Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Le désert une bibliothèque à ciel ouvert

Ali Sbai a créé une association, Zaila, et un pont entre son désert marocain natal et ses forêts suisses d'adoption

«Zaila signifie "passager éphémère". C'est un mot que les nomades utilisent pour désigner le chameau. Parce que le chameau est furtif. En marchant dans le sable avec ses larges pattes, ses traces disparaissent avant même celles des humains. C'est l'être qui respecte le plus le désert. Il ne détruit rien. Même quand il mange, il caresse les plantes.» Ainsi parle Ali Sbai, le nomade marocain devenu physicien en Suisse, qui a créé l'association Zaila. Mais revenons au début de l'histoire...
Tout commence par sa naissance dans le désert du Sud-Est marocain, près de l'Algérie. Son père, Mohamed Cheikh Sbai, sacrifiera en partie sa liberté de nomade pour scolariser ses enfants. Même si son fils aime à dire qu'il a appris davantage dans le désert que dans les classes. «Le désert est une bibliothèque à ciel ouvert, qu'on feuillette avec les pieds», lance Ali Sbai, le poète. Que de chemin parcouru pour celui qui nous reçoit, avec chaleur et hospitalité, dans sa villa lausannoise où il vit avec son épouse suisse et sa fille. Dans une végétation verdoyante, il nous parle du désert, de sa famille aux revenus modestes, mais riche de ses savoirs et de son intégrité, de son père qui s'est battu pour l'indépendance de son pays puis contre les dérives du roi Hassan II aux côtés de l'opposant panafricaniste Ben Barka.

Un sésame pour l'exil
Lors de ses années de gymnase à Marrakech, Ali Sbai manifestera d'ailleurs lui aussi contre le pouvoir en place. «Cela n'avait rien d'exceptionnel», explique-t-il. «Dans les années 70, tous les étudiants, même issus de famille bourgeoise, se soulevaient contre le régime dictatorial. Nous rêvions tous de quitter le pays. Le bac représentait notre sésame pour la liberté. Le destin ou le hasard m'a fait atterrir en Suisse, un pays où l'on respecte les citoyens.» Le matheux étudiera la physique à l'EPFL, jusqu'au doctorat. Puis l'informatique. Ce qui lui ouvrira les portes de l'Organisation internationale des télécommunications à Genève. Un parcours hors norme pour cet enfant du désert qui relativise avec l'humilité d'un sage: «Je n'ai aucun sentiment d'exploit. Tout s'est fait naturellement. Même si j'ai dû travailler dur pendant mes études pour subvenir à mes besoins.»
En 2005, celui qui vit à Lausanne, mais retourne plusieurs fois par an au pays, crée l'association Zaila qui œuvre pour protéger le désert, et lutter contre la désertification. «Ce projet est un hommage à la flore, la faune et le nomade qui cohabitent en harmonie depuis toujours, préservant ainsi la beauté et la magie d'un milieu ancestral où l'homme délaisse le futile pour se concentrer sur l'essentiel», résume Ali Sbai.

Une charte pour le désert
A la création d'oasis et de puits avec les habitants de M'Hamid (près de la frontière algérienne) s'ajoutent des actions pour réduire la pollution des déchets rejetés par les amateurs de rallye et du «tourisme-business», et pour un retour aux éléments naturels, en lieu et place du plastique, dans la création d'objets utilitaires (nattes, paniers, plats, sacs...).
Ali Sbai s'investit aussi dans la création d'une charte du désert qui s'inspire des savoirs nomades et pour l'archivage de ces connaissances ancestrales en péril. «Le mode de vie nomade est en voie de disparition. Les causes: les problèmes d'eau et d'éducation, et la volonté des Etats du Sahel de contrôler toujours plus leurs citoyens, et par conséquent de réprimer les nomades, incontrôlables par nature. Or ils sont essentiels à l'équilibre de ce monde.»
L'engagement de Ali Sbai ne se veut pas politique, «car la politique désunit les gens», mais invite à «voir ce qui est commun, universel dans l'être humain». Et d'ajouter: «Pour moi, mon engagement avec Zaila, c'est la moindre des choses vis-à-vis de ce milieu qui m'a tant donné.» Le désert continue d'ailleurs de le nourrir. «Dans le désert, je peux marcher des jours et des jours, sans fatigue. Je me sens dopé naturellement... C'est un espace où le temps disparaît, où l'on se sent une partie minuscule de l'univers.» Un sentiment de grâce qu'il ressent aussi en ce mois sacré du ramadan. «Les envies disparaissent. Après quelques jours, je ne pense même plus à l'eau ou au café pendant la journée, et me sens déjà beaucoup mieux», sourit celui qui a mangé quelques dattes avant le lever du soleil et jeûnera jusqu'à son coucher. «Le soir, je mange un peu, et je me recueille.»


Aline Andrey

Deux sites créés par Ali Sbai:
Sur l'association Zaila: www.zaila.ch
Sur son père, Mohamed Cheikh Sbai: www.mohamedcheikhsbai.com

radio django

Le témoignage radiophonique de Ali Sbai sera diffusé le mardi 28 juin, entre 18h et 19h, en direct et en public de Pôle Sud à Lausanne, et sur www.django.fm (émission ensuite accessible sur le site).