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Indemnités perte de gain: attention!

L’entreprise Roth Echafaudages a été sanctionnée par un jugement du tribunal des Prud’hommes, confirmé par la cour civile cantonale, qui reconnaît un manque à gagner pour un travailleur en arrêt maladie.
© Neil Labrador / Archives

L’entreprise Roth Echafaudages a été sanctionnée par un jugement du tribunal des Prud’hommes, confirmé par la cour civile cantonale, qui reconnaît un manque à gagner pour un travailleur en arrêt maladie.

Un échafaudeur demande depuis trois ans et demi le paiement de la différence entre ce que l’employeur lui a versé durant une période de maladie et les indemnités qu’il aurait dû percevoir. Roth Echafaudages n’a toujours pas honoré la totalité de son dû

En arrêt pour cause de maladie, Pietro, monteur en échafaudages dans le canton de Vaud, s’inquiète des montants extrêmement bas reçus en guise de salaire. Il sait bien qu’en raison de sa situation, survenue en février 2020, il touchera moins qu’auparavant. Mais passer d’un peu plus de 4000 francs net par mois à 3000 francs ou moins, il ne peut pas vivre. La situation le plonge dans la précarité. En automne de la même année, il pousse la porte du syndicat Unia dont il est membre et s’adresse à Jean-Michel Bruyat, en charge de la construction à Lausanne. Ce dernier détaille les fiches de paie du travailleur. Constate que l’entreprise a diminué de 20% le salaire brut et que les charges sociales sont déduites, ce qui ne devrait pas être le cas lors de la perception d’indemnités perte de gain. Il creuse un peu plus, motivé par un précédent: en 2019, il avait récupéré 1800 francs d’indemnités perte de gain pour un travailleur accidenté de la même entreprise, Roth Echafaudages SA, leader suisse du marché, qui compte environ 600 collaborateurs.

Mandaté par Pietro, le secrétaire syndical s’adresse à l’Assurance perte de gain (APG) pour connaître le montant de l’indemnité journalière du travailleur, toujours à l’arrêt, et les versements effectués à l’entreprise. Comme dans le premier cas, il constate une différence entre le salaire versé par l’entreprise et ce que l’échafaudeur aurait dû recevoir comme indemnités maladie. En fin d’année, Jean-Michel Bruyat, tableau Excel à l’appui, effectue un décompte total et chiffre le différentiel sur les indemnités maladie à 7666 francs, au détriment du salarié. Ce qui représente pour Pietro, malade durant 10 mois et demi, un manque à gagner moyen de 730 francs par mois durant cette période!

A cette somme s’est ajoutée une partie du salaire de février, des frais divers et des soldes de 13e salaire et de vacances. Au total, l’entreprise Roth Echafaudages devait plus de 12000 francs au travailleur.

Où est passé l’argent?

Après une mise en demeure de la société, le travailleur récupère près de 11000 francs. Mais le compte n’y est pas. Il manque environ 1100 francs. Nouvelle mise en demeure, en avril 2021. Rien n’y fait. Accompagné de Jean-Michel Bruyat, Pietro saisi les Prud’hommes pour récupérer son dû. La Cour lui donne raison. Elle indique notamment que l’employé «doit, à tout le moins, percevoir le montant total des indemnités perte de gain journalières servies par l’assurance sur lesquelles il possède un droit direct». Se basant sur le tableau effectué par le syndicaliste, le tribunal conclut, en septembre, que l’entreprise doit immédiatement payer la somme due, ainsi que les dépens, soit les frais de la procédure. «Lors de l’audience de conciliation, la RH de l’entreprise n’était pas en capacité d’expliquer les fiches de salaire. Et lors d’une autre audience, quand le juge patronal a demandé à l’avocat de l’entreprise où était passé l’argent, ce dernier n’était pas en mesure de répondre!», s’étrangle Jean-Michel Bruyat.

La suite? L’entreprise n’a pas versé la somme due et a recouru au Tribunal cantonal. Ce dernier a statué en mai 2023. Là encore, la cour reconnaît que «le salaire versé était inférieur à ce que Roth Echafaudages SA avait elle-même perçu de l’assureur perte de gain»… Le Tribunal conclut au rejet du recours. L’employeur n’ayant pas saisi l’instance supérieure, le jugement est devenu exécutoire en août 2023. Depuis, toujours rien. «Nous avons dû mettre Roth Echafaudages aux poursuites! Ils ont fait opposition et maintenant nous devons réclamer la mainlevée pour qu’ils paient, tout ça aux frais du travailleur pour récupérer la somme totale de 2700 francs, indique le syndicaliste. C’est hallucinant qu’il faille presque quatre ans de procédure pour en arriver là!»

