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Adapter les salaires des frontaliers à l'euro n'est pas légal

Un tribunal de Bâle-Campagne vient de déclarer abusif le licenciement de six frontaliers ayant refusé une baisse de leur salaire

L'entreprise Stöcklin Logistics AG a été condamnée en première instance pour le licenciement abusif de six frontaliers ayant refusé une diminution de 6% de leur salaire au motif qu'ils vivaient en France et qu'ils bénéficiaient d'un taux de change favorable. Un recours n'est pas exclu, mais le droit est clair et la discrimination n'est pas admise.


«Ce verdict est d'une importance nationale. Il a clairement été dit que les employeurs suisses ne peuvent reporter le risque de l'entreprise sur leurs collaborateurs, en l'occurrence sur les frontaliers en baissant leurs salaires en fonction du taux de change. Et le jugement réaffirme que la discrimination entre travailleurs frontaliers et ceux vivant en Suisse est interdite par l'accord sur la libre circulation des personnes.» Christian Gusset, membre de la direction du secteur industrie d'Unia, se réjouit du résultat du procès entamé par six travailleurs frontaliers licenciés pour avoir refusé une diminution de leur paie de 6%. Une baisse imposée à tous les frontaliers de l'entreprise sous prétexte qu'ils bénéficient d'un taux de change favorable. Le 31 janvier, le tribunal du district d'Arlesheim à Bâle-Campagne a en effet jugé que leurs licenciements étaient abusifs et discriminatoires, la baisse de salaires n'étant demandée qu'aux travailleurs habitant de l'autre côté de la frontière. Le tribunal, à l'unanimité de ses trois juges, a condamné l'employeur, Stöcklin Logistic AG, à payer à chacun des six travailleurs une indemnité correspondant à 6 mois de salaire, soit le maximum pouvant être obtenu en cas de licenciement abusif.

Stöcklin doit revenir en arrière
«L'entreprise pourrait faire recours au tribunal cantonal, mais elle a peu de chance de gagner, le droit est clair», relève Christian Gusset. «Pour Unia, ce jugement est un signal important, ajoute-t-il. Nous exigeons de Stöcklin et des entreprises concernées qu'elles renoncent à toute baisse des rémunérations motivée par les variations du taux de change, ainsi qu'au versement des salaires directement en euros comme le font certaines.»
Rappelons que l'entreprise Stöcklin Logistik, employant quelque 350 personnes à Aesch près de Dornach, avait décidé en été 2010 de diminuer de 6% le salaire de ses 120 frontaliers pour les adapter au cours de l'euro. Cela représentait une perte d'au moins 300 francs par mois. Tous les travailleurs frontaliers ayant refusé de signer leur nouveau contrat de travail ont été licenciés. Six d'entre eux, au service de l'entreprise depuis 25 ou 30 ans, ont contesté leur licenciement devant la justice. Ils sont soutenus par Unia, l'un étant membre du syndicat, et les autres par le Comité de défense des frontaliers du Haut-Rhin.
A l'époque, la commission tripartite cantonale chargée de surveiller le marché du travail avait été saisie du cas de Stöcklin Logistik, mais avait jugé que 6% de salaire en moins - pour un tiers des travailleurs de l'entreprise - n'était pas de la sous-enchère. «Le jugement de la semaine dernière est un clair désaveu apporté à la commission tripartite», souligne Christian Gusset.

Pratique non isolée
Le Conseil fédéral lui-même, interpellé sur ces pratiques de baisse des salaires et de versement des salaires en euros, avait estimé en février 2011 que le cas de Stöcklin n'était qu'un cas isolé. Or la réalité est tout autre. Rien qu'à Bâle, Unia connaît une dizaine d'entreprises usant de telles pratiques.
C'est le cas notamment de la société Jaquet Technology Group, dont le directeur n'est autre que le président de l'association patronale bâloise, Marc Jaquet. Cette association, au lendemain du verdict, s'est empressée de demander à Stöcklin Logistik de faire appel contre le jugement.
Et pour cause, depuis le 1er septembre dernier, l'entreprise Jaquet Technology Group paie ses 36 employés frontaliers directement en euros, sur un cours fixé à 1,29 franc pour un euro. Ce qui représente une perte d'environ 6% du revenu. A cela s'ajoute la hausse du temps de travail pour tous les collaborateurs - 120 au total - de 2,5 heures par semaine. L'horaire hebdomadaire est ainsi passé de 40h à 42h30, une hausse correspondant à 6% de travail non payé. Pour les frontaliers, la perte totale se monte à quelque 12% de la valeur de leur travail!
«Chez Jaquet, il n'y a pas eu de licenciement, et donc pas de plainte. Mais nous avons soumis l'affaire à la commission tripartite. Nous attendons sa décision et espérons que cette fois, elle prenne une position conséquente», précise Serge Gnos, cosecrétaire régional d'Unia à Bâle, tout en ajoutant: «Nous espérons que le verdict concernant Stöcklin mettra un terme à ce processus contraire à la loi. Nous ne nions pas le problème de la surévaluation du franc, mais il faut que le Conseil fédéral et la Banque nationale suisse prennent les mesures nécessaires. Il est temps d'aider les entreprises qui ont des problèmes, mais il n'est pas admissible que des travailleurs doivent payer pour garantir les bénéfices des entreprises, ces dernières prenant de surcroît des mesures illégales!»

Sylviane Herranz