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La culture l'art de s'intéresser aux autres

Fondateur du théâtre du Vide-Poche à Lausanne Roland Borremans revient sur son épopée

Acteur, metteur en scène, animateur socioculturel. Ces trois casquettes, Roland Borremans les a portées ensemble pendant 40 ans, au cœur d'une même institution. Celle du Centre de loisirs de l'Union syndicale lausannoise - devenu Pôle Sud, le centre socioculturel de l'Union syndicale vaudoise - et de son théâtre: le Vide-Poche.
Tout commence un peu par hasard à en croire le jeune retraité qui, entre deux voyages, trouve un moment pour cette interview dans les bureaux d'Unia. Un lieu qu'il connaît bien puisqu'il donne encore des cours à Movendo, l'institut de formation des syndicats. C'est donc avec sa verve toute théâtrale que le soixante-huitard de toujours pose son regard sans nostalgie apparente sur sa carrière, ou devrait-on dire sa passion. Tout commence un peu par hasard, dans la mouvance de Mai 68...

Le grand plongeon
«C'est en tant que représentant des apprentis de la Fédération suisse des typographes que j'ai été invité, ainsi que d'autres responsables, à une soirée sur le centre de loisirs. Je suis le seul à m'y être rendu. Je ne connaissais rien au théâtre, mais j'en suis ressorti administrateur, ce qui signifiait à l'époque demander des rabais sur les plats du jour lorsque la troupe était en tournée», dit-il avec un ton mi-ironique, mi-tendre.
Son immersion dans l'univers du théâtre fait donc figure de grand plongeon pour le novice, dès lors à la tête de la troupe - La «Compagnie des comédiens ouvriers», baptisée par Jean Fontannaz, responsable à l'époque du centre de loisirs issu du mouvement français «Peuple et culture». Une compagnie moins syndicale qu'anarchiste et foldingue, bourrée d'énergie et de créativité. «Nous étions les romanichels du théâtre. C'était du folklore intégral», rit le fer de lance de cette aventure délirante, dans laquelle les boîtes de conserve devenaient projecteurs, la scène une piscine, le théâtre une piste de marathon, entre autres bricoles. Mais dont l'aura brillait jusqu'à Paris.
Dans les années 90, la troupe se rebaptise du nom de Vide-Poche, «un nom un peu plus passe-partout», relève Roland Borremans qui ne s'attarde pas sur la notion de démocratisation culturelle. «Pour moi, la culture, c'est s'intéresser aux autres, avoir une vision humaniste. Ensuite il y a une multitude de cultures, en fonction des appartenances, des origines, des familles, des centres d'intérêt... Au Vide-Poche, je suis sûr qu'on a apporté de la culture différente à chaque spectacle.» Avec souvent un sens de l'absurde et de la fantasmagorie propre à l'homme, dont la légère folie prendrait source dans ses origines belges, lui qui a vécu à Bruxelles jusqu'à 15 ans, avant que sa famille n'émigre à Lausanne.

De l'attention aux autres
Le théâtre, Roland Borremans l'apprend donc sur les planches, puis lors de deux stages, dont l'un de metteur en scène, mémorable. «J'ai appris à oser dire: "Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai raison"», relève celui qui ne cache pas être assez fier de son sale caractère. «Le comédien doit sentir que le metteur en scène sait où il va, car il a décodé tous les rouages de la pièce.» Le pédagogue ajoute toutefois: «Ensuite il doit être éponge, recueillir ce que veut le comédien, le discuter, l'intégrer, faire preuve d'humilité et être ouvert à la surprise.» Surtout avec les amateurs. «Le professionnel a des trucs pour s'en sortir, l'amateur lui ne peut pas tricher. Et s'il n'est pas bon, c'est qu'il n'a pas compris ou qu'il a peur. En 40 ans, je n'ai vu qu'une seule personne dont je peux dire qu'elle était mauvaise.»
De la patience donc, et une passion à sonder l'âme humaine, habite le metteur en scène. «Etre bon au théâtre, c'est être un bon observateur des autres et de soi-même. Il n'y a pas de spectacle amateur ou professionnel, il n'y a que des bons et des mauvais spectacles.» Il porte d'ailleurs un regard acéré sur le 5e art en Suisse romande. Un creux de la vague pour le théâtre amateur et un théâtre professionnel qui tourne en rond, selon celui qui n'a eu de cesse de créer des ponts entre les deux. «Avec les amateurs, je faisais de l'art, avec les professionnels, du social», lance-t-il un brin provocateur.
Amoureux de la scène, Roland Borremans a pourtant davantage pris le rôle de metteur en scène. «Je crois que c'était là qu'on avait le plus besoin de moi. Faire naître un spectacle, c'est magique. Même s'il est vrai que je regrette de ne pas avoir joué plus.» Jouer à nouveau? «J'ai perdu la technique de voix», marmonne celui qui estime que le mot le plus prononcé pendant sa carrière c'est: «Articule!»
Tout au long de sa vie, l'animateur socioculturel a aussi développé l'art d'observer, d'écouter et d'être attentif à l'autre, que ce soit à Pôle Sud, quand une demande anodine cache un problème, ou sur scène, lorsque le trou de mémoire paralyse. «Ce n'est pas un problème de mémoire, mais de respiration», précise-t-il. «Cela arrive tout le temps, mais le public ne s'en rend pas compte car les autres comédiens rattrapent. D'où l'importance de la complicité...»


Aline Andrey

Le livre «Regards sur le théâtre du Vide-Poche» publié par Pôle Sud retrace l'histoire de ce lieu unique. Il peut être commandé sur www.polesud.ch/theatre-du-vide-poche