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Malte, carrefour millénaire

Des falaises.
© Sonya Mermoud

Les falaises de Sanap à Gozo. L’île, aux paysages de caractère, est ciselée de criques.

Entre Afrique et Europe, façonné par de nombreuses civilisations, l’archipel maltais affiche une identité originale

De puissantes rafales de vent accueillent les voyageurs descendant du ferry qui les a transportés de Malte à Gozo. Les deux îles composent, avec celle de Comino, les principales pièces de l’archipel maltais, confetti ou presque situé en Méditerranée, entre la Sicile et la côte nord-africaine. «C’est rare qu’il souffle aussi fortement», note Joe, gilet collé au torse, invitant ses passagers à monter dans son tuk-tuk stationné au port. L’homme de 67 ans, le visage tanné par le soleil, travaille comme chauffeur durant la saison touristique. Et affirme avec fierté avoir été le premier conducteur de tricycle du lieu. «Ces véhicules, introduits il y a huit ans, viennent de Thaïlande, mais aussi de Hollande comme celui que je pilote. Le mien est électrique. Une très bonne idée, et pour l’environnement et pour l’absence de bruit», indique le sexagénaire en anglais, la langue officielle de l’Etat insulaire, avec le maltais. Cet idiome formé de mots arabes, italiens, espagnols, français et anglais témoigne des différentes influences qui ont marqué le pays. Et d’une histoire mouvementée. Carrefour stratégique de l’Antiquité jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’archipel a fait l’objet de toutes les convoitises. Phéniciens, Romains, Arabes, Normands, Siciliens ont notamment occupé le territoire, précédant l’arrivée, en 1530, des Chevaliers de Saint-Jean. Ces derniers, rendus célèbres pour avoir repoussé les Ottomans en 1565, ont largement concouru à la physionomie actuelle de Malte. Le pays est ensuite brièvement passé, en 1798, aux mains des Français, puis, pendant 150 ans, sous domination britannique, avant d’obtenir son indépendance en 1964. Autant de passages qui ont forgé l’identité plurielle de l’Etat insulaire perceptible dans son patrimoine architectural, sa cuisine cosmopolite ou encore la conduite à gauche, héritage des Anglais.

Vue sur La Vallette.
La Valette. La capitale, inscrite au patrimoine de l’humanité, a été construite par les chevaliers de Saint-Jean arrivés sur l’archipel en 1530. © Sonya Mermoud

 

Gigantesque dôme

Le chauffeur effectue une première halte à Xewkija où se dresse la plus imposante église de Gozo au dôme gigantesque, visible des quatre coins de l’île. «La construction de l’édifice a débuté en 1951 avec l’aide des villageois qui utilisaient leurs bêtes de somme pour transporter les pierres servant aux fondations», informe Stanley Cassar Darien, guide, témoignant de l’importance de la religion catholique toujours fortement implantée dans l’archipel… La balade se poursuit en direction d’un antique lavoir. La route déroule ses lacets au cœur d’une campagne divisée de murets en pierre sèche et de champs en terrasses, ou traverse de pittoresques villages couleur miel. «J’aime ce travail. Il me permet de rester actif et de rencontrer du monde», indique Joe, ravi de partager les beautés de son île, également renommée pour les vestiges de temples mégalithiques classés au patrimoine de l’Unesco, vieux de quelque 3600 ans avant JC. Le petit pécule supplémentaire que lui rapporte ce job est aussi apprécié. «Je gagne 45 euros par jour. De quoi assurer l’argent de poche», sourit le retraité, propriétaire de sa maison comme près de 75 % à 80% de la population maltaise.

Marais salants.
Datant de 1740, les marais salants sont toujours exploités. © Sonya Mermoud

 

