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Le retour au taux plancher est la seule solution

La gauche et les syndicats montent au front pour défendre les emplois menacés par la politique de la BNS

L'abandon par la Banque nationale suisse (BNS) du cours fixe de 1,20 franc pour 1 euro le 15 janvier dernier provoque des licenciements, des réductions de salaire et péjorations des conditions de travail dans l'industrie d'exportation. Unia et le Parti socialiste exigent un changement de politique monétaire, alors que la droite en profite pour tenter de faire passer son programme néolibéral.

Ce mercredi 18 mars, sur la place Fédérale, alors que le Conseil national se prépare à entamer un débat sur l'abandon du taux plancher, des secrétaires syndicaux d'Unia déguisés en directeurs de la Banque nationale suisse passent à la broyeuse des panneaux représentant des places de travail et des branches économiques entières. Si l'action du syndicat se veut symbolique, sur le terrain, les conséquences économiques et sociales d'un cours du franc par rapport à l'euro oscillant entre 1,05 franc et 1,07 franc sont bien réelles (lire ci-dessous).
Pour mémoire, le 15 janvier, la BNS avait annoncé l'abandon du cours plancher de 1,20 franc pour 1 euro en prétextant qu'il n'était plus soutenable en raison, notamment, des divergences entre zones monétaires. «Son maintien aurait, à long terme, compromis la capacité d'action de la BNS dans la conduite de sa politique monétaire et dans l'accomplissement de son mandat», a encore répété le 19 mars dernier le président de l'institution, Thomas Jordan, à l'occasion d'une conférence de presse. «Je n'y crois pas du tout. La BNS a maintenu un cours plancher durant 35 ans, d'abord par rapport au Deutsche Mark, puis face à l'euro. Cela ne lui coûte rien de faire tourner la planche à billets», réplique Pierluigi Fedele. «Son mandat est clair: elle doit intervenir pour favoriser la conjoncture et aider les acteurs économiques. C'est d'ailleurs ce qu'elle a fait durant quatre ans en soutenant l'industrie d'exportation et le secteur du tourisme. Malheureusement, elle est entrée dans une logique purement financière aux dépens de l'économie réelle», regrette le membre du comité directeur d'Unia.

La droite en dessous de tout
Pour le dirigeant syndical, afin de garantir la conjoncture et le maintien des emplois, des salaires et des conditions de travail, le cours devrait être fixé «idéalement à 1,30 franc, au minimum à 1,20». Et vite. «On ne peut quand même pas attendre que la récession arrive», s'indigne Pierluigi Fedele.
Sensible aux arguments syndicaux, à Berne, la gauche a envoyé une salve de motions, postulats et initiatives dans les deux Chambres parlementaires. Les socialistes avaient aussi convaincu les chefs de groupe de tous les partis d'inscrire à l'ordre du jour de la séance du 17 mars du Conseil des Etats une déclaration invitant la BNS à ne pas imposer d'intérêts négatifs aux assurances sociales, la caisse de pension fédérale Publica et celle de la BNS bénéficiant déjà d'une exception. Mais, au dernier moment, les groupes PLR et PDC ont retourné leur veste, privant la Chambre haute de débat. «Le lobby de la BNS l'a emporté», a commenté la sénatrice bâloise Anita Fetz.
Le lendemain, au Conseil national, là, le débat a tourné au dialogue de sourds. D'un côté la gauche a demandé un retour au taux plancher et proposé des mesures monétaires, de l'autre la droite a réclamé des allègements fiscaux et des mesures de dérégulation du travail et de démantèlement des services publics, et, au milieu, Johann Schneider-Ammann et Eveline Widmer-Schlumpf ont expliqué que le Conseil fédéral ne voulait rien de tout ça et qu'aucune intervention n'était envisagée pour le moment. Les socialistes se sont pourtant attaqués au fond du problème en proposant une taxe de 0,01% sur l'achat de francs pour dissuader les spéculateurs. Même si cette sorte de taxe Tobin (taxe sur les opérations financières) ne parvenait pas à normaliser le cours du franc, elle rapporterait au moins des milliards à la Confédération. La droite, elle, a plaidé pour des conditions-cadres plus libérales, réclamant la suppression d'une partie des mesures d'accompagnement, le gel de la taxe sur le CO2, un taux de TVA réduit pour l'hôtellerie ou encore le licenciement de 3000 fonctionnaires fédéraux d'ici deux ans. Seule mesure concrète soumise au vote, une assurance couvrant les risques de change, pourtant demandée par les milieux patronaux, n'a pas trouvé grâce aux yeux de la majorité de droite du Parlement.

«Le monde entier y voit une erreur»
«La droite n'a présenté aucune solution monétaire», critique le conseiller national Jean Christophe Schwaab. «Elle utilise le problème du franc fort comme une fenêtre de tir pour faire avaler un remède de cheval libéral.» Le socialiste vaudois n'est toutefois pas trop inquiet: «Les propositions de la droite sont dangereuses, mais nous sommes prêts à mener la bataille si nécessaire. Je suis persuadé que le peuple refusera de réduire la protection des travailleurs et de bazarder le service public.» Président romand de l'Association suisse des employés de banque (Aseb), le Vaudois juge sévèrement l'action de la BNS: «D'abord, il n'est pas normal que trois bonshommes s'arrogent le droit de prendre des décisions qui touchent à l'économie réelle, en se contentant d'informer le Conseil fédéral un quart d'heure avant. Ensuite, la décision du 15 janvier est une très grave erreur. Le monde entier considère que c'est une erreur, de nombreux économistes, qu'ils soient de gauche ou de droite, l'ont dit. Le retour à un taux plancher est la seule solution.»


Jérôme Béguin


Les salariés de l'industrie trinquent
Licenciements, baisses des salaires, augmentation du temps de travail: pas un jour ne se passe sans que des sociétés actives dans l'industrie d'exportation n'annoncent des mesures visant à réduire les coûts de production en raison du franc fort.
Après avoir interrogé 62 entreprises, le cabinet d'études Mercer a révélé début mars qu'un tiers d'entre elles songeraient à licencier. Solo Swiss à Porrentruy ou Komax à La Chaux-de-Fonds ont déjà franchi le pas avec, respectivement, 5 et 40 collaborateurs licenciés. Un millier d'emplois pourraient être supprimés d'ici à la fin de l'année.
Les travailleurs qui auront la chance, eux, de conserver leur poste risqueront, par contre, de travailler plus. Eternit et Stadler Rail ont déjà institué les 45 heures de travail hebdomadaires, Georg Fischer est passé à 44 heures, tandis que chez Tornos, à Moutier, on bosse dorénavant 43 heures. Et les exemples se multiplient.
Les salariés de l'industrie ne sont toutefois pas les seuls concernés par le franc fort puisque les taux d'intérêt négatifs que la Banque nationale suisse a institués pour réduire l'attractivité de notre monnaie vont se répercuter sur les rendements du 2e pilier et sur les primes de l'assurance maladie.
JB