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Déterminés, des milliers de maçons ont posé leurs outils

Les travailleurs de la construction se sont mobilisés avec force. Ils veulent des améliorations de leur convention

Formidable mobilisation des travailleurs de la construction, les vendredis 25 novembre et 2 décembre. C'est par milliers qu'ils ont posé leurs outils pour exiger des entrepreneurs la reprise des négociations et l'amélioration de leur Convention nationale, arrivant à échéance fin décembre. Mais les patrons ne l'entendent pas de cette oreille, et veulent exclure Unia des négociations. Retour sur ces journées de protestation et sur les derniers événements.

«Coup de semonce des maçons!» Pour les syndicats Unia et Syna, ainsi que le Sit de Genève, l'immense mobilisation des travailleurs de la construction, qui a vu plus de 7000 salariés se rassembler le 25 novembre dans les cantons de Genève, Vaud, Berne et Zurich, et 2000 au Tessin vendredi 2 décembre, n'est que le premier des avertissements lancés à la Société suisse des entrepreneurs (SSE). Après 9 mois de négociations et 16 rencontres pour le renouvellement de la Convention nationale (CN), arrivant à échéance fin décembre, la faîtière patronale avait fait volte-face, le 2 novembre, en retirant au dernier moment sa proposition d'assurance en cas d'intempéries et en péjorant son offre de revalorisation des salaires minimaux. Face à cette situation, les syndicats et les assemblées de travailleurs de la construction avaient décidé de durcir le ton et d'appeler à ces deux journées de protestation pour que les patrons reviennent à la table des négociations et acceptent des améliorations nécessaires au niveau de la santé et de la sécurité au travail, des intempéries, mais aussi de la protection des salaires face aux cas de plus en plus fréquents de graves sous-enchères sociales et salariales.
Mais jeudi dernier, la SSE annonçait avec fracas que, selon la décision de son comité central réuni la veille, elle n'accepterait plus de négocier avec Unia, le plus grand syndicat du secteur, et que ses seuls interlocuteurs seraient des «organisations de travailleurs respectant la paix du travail». Des organisations devant par ailleurs «approuver une prolongation de la CN en vigueur sans poser de conditions». En contrepartie, ajoute la SSE, elle offre une hausse de salaire de 1,5% pour 2012. La faîtière patronale informe également qu'elle déposera plainte contre Unia pour violation de la paix du travail et que des plaintes pénales, pour violation de domicile par exemple ou contrainte, seraient déposées par des entreprises.

Patronat divisé
Réagissant aussitôt, les syndicats Unia et Syna ont affiché leur unité dans un communiqué commun, et proposé de nouvelles dates de négociation pour cette semaine. Les deux syndicats ont aussi démenti les accusations portées par la SSE. «Ces accusations ne sont pas du tout vérifiées, on ne déplace pas 4000 maçons à Genève et 2000 à Lausanne par la contrainte. La répression est plutôt venue de la SSE elle-même. A Zurich par exemple, des patrons ont enfermé des travailleurs sur les chantiers!» relève Alessandro Pelizzari, secrétaire régional d'Unia Genève et membre de la délégation de négociations. «Quant à la position du comité central de la SSE qui veut exclure Unia, elle ne se reflète pas dans les régions où la réaction des patrons est différente», poursuit-il. Certains seraient en effet prêts à discuter des thèmes de la sous-traitance ou des intempéries. Au niveau salarial, les divergences sont aussi de mise. Ainsi, une grande entreprise alémanique, Anliker, a accordé une augmentation de 100 francs pour tous en 2012, ce qui montre que la revendication syndicale est réaliste. Pour Alessandro Pelizzari, la volte-face de la SSE début novembre, au moment où un accord était sur le point d'être signé, s'explique par le fait qu'elle entend faire passer en force ses revendications et qu'elle refuse toute amélioration de la convention actuelle. «Avec les conditions posées par la SSE, je ne pense pas que des négociations soient possibles d'ici à la fin de l'année. C'est pour ça que nous nous préparons au vide conventionnel et à des mouvements de grève dès le début de l'année.»

Sylviane Herranz

 

Le pont du Mont-Blanc aux maçons

A Genève, ils étaient près de 4000 travailleurs de la construction, selon les syndicats, à manifester leur colère face au non-renouvellement de la Convention nationale

C'est vers 9h du matin que le cortège s'est ébranlé à Genève de la place des Vingt-Deux-Cantons dans un tintamarre de sifflets, de drapeaux d'Unia, de Syna et du Sit au vent, et de casquettes syndicales, parfois empilées sur les têtes. La police ouvrait le passage, mais il a fallu à plusieurs reprises que les manifestants slaloment entre les voitures, jusqu'à l'arrêt total de la circulation, une fois arrivés sur le pont du Mont-Blanc. Un travailleur espagnol a entamé un chant syndical, un autre a tendu son casque de chantier à bout de bras jouant au mendiant devant ses collègues, et des fumigènes rouges ont été allumés. Pendant deux heures, les manifestants ont bloqué le pont - le faisant onduler sous leur poids et leurs sauts - et donc le trafic genevois. La tête du cortège s'étant coupée de son corps resté sur le pont, elle est, après hésitations, revenue sur ses pas. Malgré quelques confusions et un ordre un peu dispersé, l'ambiance est restée bon enfant.

