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Coup de semonce contre le dumping social et salarial transfrontalier

Des sociétés françaises s'implantent dans le Jura pour engager des Français et les placer en France. Unia obtient justice

S'établir en Suisse pour y recruter du personnel français et le placer ensuite en France: cette nouvelle forme de «tourisme» transfrontalier permet à des sociétés françaises fraîchement basées à Boncourt (JU) de faire travailler des salariés à des conditions suisses tout en leur versant des salaires français. Saisie par un plaignant appuyé par Unia, la justice jurassienne a jugé cette pratique salariale illicite.

A Boncourt, tout près de la frontière française, un bâtiment abrite depuis peu un certain nombre d'entreprises françaises d'un genre nouveau. Ces sociétés dûment enregistrées en Suisse ont pour particularité d'embaucher des Français, en particulier des dessinateurs, ingénieurs et monteurs, pour les placer en France, dans différentes entreprises, notamment chez Peugeot (PSA) à Sochaux. Comment? Pourquoi? A quelles conditions? Unia Transjurane est désormais en mesure de répondre à ces questions, grâce aux détails livrés par une affaire portée en justice.

Jouer sur deux tableaux
Le syndicat a été saisi par un salarié de l'une de ces sociétés françaises implantées à Boncourt. Engagé il y a deux ans en qualité de consultant d'études, avec un statut de cadre, ce dessinateur industriel de 25 ans avait mission d'assurer l'assistance technique dans les entreprises françaises où on le plaçait. Son contrat établi sous le droit helvétique mentionnait une durée de travail hebdomadaire de 42,5 heures (modifiable selon les endroits dans lesquels le travail devait être effectué). Le salaire s'élevait à 3375 francs par mois, sans 13e salaire.
Pour Achille Renaud, responsable de ce dossier à Unia Transjurane, «cette société, tout comme les autres dans son genre, ont pour but de gagner sur deux tableaux. Elles engagent des personnes à des salaires français et des conditions de travail suisses. Le droit français est beaucoup plus restrictif en matière de licenciement, d'horaire et de flexibilité du travail. Et les charges sociales y sont plus élevées qu'en Suisse. En revanche, les salaires français sont moins élevés qu'en Suisse. Ces entreprises prennent dans chacun des deux pays ce qui les arrange le mieux. Il s'agit clairement d'un dumping social et salarial totalement inadmissible.»

Salaire usuel: la justice confirme
Le syndicaliste a tenu à ce que cette pratique soit sanctionnée par une décision de justice. Aussi a-t-il aidé le dessinateur industriel concerné à saisir, à la mi-juin de cette année, le Conseil des prud'hommes du Tribunal de première instance à Porrentruy. Résultat, ce tribunal a jugé, dans une décision rendue le 27 septembre, qu'il s'agissait bien de sous-enchère salariale et que, par conséquent, l'entreprise épinglée devait payer la différence entre le salaire fixé dans le contrat et le salaire d'usage pratiqué dans la région, pour ce type de qualification. En clair, l'employeur doit à ce salarié 825 francs de plus par mois, soit un total de 10725 francs.
Livrés tout récemment, les considérants qui ont fondé cette décision revêtent une grande importance pour le mouvement syndical de ce pays, «car ils se basent sur des salaires d'usage enfin chiffrés», applaudit Achille Renaud. Se référant à un arrêt du Tribunal fédéral, le Tribunal des prud'hommes souligne que «la protection des travailleurs suisses d'une sous-enchère salariale, induite par la main-d'œuvre étrangère, protège les travailleurs étrangers eux-mêmes et contribue au maintien de la paix sociale». Ce principe découle de l'accord sur la libre circulation des personnes. Il précise qu'un «travailleur salarié ressortissant d'une partie contractante ne peut, sur le territoire de l'autre partie contractante être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux salariés en ce qui concerne les conditions d'emploi et de travail».

Licenciement abusif
Soulignant la nécessité de chiffrer le salaire d'usage, le tribunal a considéré, se ralliant à l'avis d'Unia, que les salaires minimums fixés par la convention tripartite de la région pour les différentes branches d'activité et qualification avaient valeur de référence. A noter que ces minima sont largement inspirés par les données de l'Office fédéral de la statistique pour l'espace Mittelland.
L'entreprise transfrontalière doit donc payer la différence de salaire. Dans la foulée, elle est également condamnée à payer l'équivalent d'un mois et demi de salaire pour le licenciement abusif du plaignant. Explication: le 23 août 2011, la direction informe ses employés de son intention de verser les salaires en euros pour compenser ses pertes de change. Le dessinateur industriel réunit une douzaine de ses collègues pour discuter de cela, l'espace de 20 minutes. Puis envoie des mails d'information à ses collègues. De quoi lui valoir ce licenciement abusif. Mais aux dernières nouvelles, cet employeur est aux abonnés absents. Les papiers de sa société sont déposés dans une fiduciaire à Porrentruy.


Pierre Noverraz