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La grogne monte de partout contre le surtourisme, en Suisse comme ailleurs

Touristes à Lucerne
© Thierry Porchet

A Lucerne, très prisée des touristes du monde entier, un élu veut geler la construction d'hôtels et interdire les valises à roulettes.

Après Venise et Barcelone, Lucerne ou Lauterbrunnen subissent l’afflux massif de visiteurs. Des mesures sont envisagées pour l’endiguer.

Chaque année, on sent la grogne monter un peu plus. Jadis courtisés pour la manne qu'ils rapportent, les touristes sont de plus en plus perçus comme un fléau. Cette année, les manifestations contre le tourisme de masse — désigné par le néologisme «surtourisme» — se sont multipliées dans plusieurs pays.

Venise, Barcelone, Amsterdam, Dubrovnik, Annecy, etc. Nombreuses sont les villes où les nuisances du tourisme ont fini par l'emporter sur ses bienfaits. Avec ses montagnes et ses paysages de carte postale, la Suisse n'est pas en reste.

«Tourists, go home!» Cet été, le slogan a fleuri sur les murs de Barcelone. Des manifestants y ont même exprimé leur ras-le-bol en aspergeant les touristes au pistolet à eau. Il faut dire que dans la capitale catalane, la location de logements de vacances du type Airbnb à fait bondir les loyers de 68% en dix ans et chassé les habitants du centre-ville. Les autorités ont donc pris une décision drastique, celle de ne plus autoriser à l'avenir la location saisonnière d'appartements. Annecy, en Haute-Savoie, souhaite pour sa part plafonner le nombre de ces logements, mais la mesure est encore suspendue à un recours des propriétaires-bailleurs.

Berlin a déjà agi dans ce sens, avec succès: «La régulation des locations de courte durée a permis de faire rebaisser les loyers», indique Nathalie Stumm, sociologue, enseignante à la HES-SO Valais-Wallis, spécialisée dans les questions liées au tourisme. «Par exemple, pour un appartement de 65 m2, le loyer a diminué en moyenne de 38 euros, selon les chiffres de 2021.»

Des villes transformées par le tourisme

Ces locations d’appartements de vacances n’ont pas qu’un effet sur les loyers, mais elles modifient aussi la vie des quartiers où elles s’implantent. «Les commerces s’alignent sur les besoins des touristes au lieu de ceux des résidents, note la sociologue. Et ceux qui ne répondent pas à cette demande touristique ont tendance à disparaître. Les sites affectés par le surtourisme peuvent ainsi en perdre leur authenticité.»

D’autres destinations ont plutôt en ligne de mire l’offre hôtelière pour endiguer le surtourisme. A Lucerne, très prisée des visiteurs du monde entier pour son fameux pont en bois, le Kapellbrücke, un conseiller national suggère de geler la construction d’hôtels. Il propose par ailleurs d’interdire les valises à roulettes à cause du bruit qu’elles font sur les pavés de la vieille ville.

Interdire de bâtir de nouveaux hôtels, Amsterdam l’a déjà fait, en plus de limiter le nombre annuel de nuitées à 20 millions. Dans la capitale néerlandaise, ce sont surtout les nuisances et les incivilités des fêtards — davantage intéressés par les coffee-shops et les prostituées du Quartier Rouge que par les musées — qui exaspèrent les locaux. Pour dissuader ces visiteurs indésirables de venir, l’office du tourisme amstellodamois a lancé l’an dernier une campagne en ligne — sous le slogan «Stay away» — utilisant notamment des images choc de touristes au bord du coma éthylique ou de l’overdose. Et il semble que cela ait produit son petit effet.

La tendance du «démarketing»

«Après avoir cherché à séduire les touristes, certaines destinations font aujourd’hui machine arrière et pratiquent le “démarketing”, explique Nathalie Stumm. Il y en a même qui demandent aux influenceurs de ne pas préciser les données GPS des photos qu’ils publient sur les réseaux sociaux.» Une autre solution, comme cela se pratique par exemple en Suisse (lire ci-dessous), est de faire la promotion d’activités et de lieux alternatifs, hors des sentiers battus, afin de relâcher la pression sur les sites ultra-touristiques.

