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Chavez le président des travailleurs pauvres

Dans son dernier livre le journaliste Ignacio Ramonet dévoile un Hugo Chavez plein d'humanité

Ancien directeur du Monde diplomatique actuellement responsable de la version espagnole de ce mensuel, Ignacio Ramonet est l'auteur de nombreux ouvrages consacrés à la géopolitique, à l'Amérique latine et à la critique des médias. Le journaliste est aussi un intellectuel engagé à l'origine de la création de l'association Attac et du Forum social mondial dont il a proposé la devise: «Un autre monde est possible».

Résultat de plus de 200 heures de conversations avec le président vénézuélien décédé en 2013, Ignacio Ramonet vient de publier «Hugo Chavez Ma première vie». A l'invitation du collectif «Amérique latine Résistances!», l'auteur a récemment présenté ce livre d'entretiens à l'Université ouvrière de Genève. L'occasion était trop belle d'interroger le journaliste sur Chavez, son apport à son pays et à l'Amérique latine autant que sur les derniers développements de l'actualité vénézuélienne.

On connaît mal le jeune Chavez. En lisant votre ouvrage, on découvre un personnage plein d'humanité. Pouvez-vous nous donner un aperçu?
Hugo Chavez est né dans un milieu très défavorisé. C'est un enfant de paysans, qui vivaient de ce que leur procurait un petit lopin de terre. C'est un garçon qui a été très curieux, sans doute avec un quotient intellectuel élevé, il a toujours été bon élève. Il a eu aussi la volonté de s'éduquer en parallèle de son cursus scolaire et de ses études supérieures. C'est un autodidacte, il a lu tout ce qui se présentait à lui. Il avait indiscutablement des goûts pour la culture, il aimait la peinture - il voulait d'ailleurs devenir peintre -, il s'intéressait à la musique, au cinéma, à la bande dessinée, au théâtre ou à la littérature. Il fut d'ailleurs écrivain, auteur de théâtre dramaturgique, poète, musicien et chanteur. Tous ces aspects font de Chavez un personnage très original et on ne peut comprendre sa singularité sans en tenir compte.

De 1999 à 2013, il a été président du Venezuela. Pouvez-vous résumer ce qu'il a apporté à son pays?
Si on devait le rapporter à des paramètres français, on dirait que Chavez c'est à la fois le Front populaire et de Gaulle. Le Front populaire pour les avancées sociales en termes de congés payés, de retraites, d'école et de santé gratuites, tout ce que l'on appelle la sécurité sociale; de Gaulle pour la souveraineté et la dignité nationales.

Qu'est-ce qui a changé concrètement pour les travailleurs?
Tout. Les deux tiers des habitants vivaient dans la pauvreté et plus d'un million de sans-papiers n'avaient pas d'existence administrative. Chavez a assuré le plein-emploi, intégré les sans-papiers, lancé un programme de construction de 2 millions de logements, créé un salaire minimum et tous les attributs de la sécurité sociale. Des Vénézuéliens ont pu pour la première fois voir un médecin; des ophtalmologues ont ainsi rendu la vue à des centaines de milliers de personnes. Et on pourrait multiplier les exemples. Il a transformé sociologiquement son pays.

Quelles étaient ses relations avec les syndicats?
Les syndicats n'étaient puissants que dans deux secteurs, l'industrie pétrolière et la sidérurgie. Ils disposaient de privilèges et étaient liés à la social-démocratie contre laquelle Chavez s'était révolté en considérant qu'elle avait oublié sa mission politique. Ces syndicats ne l'ont pas suivi lorsqu'il a organisé le secteur informel. Il a donné une retraite à des vendeurs de rue en jugeant qu'ils avaient le droit à une pension même sans avoir cotisé. Pareil pour les mères au foyer: il pensait qu'élever des enfants est un travail et que les femmes ont le droit de toucher une pension à l'âge de 60 ans. Il y a eu une confrontation entre les syndicats, qui partaient du principe que seuls les salariés ont le droit à certains avantages, et Chavez, qui considérait que tous les citoyens doivent en bénéficier.

Les médias européens utilisent volontiers le terme de «populisme» pour désigner le chavisme, mais vous récusez ce qualificatif.
Quand un gouvernement fait des réformes de gauche et qu'on veut les critiquer, on dit que c'est du «populisme». C'est aussi simple que cela.

Il y a aussi nombre de critiques concernant la liberté de la presse. Vous êtes journaliste, comment voyez-vous les choses?
C'est une campagne qui dure depuis 15 ans. Quand vous allez au Venezuela, vous pouvez cependant constater qu'il existe des journaux, des radios et des télés d'opposition. Gouvernant des provinces et de nombreuses villes, l'opposition politique est puissamment organisée. S'il n'existait ni liberté de la presse ni démocratie, son leader, Henrique Capriles, n'aurait jamais atteint 49,8% des voix à la dernière élection présidentielle.