De l’eau et du sel…

Une eau cristalline coule dans les bassines de pierre du lavoir au hameau de Fontana. La construction aux élégantes voûtes remonte au XVIIe siècle. Réalisée par les moines-soldats, elle est toujours alimentée par deux sources. «Dans le passé, les villageoises venaient nettoyer leur linge ici en raison du manque d’eau, nombre de maisons n’étant pas dotées de citernes», souligne le guide. A noter que l’archipel reste confronté à un déficit d’or bleu, aggravé par le changement climatique. La visite passe par Victoria, appelée aussi Rabat, au centre de Gozo. Dans cette ville bat le cœur commerçant de l’île avec sa place centrale ourlée de restaurants, ses venelles aux échoppes colorées, ses musées et sa basilique. Surplombant la ville, la citadelle médiévale, qui servait de point de contrôle aux chevaliers, offre une vue panoramique sur une terre rurale ocre et verte, sinuée de route tortueuses et hérissées de coupoles et d’églises. Cap sur la mer. Joe, autrefois gendarme à la circulation, pilote son taxi avec prudence et aisance. L’arrivée aux marais salants, à un jet de pierre du petit port de Marsalforn, surprend le regard, composant un spectaculaire tableau graphique. Le site date de 1740 et reste exploité par la famille Cini. «Nous récoltons entre 12 et 14 tonnes de sel par an essentiellement destiné à la consommation locale», chiffre Joséphine Xuereb, fille des Cini, expliquant la manière dont est extrait artisanalement le précieux condiment, séché sous le généreux soleil de l’archipel. «Si la relève est assurée? Les enfants poursuivent leurs propres rêves», élude-t-elle. «A Gozo, comptant 33000 habitants, on a gardé un sens aigu des traditions, de la communauté. Mais la population diminue chaque année en raison du manque de possibilités de travail», souligne encore Stanley Darien Cassar. Dernière escale avant de reprendre le ferry, les falaises de Sanap surplombant une mer d’un bleu cobalt. Sauvage, la nature contribue largement au charme de Gozo comme sa tranquillité et son art de vivre. Un dernier signe de la main. Joe repart au guidon de son tuk-tuk. Demain, de nouveaux visiteurs bénéficieront de sa gentillesse. Bon vent...

Barques colorées.
Barques de pêche bariolées typiques de l’archipel au port de Marsaxlokk. © Sonya Mermoud

 

Des chevaliers à nos jours

Changement d’ambiance sur l’île animée de Malte trois fois plus grande que sa voisine, dont le dynamisme économique repose principalement sur son port franc, des services financiers – et une fiscalité pour le moins avantageuse – des jeux en ligne et bien sûr du tourisme. Avec, clou du spectacle, La Valette. Construite par les chevaliers la capitale, inscrite au patrimoine de l’humanité, en impose entre ses fortifications, ses successions de palais, ses places, ses églises, ses jardins panoramiques et ses rues rectilignes plongeant vers la Méditerranée. Sans oublier la cathédrale Saint-Jean à l’intérieur flamboyant abritant un tableau signé Le Caravage. Si cette ville cosmopolite aux nombreuses offres culturelles concentre l’essentiel de l’architecture baroque, elle ne dame pas pour autant le pion à d’autres destinations attractives comme la cité médiévale la Mdina, au centre de l’île. L’ancien bourg arabe avec son entrelac de venelles semble à jamais figé dans le temps.

Entre ses paysages de caractère sillonnés de chemins de randonnées, ses criques et ses plages, ses pittoresques villages de pêcheurs, l’archipel a ainsi beaucoup offrir. Mais ce pays de l’UE, à l’image écornée par les affaires de corruption et la délivrance de «passeports dorés» à de riches investisseurs, doit parallèlement gérer une densification de la population parmi les plus élevées de la planète, forte d’un demi-million d’âmes. «Le nombre d’habitants a augmenté de 25% au cours de ces dix dernières années. Nous sommes un pays d’immigration avec les défis qui en découlent en termes d’infrastructures: hôpitaux, écoles, gestion du trafic, etc.», indique Stanley Darien Cassar, soulignant que le taux de chômage, bas, nécessite de recruter de la main-d’œuvre. Précisons que le salaire minimum s’élève à 1000 euros et celui médian entre 1500 et 1800 euros et que près d’un travailleur sur deux appartient à un syndicat. 

Le développement de Malte ne s’est toutefois pas effectué au détriment de ses traditions et de son folklore. Pas un village qui ne célèbre son saint patron entre procession religieuse, feux d’artifice, fanfares...  Dans l’air du temps également, une tendance à un retour aux racines et à une valorisation des produits du terroir. A l’image d’initiatives comme celles d’Yvan Galea, rencontré dans son oliveraie à Girgenti, près de Siggiewi, à une dizaine de kilomètres de la capitale. Cet ex-gynécologue de 50 ans, qui enseigne la médecine à l’Université de La Valette, consacre son temps libre à bichonner ses 400 oliviers. Et œuvre à la réintroduction de la bidni, une variété locale. Il peut compter sur Karl Mallia, son acolyte, pour faire connaître son huile. Après avoir quitté l’archipel plus de vingt ans, ce grand chef cuisinier est rentré au pays et donne des cours, décidé à promouvoir des spécialités du cru. Dont la ftira, nom d’un sandwich, et, à Gozo, d’une sorte de pizza locale cuite au feu de bois, tous deux garnis d’ingrédients locaux, à déguster à côté de l’oliveraie. Un petit goût d’authentique, simple et délicieux.

Paysage.
Malte sert souvent de décor de films. © Sonya Mermoud