De la pénibilité du travail
Sur le pont, un maçon indique une grue un peu plus loin: «Elle a bougé. C'est pas normal...» Et un autre de montrer un chantier au milieu du Rhône: «J'ai vu les ouvriers se cacher! C'est aussi pour eux que nous sommes ici. Ils devraient être solidaires!» Reste que, hormis quelques exceptions, les chantiers étaient pratiquement tous fermés dans la région genevoise. Un succès donc pour cette mobilisation où les revendications et les doléances des ouvriers s'égrainent de la sous-traitance déloyale, du peu de protection contre les licenciements à la dégradation des conditions de travail et aux douleurs physiques récurrentes et généralisées. «On travaille comme des chiens, par tous les temps et on n'est pas protégé. J'ai mal au dos et je n'ai que 37 ans», se plaint Besnik Ostrgllava. Chauffeur de camion, Jean-Paul Robert est déterminé à lutter pour que son secteur soit maintenu dans la Convention nationale: «Nous nous sommes battus pour la retraite à 60 ans et maintenant on veut tout nous enlever. Nous ferons la grève s'il le faut. Nous n'avons pas le choix.» Le maçon José Costa a confiance: «Nos luttes ont déjà marché, ça peut marcher encore...»

Témoignages de solidarité
Transis par l'humidité glaciale du brouillard et la faim, les manifestants ont repris leur route à travers Genève, direction le parc des Bastions où les attendait une cinquantaine de grévistes des hôpitaux universitaires genevois (HUG), des nettoyeuses et des laborantins solidaires. Solidaires aussi les vendeuses comme l'a indiqué dans son discours l'une des leurs. Avant la soupe, les différents secrétaires syndicaux ont rappelé que le secteur fait des bénéfices avec toujours moins de travailleurs et davantage de précarité. Tous ont appelé à la grève si la Société suisse des entrepreneurs (SSE) refuse d'entrer en matière suite à cet avertissement. Ce qui risque donc bien d'arriver...

Aline Andrey

 

«Nous voulions faire une grève, on l'a faite! Et nous allons gagner!»

A Lausanne, 2000 maçons se sont rassemblés et ont défilé en ville avec une détermination extraordinaire

C'est avant l'aube que la mobilisation a débuté dans le canton de Vaud, ce vendredi 25 novembre. Dans les plus grandes villes du canton, des lieux de rassemblement étaient annoncés. Ailleurs, comme dans les environs de Lausanne, des syndicalistes avaient embarqué dans plusieurs bus pour aller chercher les travailleurs sur les chantiers. Grues immobiles, échafaudages déserts, de nombreux chantiers à l'arrêt témoignaient de la forte mobilisation qui se dessinait. Durant toute la matinée, les maçons ont déboulé par vagues sur l'esplanade de Montbenon à Lausanne. «Nous sommes environ 30 de notre entreprise. Nous nous sommes groupés pour venir là, avec des voitures privées», expliquait Antonio, entouré de ses collègues d'une société de construction de la campagne vaudoise. «Nous sommes là pour réclamer nos droits, pour notre avenir, pour que nos enfants aient une vie meilleure. On se bat pour nos salaires, nos horaires, pour des conditions de travail en sécurité. On veut améliorer nos conditions. Et je pense qu'on va y arriver», ajoutait-il.
Peu avant le repas de midi, préparé par le personnel d'Unia, le décompte tombait: près de 2000 travailleurs participent à la journée d'action! «C'est un succès, cela dépasse largement nos espérances» s'est réjoui Pietro Carobbio, responsable de la construction à Unia Vaud, devant les travailleurs réunis à Montbenon. «Je suis fier d'être parmi vous, on a réussi, on a voulu faire une grève, on l'a faite! Et demain, on va continuer le combat pour gagner, pour améliorer notre Convention nationale», a lancé à ses collègues Jean-Michel Bruyat, président du comité des maçons d'Unia Vaud, tout en saluant leur courage. «C'était très dur de mobiliser les gens, les patrons ont fait des tournées sur certains chantiers en menaçant les travailleurs de licenciement s'ils participaient», confiera ensuite le président. «Mais là, un premier pas est franchi, ils ont passé le cap de la peur. Et je suis fier aussi de mon équipe syndicale, qui a fait le tour des cabanes et sans qui tout cela n'aurait pas été possible», a-t-il ajouté.
C'est dans la manifestation qui a suivi que s'est exprimée toute la détermination des maçons. Au son des slogans, des sifflets, des klaxons, et au rythme des «olas» organisées tout au long du parcours, un cortège mémorable, encouragé par de nombreux passants, a mis plus de deux heures pour relier Montbenon à la place de Milan en passant par le centre-ville. «Pas de convention, pas de maçons!» scandaient les manifestants, évoquant de prochaines grèves, mais pas seulement. «Si demain il n'y a plus de convention, je change de métier» expliquait, durant la manifestation, Jean-Michel Bruyat, tout en étant attentif au bon déroulement du cortège. «Tous les matins, on part travailler dans la boue, on met sa santé en danger. Pourquoi travailler dans ces conditions si nos acquis sont détruits? Tous les maçons ayant une formation sont des gens qualifiés et polyvalents, ils iront travailler ailleurs», relevait-il, heureux et confiant dans la force du mouvement débuté ce vendredi.

Sylviane Herranz