Internet, les réseaux sociaux et les sites de partage tels que Tripadvisor agissent comme accélérateurs du problème du surtourisme. Certains lieux peuvent ainsi se retrouver du jour au lendemain submergés par une ruée de visiteurs étrangers. C’est le cas du petit village d'Iseltwald, sur les bords du lac de Brienz, dans le canton de Berne. En 2019, une scène culte de la série coréenne «Crash landing on you», produite par Netflix, y a été tournée sur un ponton d’amarrage. Du coup, on a assisté à un défilé continuel d’aficionados de la série, essentiellement asiatiques, faisant la queue pour prendre des selfies sur ce fameux ponton. Cet afflux s'est toutefois atténué depuis que la commune a installé un tourniquet payant, obligeant les touristes à payer cinq francs pour y avoir accès.

Cette mode des pèlerinages sur des lieux de tournage a un nom: jet-setting, ou «ciné-tourisme» en français. Elle peut parfois générer des menaces pour l’environnement. A Maya Bay, en Thaïlande, décor du film «La Plage», avec Leonardo Di Caprio, le va-et-vient des bateaux de touristes faisant trois petits tours avant de s'en aller provoquait l’érosion de la plage et la dégradation du corail. Le site a ainsi été fermé aux visiteurs entre 2018 et 2022 afin de préserver la nature.

Lauterbrunnen et Tolkien

A mi-chemin entre Interlaken et la Jungfrau, la vallée de Lauterbrunnen et ses 72 cascades vertigineuses — dont la plus connue, celle du Staubbach, mesure 300 m de haut — est aussi devenue un haut-lieu du surtourisme en Suisse. Ces paysages spectaculaires ont inspiré le romancier Tolkien pour son chef-d’œuvre le Seigneur des Anneaux. De quoi attirer de nombreux voyageurs, qui ne laissent pas que de bons souvenirs: routes engorgées, poubelles qui débordent, etc. C’en est au point que les autorités locales envisagent d’instaurer une taxe journalière de 5 ou 10 francs pour les touristes qui ne viennent que pour la journée, dont seraient exemptés ceux qui ont réservé un hébergement ou qui prennent les transports en commun. Une telle taxe est déjà en vigueur à Venise depuis ce printemps.

«Les gens voyagent de plus en plus, constate Nathalie Stumm. En 2023, il y a eu 13 milliards de voyages internationaux.» Or, il y a un effet de concentration: selon l’Organisation mondiale du tourisme, 95% des touristes visitent moins de 5% des terres émergées, et 10 destinations représentent 50% du tourisme mondial. «Mais certaines destinations sont plus résilientes que d’autres face aux nuisances du tourisme de masse.»


«Pas un problème généralisé»

Suisse Tourisme dit prendre très au sérieux la question du surtourisme, et développer des solutions pour y répondre avec les acteurs locaux de la branche. Cela tout en relativisant la situation: «Ce n’est pas un problème généralisé en Suisse, estime Véronique Kanel, porte-parole de Suisse Tourisme. Il n’existe, en effet, que cinq à sept lieux dans le pays qui connaissent des goulets d’étranglement temporaires, principalement en été.»

Pour l'organisation, les solutions doivent donc être locales et ponctuelles, et acceptables autant par les résidents que par les touristes, «qui doivent encore se sentir bienvenus en Suisse». Il est possible de gérer les flux de visiteurs par exemple en limitant les capacités d'infrastructures telles que les parkings, ou en mettant en place un système de réservations pour accéder à certains sites. Des informations en temps réel sur le taux de fréquentation des lieux permettent aussi de réguler ces flux.

Itinéraires alternatifs

Autre possibilité : inciter les touristes à se tourner vers des attractions et lieux alternatifs. Ainsi, à Iseltwald, les cars postaux affichent des informations en coréen, visant à faire découvrir diverses lignes de bus menant vers d’autres points d'intérêt dans la région. On y fait également la promotion d’autres lieux filmés pour la série «Crash landing on you», accessibles avec les chemins de fer de la Jungfrau.

Suisse Tourisme agit par ailleurs en amont, afin d'influencer les choix des voyageurs en les incitant à venir aussi à d'autres saisons qu'en été, et à diversifier leurs itinéraires. «Il n’existe pas de solution universelle à un problème de pics de fréquentation touristique, ajoute Véronique Kanel. Les solutions doivent être adaptées aux lieux et aux circonstances.»

Enfin, Suisse Tourisme rappelle que selon une enquête publiée début juillet, seuls 5% de la population suisse se plaignent des nuisances du tourisme, la majorité appréciant ses effets positifs pour l'économie et l'emploi. 

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