Et Jean-Michel Bruyat d’inviter tous les salariés tombant malades ou ayant un accident de bien étudier leur fiche de paie. Car il soupçonne que de telles situations existent à large échelle dans le monde du travail. Un autre cas avait été découvert par le syndicaliste, cette fois dans une blanchisserie, chez Elis Suisse à Nyon. Un travailleur, malade pendant six mois, s’était vu rétrocéder une différence de 2750 francs. Pour cela, ce salarié avait dû défendre ses droits devant le Tribunal des prud’hommes qui lui avait aussi donné raison.

Contactée par L’Evénement syndical pour savoir pourquoi elle refuse de payer le solde dû à Pietro et si sa pratique en matière de versement des indemnités maladie ou accident avait été modifiée, l’entreprise n’a pas encore répondu à nos questions.

«Cet argent non reversé aux travailleurs n’est pas perdu pour tout le monde…»

© Thierry Porchet Explications avec le secrétaire syndical de la construction Jean-Michel Bruyat.

A quoi les travailleurs accidentés ou malades doivent-ils être attentifs?
Ils doivent bien regarder leur fiche de paie. Ces dernières sont illisibles et les entreprises jouent là dessus. L’employeur ne peut pas simplement ôter 20% du salaire brut. L’indemnité journalière se calcule sur la base du salaire touché les douze derniers mois avant la maladie ou l’accident. Il peut y avoir des heures supplémentaires, des gratifications et, bien sûr, le 13e salaire. C’est à partir de ce total qu’est calculée l’indemnité journalière de 80% prévue dans les contrats d’assurance perte de gain. Le montant de l’indemnité – qui doit être versée chaque jour calendaire, c’est-à-dire 30 fois pour les mois à 30 jours et 31 fois pour les autres – est dès lors plus élevé que les 80% du salaire brut. C’est ce qui explique le différentiel entre les indemnités auxquelles avait droit Pietro, et ce qu’il a touché.
La mention du maintien des charges sociales devrait attirer l’attention des salariés. Lors d’une maladie ou d’un accident, elles ne doivent pas être déduites. En revanche, on peut continuer à payer la LPP, ce qui est positif, mais sur une base volontaire.

Que leur conseillez-vous de faire s’ils pensent qu’il pourrait y avoir une erreur sur leur fiche de salaire?
Les membres d’Unia peuvent s’adresser à leur secrétariat syndical le plus proche et prendre rendez-vous à la permanence afin de demander une évaluation du dossier. Pour cela, il faut être syndiqué.

Quelles seraient les solutions pour éviter que l’argent auquel ont droit les travailleurs disparaisse dans les caisses de l’entreprise?
Il faudrait d’abord des fiches de salaire claires. Actuellement, c’est extrêmement compliqué de les comprendre. Ensuite, les indemnités perte de gain devraient être versées directement au travailleur, sauf bien sûr pendant le délai d’attente où le patron est tenu de verser le salaire. Cela éviterait qu’en cas de faillite, des salariés malades ou accidentés se retrouvent sans un centime. C’est indécent qu’un travailleur ayant un bon emploi, une CCT, une assurance perte de gain, soit plongé dans la misère parce qu’il est malade ou accidenté. Nous avons par exemple eu le cas d’un ferrailleur qui devait se faire opérer du tunnel carpien. Il était à l’arrêt et son entreprise a fait faillite. Il a été obligé de retourner travailler comme temporaire, avec des souffrances terribles, jusqu’à ce qu’il puisse avoir droit à des indemnités et s’arrêter pour subir l’intervention chirurgicale prescrite.

Quel bilan tirez-vous de cette affaire?
Le premier cas que nous avons découvert chez Roth Echafaudages aurait dû faire réviser le mode de versement des indemnités. Nous constatons qu’ils n’ont pas changé de pratique et qu’aujourd’hui ils refusent de payer les quelques centaines de francs restantes à Pietro. C’est de la mauvaise foi!
C’est affligeant qu’une entreprise comme Roth Echafaudages qui, par sa stature, devrait montrer l’exemple, s’acharne sur une question de droit simple concernant l’assurance maladie perte de gain. Qu’est-ce que ça cache? Peut-être des sommes considérables!
Cet exemple, et le cas chez Elis, souligne qu’il est possible que d’autres entreprises, dans d’autres branches aussi, aient la même pratique. Il est important que les syndicats et leurs membres en soient conscients.
Sur le fond, cet argent non reversé aux travailleurs n’est pas perdu pour tout le monde. Du moment où il arrive sur le compte de l’employeur, on peut penser que c’est lui qui le garde…


(Photo Thierry Porchet)