Des Ukrainiennes témoignent
«Je suis partie le premier jour de la guerre. J’ai entendu le sifflement des avions de guerre, le bruit des bombes, puis mes voisins ont frappé à ma porte. Il était 5h30. Ils m’ont dit: “Viens! Il faut partir!”» Tenant un drapeau jaune et bleu, Tetiana, avocate à Kiev, réfugiée depuis quelques semaines à Genève, raconte son exil, mais surtout le combat de son peuple: «Mon frère se bat là-bas. Il était dans les défenses territoriales pour protéger nos maisons, notre quartier. Il va bientôt entrer dans l’armée régulière. Nous voulons sauver notre pays, notre liberté d’expression, avoir un futur. Nous ne ferons jamais partie de la Russie. La liberté va gagner!» Les manifestations comme celle d’aujourd’hui à Lausanne sont essentielles selon elle: «D’ici, je veux soutenir mon pays, influencer le peuple russe pour qu’il se soulève contre Poutine. Un Russe sur dix a de la famille en Ukraine. Personne ne veut tuer ses frères.» Elle en appelle à davantage de soutien des Européens sans attendre. «Les multinationales doivent cesser de travailler avec la Russie. Ce n’est pas seulement notre guerre, c’est aussi la vôtre.»
A ses côtés, Alona qui travaillait dans l’hôtellerie en Ukraine, a fui les premiers jours de la guerre avec sa fille Veronica. Celle-ci a commencé l’école dès son arrivée. «C’était vraiment très très très bien», dit-elle en anglais avec un sourire radieux. Toutes deux sont extrêmement reconnaissantes envers leur famille d’accueil à Genève. Mêmes remerciements du côté de Ksusha, 22 ans, dont les parents se trouvent encore en Ukraine. «Ma mère continue de travailler tous les jours à la gare pour permettre aux gens de partir. Mon père, lui, est handicapé. Ils ont décidé de rester à Vinnytsia, mais m’ont forcée à partir. Je suis maîtresse de français. Ici, je peux être utile pour traduire et informer.»
«La Suisse a une responsabilité énorme»
Fin février, Public Eye appelait le Gouvernement suisse à prendre des mesures fortes en vertu de son rôle de plaque tournante des hydrocarbures et des céréales russes, dont les trois quarts sont négociés depuis Genève ou Zoug. «Trafigura et Vitol sont des partenaires stratégiques de la société d'Etat Rosneft. Ils ont récemment pris des parts dans un projet pétrolier très controversé en Arctique. Quant à Gunvor, longtemps le trader favori du Kremlin, il joue toujours un rôle important dans le négoce du pétrole et du gaz russes», dénonce l’ONG.
Le 22 mars, Angela Mattli, membre de la direction de Public Eye, rappelait lors de la manifestation pour la paix à Berne que «la Russie gagne chaque année plus de 200 milliards de francs grâce à ses exportations de pétrole et de gaz… dont 80% sont négociés en Suisse». L’ONG en appelle à un embargo international sur l’importation et le commerce de pétrole et de gaz russes, à la transition énergétique et à la création d’une autorité de surveillance spécifique pour les marchés de matières premières. Car, jusqu’à présent, «les banques suisses ne s’intéressent pas vraiment à l’identité des personnes dont elles accueillent l’argent. Les cabinets d’avocats n’ont pas à regarder de trop près pour qui ils créent des sociétés boîtes aux lettres ou des trusts. C’est le deal. Et c’est ainsi qu’un minuscule pays est devenu un géant en matière d’influence. La “petite” Suisse a donc une responsabilité énorme.» De surcroît, selon la spécialiste «la Suisse profite des fonds colossaux d’oligarques corrompus et du négoce de matières premières russes». Et contribue ainsi à alimenter le trésor de guerre de Poutine…