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Manger mieux grâce à une assurance sociale alimentaire

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© Olivier Vogelsang

Grâce à l’assurance sociale alimentaire, les paysans qui font de la vente directe, telle que la ferme de Bassenges près d'Ecublens, pourraient élargir leur clientèle.

Un groupe citoyen lance un appel pour créer une Assurance sociale alimentaire. Le point avec l’un de ses initiateurs, Alberto Silva, secrétaire politique à Uniterre et maraîcher à Siviriez

«L’Assurance sociale alimentaire (ASA) est un projet destiné à sortir de l'impasse du système agroalimentaire: métiers de la terre mal payés et alimentation de qualité trop chère pour une grande partie de la population! Financée solidairement par des cotisations proportionnelles au revenu selon le système de l’AVS, elle permettra à toute la population d’avoir accès à une alimentation choisie en connaissance de cause.» Ces quelques lignes font partie de l’Appel signé par un réseau d’une centaine de personnes, dont Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial auprès de l’ONU, ou encore l’ancien parlementaire Josef Zisyadis à l’origine de ce projet avec Uniterre et le Mouvement pour une agriculture paysanne et citoyenne (MAPC). Concrètement, l’ASA permettrait d’offrir à chaque habitant une carte alimentaire de 80 francs par adulte par mois, et de 40 francs par enfant, à faire valoir dans des épiceries de quartier, dans des marchés ou des fermes. Les produits et les lieux conventionnés seraient choisis démocratiquement en permettant à la population de participer aux décisions du système alimentaire. Soit faire de l’alimentation un bien commun. Le financement fait écho à celui de l’AVS, à savoir une cotisation de 0,95% par employeur et par employé. Une tournée d’informations dans les cantons est prévue dès la rentrée, avec notamment Alberto Silva, secrétaire politique à Uniterre et maraîcher à Siviriez.

Comment est née cette idée?

A l’origine, nous avons constaté qu’une alimentation saine et locale n’est pas accessible à l’ensemble de la population. Le nombre de paysans, tout comme leurs revenus, baisse. Les prix à la consommation augmentent. Nous avons aussi été frappés par les files de gens qui venaient chercher de la nourriture lors du Covid. Personnellement, je travaille dans le maraîchage, en vente directe et avec des paniers, et j’observe que nos clients sont majoritairement aisés. Même si nos produits de saison, bios, ne sont pas forcément plus chers que dans les grands magasins. Notre idée d’ASA repose aussi sur de nombreuses expériences qui ont déjà cours en France ou en Belgique à des niveaux locaux. Si le droit à l’alimentation n’est pas encore reconnu dans la Constitution fédérale, une initiative parlementaire a été déposée dans ce sens en septembre 2023. Par ailleurs, Genève l’a inscrit dans sa Constitution cantonale en juin 2023. D’autres cantons empruntent cette voie, notamment Vaud et Fribourg. Nous avons besoin de cette base légale pour poursuivre notre projet d’ASA. Il s’agit de créer des espaces d’expérimentation en dehors de la concurrence du marché et de la grande distribution. Asseoir une base universaliste et obligatoire nous semble essentiel. Assurer l’approvisionnement en nourriture de qualité et saine pour toutes et tous, tout en garantissant des revenus dignes pour les agricultrices et les agriculteurs, est un enjeu social, éthique et de santé publique.

A la suite de votre conférence de presse fin mai, la Fédération des entreprises romandes s’oppose en raison de la cotisation patronale. Plus surprenant, des œuvres d’entraide ont parlé de «fausse bonne idée» arguant, dans les médias, du besoin de cibler les personnes les plus précaires ou encore de ne pas prescrire aux gens ce qu’ils doivent manger… 

J’ai été très surpris en effet, car les gens qui reçoivent les sacs de nourriture de Caritas ou des Cartons du cœur, par exemple, ne choisissent pas leur contenu. Ces prestations d’aide se basent sur la charité et non sur la solidarité, non pas sur un droit universel, mais sur des conditions d’octroi. L’aide alimentaire nous empêche d’aborder le problème moral et politique de nourrir les populations précaires avec les restes de l’ensemble de la société. Elle peut également être perçue de manière stigmatisante pour les bénéficiaires. L'aide alimentaire peut être un outil utile en situation d'urgence, mais n'est pas souhaitable à long terme.

Notre projet profite à l’ensemble de la population, dont les travailleurs aux revenus modestes, mais peut-être a-t-il été mal compris? Reste que nous ne pouvons pas continuer à faire reposer l’ensemble du système alimentaire sur l’argent que les personnes sont prêtes à dépenser pour se nourrir, soit actuellement en moyenne 9% des budgets des ménages. Ce qui est très peu. Le politique doit agir. L’ASA vise à rectifier trois paramètres: les écarts de salaires de la population, la baisse inquiétante des revenus agricoles et le gaspillage alimentaire généré par le système actuel. C’est paradoxal: d’un côté on crée une montagne de gaspillage alimentaire, de l'autre, de plus en plus de personnes n’arrivent pas à se nourrir. 

Le calibrage imposé par la grande distribution, par exemple, n’est plus soutenable. Même si le montant alloué, bien sûr encore à discuter, n’empêchera pas les gens d’aller dans les grandes enseignes. De plus, il n’y a aucune obligation d'utiliser le montant versé sur la carte. On donne à la population la possibilité du choix.

L’ASA est ambitieuse et son processus risque d’être long, mais avons-nous ce temps face aux enjeux climatiques qui nécessitent, entre autres mesures, de consommer local et bio?

Nous ne parlons pas d’agriculture biologique, car nous voulons permettre à la majorité des paysans de participer à l’ASA. Quant au temps, l’AVS, ce modèle bien ancré et dont la population a prouvé son attachement avec la 13e rente, a mis plus de vingt ans avant de se concrétiser. Nous allons devoir convaincre beaucoup de monde, mais j’espère bien voir l’ASA en œuvre avant ma retraite… dans 29 ans.

Davantage d’informations sur: assurance-alimentaire.ch

 

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