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Améliorer les conditions de travail dans le commerce franchisé

Une étude montre qu'une CCT nationale de la vente permettrait de stopper les dérives et le flou juridique de ce secteur

Véritable défi pour le syndicat, la question du commerce franchisé a constitué le thème central de la 2e Journée nationale du commerce de détail organisée vendredi dernier par Unia. Une Journée ponctuée par des analyses portant sur la branche et les mobilisations du personnel ainsi que par le témoignage de deux syndicalistes allemands sur le mouvement de grève victorieux du personnel de la vente dans leur pays.

La 2e Journée nationale du commerce de détail d'Unia, qui s'est déroulée vendredi dernier à Berne, a rassemblé près d'une soixantaine de personnes occupées dans la vente ainsi que bon nombre de syndicalistes. En ouverture, les représentants syndicaux et les vendeuses de différentes régions ont rappelé les moments forts de la mobilisation du personnel, notamment la grève chez Spar, la victoire dans une affaire de dumping à Delémont et l'obtention d'une CCT cantonale dans la vente neuchâteloise, marquant l'interdiction du travail sur appel.

Flou juridique
Thème central de cette journée, la question du commerce franchisé a été présentée par Philipp Dubach, expert du Bureau d'études de politique du travail et de politique sociale (BASS). Auteur à ce sujet d'une étude fouillée, sur mandat d'Unia, ce dernier a d'abord souligné que le système du franchisage a pris une ampleur considérable dans la vente, en particulier avec Coop Pronto et Migrolino. Plantant le décor, il a rappelé que le franchisé, bien que juridiquement indépendant, était étroitement subordonné au franchiseur. Selon différents contrats, ce dernier détermine en général les produits à distribuer, les prix, le système de vente, d'organisation, de marketing ainsi que l'utilisation de l'image de la marque. De plus, le franchisé verse au franchiseur des redevances en échange des prestations dont il a la jouissance. Et il a bien sûr l'obligation de participer au capital de ce qui est censé être sa propre entreprise. Cette participation est le plus souvent fortement déséquilibrée. «Chez Coop Pronto par exemple, le franchisé doit verser 45000 francs alors que le franchiseur n'apporte qu'une contribution de 5000 francs», précise Philipp Dubach.
Ces disparités sont constitutives d'un vrai problème: le franchisé est-il un indépendant ou un employé? Comment distinguer parmi les nombreux systèmes ce qui est un contrat de franchise ou un contrat de travail? La législation ne permet pas de répondre clairement à cette question. «Le contrat de franchise n'est pas expressément réglé en droit suisse», note le spécialiste. Face à ce vide juridique, les tribunaux tranchent au cas par cas. Et les syndicats sont parfois appelés à défendre des franchisés qui sont en réalité des salariés que l'on a forcé à se déclarer «indépendants», sous peine de perdre leur emploi.

Les pistes syndicales
L'étude du BASS montre que bon nombre de franchiseurs recherchent en priorité des franchisés acceptant de travailler en famille. «Cela permet entre autres d'échapper aux contraintes légales sur les horaires de travail et d'ouverture qui s'appliquent aux employés. Les membres de la famille n'y sont pas soumis», observe Philipp Dubach. Et contrairement à ce que l'on imagine souvent, le franchiseur, s'il est signataire d'une convention collective, n'est pas tenu de l'imposer au franchisé. Ce dernier peut ainsi agir à sa guise. Tout au plus lui est-il parfois conseillé de calquer ses conditions sur celle de la CCT. Autrement dit, les vendeuses de Migrolino ou de Coop Pronto n'ont pas forcément les mêmes conditions de travail que leurs pairs chez Migros ou Coop.
Que peut faire le syndicat pour défendre les employés des franchisés? Où mettre les priorités? Le BASS explore un certain nombre de pistes. Etendre les conventions d'entreprise existantes au personnel des franchisés? Unia a déjà proposé cette solution à plusieurs enseignes, mais ces dernières la refusent. Spécifier dans le contrat de franchisage le devoir d'observer la CCT? Cela ne revêtirait pas un caractère suffisamment contraignant. Inciter la Fédération suisse de la franchise à insérer dans son code de déontologie des normes portant sur le respect des conditions de travail? Là aussi, cette démarche n'est juridiquement pas contraignante. Finalement, la solution la plus efficace préconisée par le BASS est ce conclure «une CCT de branche dans le commerce de détail, valable dans toute la Suisse et réunissant les conditions nécessaires à sa déclaration de force obligatoire». Unia est exactement sur cette même longueur d'onde.

Pierre Noverraz



Vers une CCT nationale

Vania Alleva, coprésidente d'Unia et responsable du secteur tertiaire, a rappelé que le défi lancé par Unia en 2004, consistant à «repeupler le désert syndical du commerce de détail», avait été relevé. Pour preuve, en 2005 Unia comptait déjà 9000 membres issus de ce secteur, et aujourd'hui, ce nombre s'élève à 14000. Mais au-delà des adhésions, la progression syndicale s'est aussi inscrite sur le terrain, avec des luttes, parfois des grèves, qui ont débouché sur des hausses de salaire et la conclusion de conventions collectives. La campagne sur le salaire minimum, à défaut d'un succès dans les urnes, a permis tout de même de sensibiliser l'opinion et d'aboutir à des relèvements de salaire dans la branche. Le syndicat s'est également montré très actif sur le terrain de la santé au travail et de la lutte contre l'extension des heures d'ouverture des magasins. Le revers de la votation fédérale sur les shops ne doit pas faire oublier le fait que les partisans de l'élargissement des horaires ont perdu 13 des 15 votations cantonales à ce sujet.
Et l'avenir? Pour Vania Alleva, les priorités vont à l'amélioration des conditions de travail, à la lutte contre les bas salaires et à la revalorisation des métiers de la vente. Et bien sûr à la conclusion de conventions collectives. «A terme, le but est de parvenir à une CCT nationale de force obligatoire, pour toute la branche».
PN

 

Chronique d'un combat exemplaire en Allemagne

Les participants à cette 2e Journée du commerce de détail ont été conquis par le récit captivant des secrétaires syndicaux allemands de Ver.di, Doris Below-Kowal et de Wolfgang Krüger, à propos d'un des plus grands mouvements de lutte des vendeuses (et vendeurs) jamais mené dans le Land du Bade-Wurtemberg.
Tout a commencé en mars 2013 lorsque le patronat de la vente a non seulement bloqué les négociations salariales mais aussi résilié la CCT de la branche. Avec le puissant syndicat Ver.di, le personnel en colère a multiplié pendant plus de neuf mois les manifestations, les pétitions, les grèves et les actions de boycott des grands magasins, tout en s'employant à sensibiliser la clientèle ainsi que les médias.
En décembre 2013, le patronat a fini par céder. La CCT a été reconduite et des augmentations comprises entre 2,1 et 3% ont été obtenues. Ce résultat a fait des émules dans toute l'Allemagne. Partout où les organisations patronales ont tenté le coup de force contre les CCT, elles ont été mise en échec. Face aux auditeurs, Doris Below revivait tout cela avec enthousiasme: «Nous avons gagné parce que cette lutte était créative, solidaire et déterminée. Les vendeuses et les commissions d'entreprise étaient fortes. Elles n'ont rien lâché.»
PN