Un remède pire que le mal
Limiter les séjours hospitaliers en misant sur les traitements en ambulatoire plutôt qu’en stationnaire, uniformiser les tarifs, introduire une nouvelle clé de répartition des coûts avec un transfert des contributions des cantons aux assurances maladie, y compris pour les soins longue durée: voilà quelques aspects de la réforme du financement uniforme des prestations – connue sous l’acronyme alémanique EFAS – qui sera soumise au verdict des urnes le 24 novembre. Au-delà de la complexité de cette révision de la Loi fédérale sur l’assurance-maladie (LaMal), combattue par les syndicats – avec, en tête, le Syndicat des services publics – différents éléments devraient toutefois aider les citoyens à se positionner. Et surtout susciter leur méfiance vis-à-vis de ce projet qui constitue un pas supplémentaire vers la privatisation du système de santé, menace les dotations en personnel comme la qualité des soins et pèsera davantage encore sur le porte-monnaie des assurés. Et cela quand bien même ils subissent déjà chaque année de plein fouet des hausses de plus en plus insoutenables de primes – l’an prochain l’augmentation s’élèvera en moyenne à 6%.
Sans entrer dans les détails techniques d’EFAS, source de migraines garanties, on retiendra que la proposition implique un abandon d’une partie des responsabilités et un report des moyens financiers des cantons au profit des caisses maladie. Concrètement, ces dernières seront habilitées à gérer 13 milliards de francs issus de nos impôts, en plus des primes qu’elles encaissent déjà. De quoi asseoir leur pouvoir de négociations, sans qu’un véritable contrôle démocratique s’opère. Ce désengagement des pouvoirs publics vers le privé génère des craintes plus que légitimes. Aujourd’hui déjà, la manière dont les assurances gèrent leurs fonds ne brille pas par sa transparence – aucune garantie n’est donnée quant à leur bonne utilisation. Leurs propres intérêts serviront de boussole.
Source particulière d’inquiétude: EFAS concerne également les soins de longue durée, en d’autres termes la prise en charge en EMS et à domicile. Un poste qui, avec le vieillissement de la population, entraînera une escalade des coûts – selon les chiffres de l’Observatoire suisse de la santé, le nombre de personnes de plus de 80 ans va pratiquement doubler d’ici à 2040. Accorder aux assurances maladie une plus grande liberté de pilotage ne sera pas sans conséquences. Dans une logique commerciale, le personnel du domaine risquera bien d’en faire les frais avec des baisses des effectifs, des salaires qui deviendront des variantes d’ajustement. EFAS pourrait bien ouvrir la voie à une dégradation des conditions de travail dans un secteur largement féminisé et déjà à bas revenus. Et cela alors même que le travail aujourd’hui s’effectue à flux tendu. Les assurés sont de leur côté menacés de passer à la caisse. Avec une participation moindre des cantons, ils seront appelés à combler le déficit. Les syndicats n’hésitent pas à parler d’une «véritable bombe à retardement pour nos primes». Sans oublier l’abandon du plafonnement des frais à la charge des patients, comme le prévoit encore EFAS.
Si le système de santé, malade, doit faire l’objet d’une révision, celle-ci ne serait s’opérer au détriment des assurés et sur le dos des travailleurs et des travailleuses du domaine. Opter pour le remède EFAS, validé par le Parlement en décembre dernier après une quinzaine d’années de travaux, c’est accepter un nouveau démantèlement du service public. C’est prendre le risque de voir la facture des primes encore s’alourdir. C’est dire oui à un financement des soins plus antisocial encore que celui en vigueur. Et ce alors même que le modèle helvétique, ne tenant pas compte des revenus des salariés dans le calcul des cotisations à l’assurance maladie, est déjà le moins solidaire d’Europe, chacun, riche ou pauvre, s’acquittant du même montant. Une somme qui, depuis l’entrée en vigueur de la LaMal, en 1996, a presque triplé.