Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Il sème des graines de vie

Depuis 10 ans Cédric Chezeaux président de BioVaud cultive des céréales anciennes biologiques. Un visionnaire

Quel accueil lumineux que celui de la famille Chezeaux dans son petit village de Juriens qui surplombe la mer de brouillard. Christine, la maman, nous reçoit chaleureusement, malgré sa surprise. Son mari a oublié le rendez-vous, mais il ne va pas tarder... Trois de ses six enfants (entre 6 et 19 ans) nous préparent un café, avec le sourire, comme un jeu. L'école à la maison, ils l'ont choisie et en sont heureux. Ils nous montrent les Saint-Nicolas de pâte qu'ils ont confectionnés en cette journée qui lui est dédiée. Aux murs d'un beau vert nature où les angles sont arrondis - œuvre d'un travail d'auto-construction de la famille - des dessins d'enfants, les lettres de l'alphabet déguisées, un poster de Kokopelli (association qui travaille à la préservation des variétés traditionnelles ou anciennes, de plantes potagères), entre autres traces d'un quotidien riche...
«J'ai épousé Cédric sans me rendre compte que j'épousais la ferme. Au début, ce n'était pas évident. On n'a jamais fini, rarement des vacances, mais notre qualité de vie de famille est immense», raconte Christine Chezeaux, infirmière de formation, qui a quitté l'hôpital pour la naturopathie et les bols tibétains.
Son époux arrive, nous parle de son parcours, presque rompu à l'exercice, puisque sa reconversion dans l'agriculture biologique a été filmée pendant une année par la cinéaste Lila Ribi. Il est ainsi le héros du documentaire intitulé Révolution silencieuse. Un titre qui évoque à merveille ce qui semble germer un peu partout sur la planète et dans ce petit coin de pays. Des graines d'espoir pour un monde respectueux de la nature et des êtres vivants. Une agriculture biologique de proximité qui va de pair avec une remise en question de notre place dans l'univers.

La terre en héritage
La ferme, Cédric Chezeaux en a hérité, même si ses parents continuent d'y travailler. «Mon frère n'était pas intéressé, et pour mes sœurs, à l'époque, cela ne se discutait même pas», explique celui qui était attiré par le métier de paysan et mû par un certain devoir de loyauté familiale, dont il s'est libéré depuis. Preuve en est la reconversion drastique qu'il a opérée. Tout commence en 2005, l'agriculteur et éleveur a alors 35 ans, quatre enfants, et des vaches laitières. Dans sa voiture, il entend à la radio une interview de Pierre Rabhi, chantre de l'agroécologie. Curieux, il se rend à la conférence prévue le lendemain à Lausanne. Le déclic! «A l'époque, je faisais de la "monoculture" de lait. On s'en sortait assez bien économiquement, mais je ne voyais pas de perspectives d'avenir, par rapport à la concurrence étrangère surtout», raconte celui qui saura écouter son cœur, épaulé par son ami le boulanger Marc Haller, pionnier du pain artisanal au levain dans le canton. Une révolution est en marche. Cédric Chezeaux vend ses vaches. Et se lance, en plus des pommes de terre, du millet, des pois, des camelines, de l'amarante, du miel et de la viande, dans la culture de céréales anciennes biologiques qu'il moud à la pierre (d'Astrié) dans sa grange. Sa farine de très grande qualité est vendue, sans intermédiaire, aux boulangers et à ses nombreux clients. Une farine qui a un taux de gluten beaucoup plus faible, voire nul. Un pain a priori plus cher, mais plus nourrissant, plus nutritif et qui se conserve mieux. «Avec ce genre de graines, c'est possible pour les gens intolérants au gluten de manger à nouveau du pain. Et de retrouver le plaisir...» L'agriculteur dénonce le système néolibéral et les alliances entre l'industrie agroalimentaire et la pharma. Et de questionner: «Quel est le coût global d'une mauvaise alimentation, faite d'additifs et d'exhausteurs de goût, si l'on tient compte des frais de maladie? Le bio est-il vraiment plus cher?»

La voie du cœur
«Si je n'avais pas pris des décisions drastiques, et fait face au scepticisme de mon entourage, je serais endetté aujourd'hui comme nombre de paysans. Ceux-ci sont malmenés par le système économique. Les suicides sont de plus en plus fréquents. On abandonne ceux qui nous nourrissent, au profit de l'industrie alimentaire», s'insurge le militant. «J'encourage mes collègues à entrer dans cette dynamique biologique. C'est fondamental. Mais à chacun de trouver sa propre voie en fonction de ce qu'il ressent. Je ne veux pas être un modèle. Ma reconversion est venue du cœur, pas de la tête. Et quand on suit le cœur, ça ne peut que marcher, malgré les hauts et les bas. Quand on demande, on reçoit...»
Si des sujets le fâchent ou le rendent triste, son optimisme prend toujours le dessus tant sa conscience est affûtée sur son monde, intérieur et alentour. «Cette semaine, par exemple, rien ne marche comme je le voudrais. Mais c'est aussi ça la vie. Les épreuves nous enseignent.» Il sourit Cédric Chezeaux, lui qui revient de loin: «J'ai été formé dans l'ignorance, dans cette logique d'utilisation d'engrais et de pesticides, sans aucune protection. Et pourtant je suis sorti de l'école en 1991. Ce n'est pas si loin. J'ai donc dû tout désapprendre. Aujourd'hui, on n'a plus le choix: l'agriculture biologique est la seule manière cohérente et rationnelle de voir l'avenir. Et ceux qui pensent qu'on ne peut pas nourrir le monde avec, qu'ils m'appellent...», lance-t-il les yeux pétillants.


Aline Andrey

Le documentaire Révolution silencieuse de Lila Ribi suit une année charnière de la vie de la famille Chezeaux, sort dans les cinémas romands le 25 janvier 2017 (www.revolution-silencieuse.ch)