suisse. De ce qu’on a lu sur le projet, on ne va pas dans ce sens. Il y a par exemple des adjectifs problématiques disant que l’affaiblissement des conditions de travail ne doit pas être trop “significatif”.»

Compromis pour «adoucir» les mesures

Pour le président de la faîtière syndicale, seuls des salaires minimums nationaux, comme au Luxembourg, ou des CCT couvrant les 80% des salariés, permettraient aux syndicats d’aller de l’avant. Et d’avertir: «Il n’y a pas à douter une seconde de la détermination des syndicats à défendre les conditions de travail de ce pays. Nous combattrons toute attaque contre les mesures d’accompagnement!»

«L’UE n’a pas proposé de démanteler les mesures d’accompagnement. Mais nous sommes arrivés à un compromis pour les adoucir», a répondu Petros Mavromichalis. Au final, il a lancé un appel à avancer, «sans toutefois rouvrir le débat sur tous les points». Pour sa part, Pierre-Yves Maillard a exigé la réécriture d’une clause de sauvegarde protégeant réellement les salaires suisses et ceux des travailleurs détachés.

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