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Alerte info: grève inédite à l'ATS

Opposé à une restructuration le personnel de l'agence de presse helvétique a engagé des mesures de lutte

La direction de l'Agence télégraphique suisse (ATS) met en œuvre un plan d'économies qui réduit de 35 postes équivalant à des plein-temps les quelque 180 places de travail que compte l'entreprise.

«Alerte info: l'Agence télégraphique suisse (ATS) connaît ce mardi après-midi un mouvement de grève en lien avec les mesures de restructuration qui touchent l'agence de presse. En conséquence, le service proposé sera minimum par rapport au courant normal.» Tel est le message que l'on pouvait lire ce 23 janvier dans le «fil ATS». Durant trois heures, les journalistes de l'agence de presse trilingue ont éteint leurs ordinateurs, seule une poignée de chefs a continué à alimenter le flux d'information dont se nourrissent les médias. Quelque 200 personnes se sont réunies devant le siège de l'ATS à Berne, avant de rejoindre en cortège un établissement public pour y tenir une assemblée. «Les journalistes commencent à se mobiliser syndicalement, ces derniers temps la branche a connu des débrayages et des manifestations, mais ce qui est spécial dans le cas de l'ATS, c'est qu'il s'agissait d'une véritable grève. Dans cette agence qui assure un service 24h sur 24, on n'a pas travaillé durant trois heures. Ça c'est très fort», remarque Stephanie Vornarbug, vice-présidente de Syndicom, syndicat qui, avec Impressum, soutient le personnel. Quatorze dépêches seulement ont été rédigées durant cette grève, alors qu'en temps normal l'agence en diffuse une cinquantaine.

19 millions de réserves...
Le personnel s'oppose à une restructuration qui conduira à la suppression de 35 postes équivalant à des plein-temps de journalistes sur un effectif total d'environ 180. Le plan d'économies annoncé par la direction au début du mois prévoit, outre des licenciements, des baisses du taux d'occupation et des départs à la retraite anticipée, une réduction du volume d'information produit, un regroupement des rubriques suisse et internationale en un seul pool, ainsi qu'un transfert des actualités économiques à la filiale financière de l'ATS, AWP, basée à Zurich.
Pour justifier ces coupes, la direction évoque une perte de 1 million de francs en 2017 et un recul prévu de 3,1 millions du chiffre d'affaires en 2018. Or, selon la commission de rédaction, l'entreprise dispose de 19 millions de réserves provenant de bénéfices antérieurs. Ces fonds permettraient d'atténuer l'ampleur de la restructuration, d'échelonner dans le temps les mesures inévitables et de financer un plan social digne de ce nom, comme l'a proposé en vain la commission du personnel durant la période de consultation. Mais il semble que ces millions soient promis aux actionnaires... qui sont aussi ses principaux clients, citons notamment Tamedia, le groupe NZZ et la SSR.

Mission de service public
Alors que les effectifs ont déjà été réduits de 20% depuis 15 ans, il est à craindre que ce plan d'économies ne vide de sa substance cette institution fondée il y a 125 ans. L'agence produit aujourd'hui environ 300 dépêches par jour, abondamment reprises par les quotidiens et les médias électroniques. En laissant des espaces blancs dans son édition du 24 janvier, là où devaient être insérées des brèves ATS, Le Courrier a montré en quoi cette restructuration pouvait constituer un affaiblissement de l'information.
Et la fusion avec Keystone pourrait conduire à de nouveaux licenciements et réduction du volume d'information. L'ATS va en effet s'unir à l'agence photographique au second trimestre 2018 si la Commission de la concurrence donne son feu vert. Avec 30% des parts, l'actionnaire de référence de la nouvelle entité deviendra l'Agence autrichienne de presse. Celle-ci perçoit aujourd'hui de généreux dividendes de Keystone, qu'elle contrôle à 50%, jusqu'à 1 million par année, et on voit mal comment elle pourrait y renoncer.
«Dans quelle direction va aller l'ATS? Combien de dépêches seront produites? Et de quelle qualité?», questionne Stephanie Vornarbug. «La direction n'a aucun projet crédible et pérenne pour cette agence qui assume une mission de service public des médias», regrette la vice-présidente de Syndicom.

Revendications balayées
«Les salariés se heurtent à un mur, pratiquement aucune de leurs revendications n'a été entendue. Le plus important est le timing qui va tellement vite que cela rend les gens malades.» La direction n'a en effet pas traîné, elle a convoqué les collaborateurs dès la semaine dernière pour des entretiens individuels. «Des licenciements, ainsi que des réductions du temps de travail et mises à la retraite forcées ont été prononcés. Des personnes ont éclaté en sanglots. Certains collègues qui ont des enfants à charge et des engagements financiers se retrouvent dans des situations difficiles», témoigne Gilles D'Andrès, journaliste et membre de la commission de rédaction.
Vendredi dernier, les représentants du personnel se concertaient sur le lancement de nouvelles mesures de lutte, comme l'organisation d'une journée de grève cette semaine. «On ne lâche rien», nous assurait à ce moment-là Gilles D'Andrès.

Les politiques à la rescousse
Ce mouvement social prend une tournure politique. Si la cheffe du Département fédéral de la communication Doris Leuthard a déjà annoncé qu'elle n'interviendrait pas dans un conflit «interne», plusieurs personnalités politiques ont rejoint les grévistes le 23 janvier, comme l'ancien vice-chancelier de la Confédération Oswald Sigg ou la conseillère nationale et coprésidente des Verts Regula Rytz. Des élus fédéraux prévoient d'intervenir au Parlement pour contraindre le Conseil fédéral à s'engager. Après tout, la Confédération est un important client de l'agence et pourrait lui accorder une subvention annuelle de 2 millions, selon un projet du Conseil fédéral en cours de consultation. Dans un communiqué, le Parti socialiste a appelé à pérenniser le rôle assumé par l'ATS, «au besoin à l'aide d'une agence d'information à but non lucratif». Pour le conseiller national socialiste Matthias Aebischer, «la Confédération doit sauver et pérenniser le service public assumé par l'ATS en fixant ses propres conditions et non pas en suivant celles des grands éditeurs».


Jérôme Béguin