La gauche est souvent méfiante à l'égard des leaders charismatiques comme le fut Chavez. Qu'elle est votre opinion?
Il existe certes une tradition marxiste pour laquelle ce sont les forces populaires, les classes sociales qui font la révolution, pas les leaders... Qu'aurait été toutefois la révolution soviétique sans Lénine, la révolution cubaine sans Castro ou la révolution bolivarienne sans Chavez? On peut en discuter longtemps. Je pense qu'il y a des moments dans l'Histoire où des leaders - hommes ou femmes - parviennent à cristalliser un sentiment général qu'il aurait été très difficile d'intégrer dans une organisation commune. C'est ce qui s'est passé en Amérique latine, non seulement avec Chavez, mais également autour de Morales, Correa, Kirchner, Mujica ou Lula. Aujourd'hui, il y a de nouvelles organisations qui admettent le besoin de leaders, comme, en Espagne, Podemos. Il peut y avoir 5 millions d'Indignés dans les rues, sans leader, il n'y a pas de perspective politique.

Vous écrivez dans l'introduction à votre livre que Chavez a «impulsé une transformation copernicienne, non seulement du Venezuela mais aussi de toute l'Amérique latine». En quoi a-t-il contribué à changer ce continent?
Il y a un avant et un après Chavez. Il a compris que les partis ne sont plus en mesure de réformer, y compris la social-démocratie qui représente des classes sociales aisées. Si l'on veut changer un pays, il faut s'appuyer sur des mouvements sociaux - les habitants des bidonvilles, les paysans pauvres, les étudiants exclus de l'Université, etc. -, ceux qui sont en marge du système. C'est avec eux qu'il a fait un mouvement, qui n'est pas un parti, et qui lui a permis de gagner les élections. Et ça, c'est ce qu'ont entrepris ensuite Morales en Bolivie et Correa en Equateur. Chavez a créé un précédent qui n'a cessé de se renforcer à chaque élection et qui est devenu une caractéristique de l'Amérique latine.


Propos recueillis par Jérôme Béguin


«Syndicaliste, Maduro est vu comme un analphabète»

L'actuel président, Nicolas Maduro, est-il à la hauteur de l'héritage de Chavez?
Est-ce qu'il a les capacités intellectuelles? Oui. En plus d'être intelligent et fin politique, c'est un homme intègre. Il n'a certes pas suivi l'Université, c'est un chauffeur de bus et de métro qui a dirigé le syndicat des transports de Caracas. L'opposition lui en veut pour cela car elle considère qu'un syndicaliste est un analphabète. On faisait le même procès à Chavez, en partant du principe qu'un type à moitié Noir et à moitié Indien ne pouvait être aussi intelligent qu'un Blanc...

Aujourd'hui, le Venezuela fait face à des difficultés économiques en raison notamment de la baisse du cours du pétrole. Qu'en pensez-vous?
Le Venezuela n'a plus les ressources dont il a pu disposer et, par ailleurs, il y a un problème lié à la consommation. Chavez a intégré les deux tiers des Vénézuéliens qui étaient exclus de la société, leur a donné un emploi et un salaire. Si, auparavant, il y avait 5 à 6 millions de consommateurs, aujourd'hui ils sont 30 millions. La consommation augmente de 10 à 15% par an et, comme presque tout est importé, le montant des importations est astronomique. Le procès que l'on peut faire à la révolution est de ne pas avoir assez éduqué la société à ne pas être consommatrice. Il est vrai qu'il est très laborieux de faire comprendre aux gens qu'ils vont vivre mieux en consommant moins. C'est une vraie difficulté.

En février dernier, il y aurait eu une tentative de coup d'Etat impliquant des officiels étasuniens. Un mois plus tard, Obama a décrété que le Venezuela représentait une menace pour la sécurité des Etats-Unis. Quelle est votre analyse?
J'étais au Venezuela quand il y a eu cette tentative de coup d'Etat et j'en ai discuté avec le président Maduro lui-même. C'était bien organisé: un manifeste devait être publié le jour où un avion bombarderait la résidence présidentielle, il existait une liste de personnalités, dont le président, qui devaient être liquidées, etc. D'après les documents que les autorités ont présentés, des membres de l'ambassade étasunienne ont assuré aux leaders du coup d'Etat qu'ils pourraient se réfugier aux Etats-Unis en cas d'échec. Cela ne veut pas dire que le coup d'Etat ait été préparé à la Maison-Blanche, ni même au Département d'Etat ou au Pentagone. Et je ne pense pas qu'il y ait d'ailleurs un lien avec la déclaration d'Obama. Il faut la mettre en rapport avec les «guarimbas», les révoltes de rue de l'année passée, et la normalisation des relations avec Cuba. L'administration étasunienne veut avancer avec Cuba en donnant l'impression qu'elle reste ferme sur le Venezuela de manière à diviser les républicains. Au Sommet des Amériques, Obama a dit à trois reprises que le Venezuela n'était pas une menace et fait amende honorable.
JB

Hugo Chavez Ma première vie, conversations avec Ignacio Ramonet, Ed. Galilée, Paris 2015, 720 p. ill.