La désobéissance civile en procès
Les condamnations tombent sur les militants du climat et montrent les incohérences d’un système judiciaire qui condamne différemment pour de mêmes faits
«Je suis condamnée, nous sommes condamnés avant même d’entrer dans la salle du jugement. Et l’humanité est condamnée!» Sonja Hediger, médecin, ne cache pas sa tristesse à la suite du verdict lu par le juge Stéphane Coletta mercredi 1er décembre, lors de cet énième procès dit des 200. «C’est un jour noir pour le principe même de justice, à l’image d’un système déprimant», souligne, écœuré, Kelmy Martinez, membre de la Jeunesse socialiste et de la Grève du climat, étudiant en travail social. Avec eux, une étudiante en médecine et une conseillère conjugale ont également été jugées pour avoir participé à l’une ou l’autre des manifestations: les blocages pacifiques du pont Bessières le 20 septembre 2019 et de la place Centrale le 14 décembre 2019, organisés par Extinction Rebellion (XR), ainsi qu’une action dans un bâtiment laissé à l’abandon de la place Bel-Air, le 29 mai 2020, lors d’une Critical Mass.
Le juge Stéphane Coletta, malgré le pacifisme des manifestants et le mobile honorable de l’urgence du bouleversement climatique en cours, les sanctionne lourdement: de 30 à 50 jours-amende avec des sursis de 2 ou 3 ans, des frais de 750 à 1400 francs, et des amendes de 200 ou 300 francs. Les éléments retenus: entrave aux services d’intérêt général, empêchement d’accomplir un acte officiel, violation des règles de la circulation et de la Loi vaudoise sur les contraventions, de domicile et de l’ordonnance Covid dans le cas de l’action à Bel-Air. La question du climat a à peine été évoquée.
La CEDH en ligne de mire
Les avocats présents, Me Ayrton et Me Jaccoud peinent à comprendre le raisonnement du juge. Le premier en vient à déduire: «Au niveau suisse, tout semble verrouillé. Il va falloir aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).» Sa plaidoirie portait surtout sur la liberté d’expression, de réunion et de manifestation. «Ces lanceurs d’alerte devraient être remerciés au lieu d’être poursuivis par le Ministère public!» s’insurge-t-il.
Me Jaccoud souligne, quant à elle, le manque de courage et d’audace du juge et ses motivations extrêmement conservatrices. «Ce verdict, comme les autres avant lui, pose la question de la manière dont sont organisés les débats. De mêmes faits sont jugés différemment. Dès lors, quelle est la qualité de la justice rendue?» Lors de l’audience, le 24 novembre, un troisième avocat, Me Jacob, partageait sa consternation face à la répression pénale de manifestations pacifiques, et alors que la police, la Municipalité et les transports publics avaient été avertis en amont. Il dénonçait, comme d’autres avocats et collectifs avant lui, la fragmentation des procès: «La jurisprudence de la CEDH est limpide. Le jugement séparé pour le même état de fait doit rester exceptionnel.» Une future prévenue présente dans le public, ayant elle aussi fait recours contre son ordonnance pénale, s’interroge en aparté: «Lors de mon procès dont je ne connais pas encore la date, je pensais expliquer mes motivations, mais est-ce que cela en vaut la peine?»