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Dans son pays, les curriculum vitae n'existaient pas

De la Mongolie à la Suisse, Navchaa Duron-Batchuluun s'adapte avec force et délicatesse

«Pour mes recherches d'emploi, j'utilise seulement le nom de mon mari. C'est plus simple, car je dois déjà épeler mon prénom.» Navchaa («feuille» en mongole) Duron-Batchuluun est arrivée en Suisse, il y a trois ans, au bras de son mari, un Français de la région genevoise. «Au début, j'attendais qu'on vienne vers moi, comme c'est le cas en Mongolie. Puis, j'ai compris que c'était à moi de sortir et de m'ouvrir.» Navchaa s'est adaptée aux coutumes de son pays d'adoption et à son marché du travail, de cours de français en bilan de compétences, en passant par des ateliers pour gérer le stress des entretiens.
Son diplôme a été reconnu en Suisse. Du moins, en partie. Ingénieure en Mongolie, après cinq ans d'études, son titre, ici, est celui d'opératrice en technologie alimentaire (contrôle de la production, analyse de la qualité des produits, application des règles d'hygiène et de sécurité, entre autres...).

Le soutien d'un «mentor»
A Genève, l'ingénieure travaille actuellement comme patrouilleuse scolaire. Un emploi bien en dessous de ses qualifications, mais qui a toutefois ses avantages: «Grâce à ce poste, j'ai réussi à me créer un réseau. Et j'aime être en contact avec les enfants...»
Elle garde espoir de trouver un emploi dans sa branche, notamment grâce au programme de mentorat pour l'insertion professionnelle des migrantes et des migrants de l'Entraide protestante suisse (Eper).
Ce projet crée des ponts entre des professionnels de même métier mais d'origine différente. Le migrant trouve ainsi l'appui bénévole d'un «collègue» qui connaît le marché du travail et le réseau. «Mon mentor m'a expliqué comment améliorer mon CV ou me présenter à un entretien. Il m'a donné des pistes pour chercher du travail et m'a aussi prêté des livres techniques pour apprendre le vocabulaire scientifique en français. Grâce à lui, j'ai plus confiance en moi», relève Navchaa, ravie.
«Avant de venir en Europe, je pensais que la vie serait plus facile. Mais les barrières professionnelles et linguistiques sont parfois un peu décourageantes», ajoute-t-elle avec une maîtrise du français pourtant étonnante.

Une autre culture
Navchaa semble décortiquer la langue aussi bien que le monde qui l'entoure. «Ici, en Suisse, j'ai dû apprendre la culture, et j'ai encore à apprendre à penser comme vous», dit-elle, son regard dans celui de son interlocutrice. «En Mongolie, on ne regarde pas l'autre dans les yeux. Mais nos paroles sont plus directes. Demander l'âge et le salaire de quelqu'un est, par exemple, tout à fait normal.»
Il y a 34 ans, Navchaa est née à 7000 kilomètres d'ici (à vol d'oiseau), au nord-ouest de la Mongolie, à Ulaangom. Une petite ville de 30000 habitants au climat extrême: de -40 degrés l'hiver à +40 degrés l'été.
A ses 18 ans, le père de Navchaa, chauffeur de camion, décide de rejoindre Oulan-Bator (la capitale), pour lui permettre, ainsi qu'à ses deux sœurs, d'étudier à l'Université. «Je voulais être médecin, pour soigner les gens, car ma mère est morte quand j'avais 13 ans. Mais il n'y avait que 7 places pour 700 candidats... Et je n'ai pas été prise», raconte-t-elle sans jamais quitter son sourire.
Elle entame donc des études en technologie alimentaire. «Mon père me disait que la nourriture, c'était essentiel. Et j'adorais déjà cuisiner.» Un cursus qui la comble et qui débouche sur des emplois bien payés (400 francs par mois environ, soit 4 fois le salaire moyen).

De la vodka... à l'eau
«A la sortie de l'Université, ce sont les employeurs qui venaient nous chercher. Il n'y avait même pas de CV», se souvient Navchaa, qui travaille quelque temps dans une usine de conserves de légumes et de fruits, puis de... vodka. Mais elle n'aime pas cet univers alcoolisé. «Je me sentais mal de participer à la vente d'un produit qui brise des familles.» Et Navchaa de rappeler qu'à la chute de l'Union soviétique, beaucoup de gens se sont retrouvés sans emploi, la vodka en héritage et pour toute consolation.
Clin d'œil du destin peut-être, elle sera engagée juste après dans une usine de mise en bouteilles... d'eau. «C'était une chaîne semi-automatisée qui venait tout droit de Chine», explique-t-elle.
Les influences changent pour les quelque 3 millions d'habitants de Mongolie qui n'échappent pas à la mondialisation. «Il y a aussi beaucoup d'investisseurs étrangers. Si on partait vivre en Mongolie, ce serait certainement facile, pour mon mari, de trouver un emploi. Les diplômes étrangers sont bien reconnus, et on reçoit les gens comme ils sont.»


Aline Andrey

 

L'Eper est à la recherche de «mentors» bénévoles, notamment dans les branches de la construction et de la vente. Pour plus d'informations: www.mentoratemploimigration.ch ou 021 613 44 58.