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Poétiques et sensuelles porcelaines

Plus que des objets usuels les porcelaines réalisées par la céramiste Sylvie Godel racontent des histoires

Céramiste installée à Lausanne, Sylvie Godel crée des objets en porcelaine mariant esthétique et fonctionnalité. Des pièces épurées, tout en délicatesse, inspirées de la vie quotidienne et de ses séjours au Japon et en Chine où elle a affiné son art. Incursion dans l'atelier collectif de cette passionnée fascinée par une pratique ancestrale.

Quand Sylvie Godel parle de son art, ses yeux s'illuminent. Ses mots s'enchaînent sans discontinuer, dessinant les contours d'un univers raffiné, sensuel et souvent gourmand. Un monde où la porcelaine devient support à la narration d'histoires tout en conservant, le plus souvent, des attributs fonctionnels. A l'image de délicats couverts japonais aux tons choisis avec soin: un vert pastel évoquant la cérémonie du thé, un bordeaux rappelant une glace spécifique aux haricots rouges, un gris anthracite, clin d'œil à la roche volcanique présente dans cette partie du monde. «Ces créations rendent hommage à la culture et aux traditions du Japon, à sa cuisine, que j'apprécie», explique Sylvie Godel qui a séjourné au pays du Soleil levant où elle a affiné sa pratique. «Quand je voyage, je suis comme une éponge. Tous mes sens sont en permanence en éveil», poursuit cette femme de 44 ans qui s'est aussi rendue à deux reprises à Jingdezhen, en Chine. Une ville d'environ 1,5 million d'habitants considérée comme la capitale mondiale de la porcelaine. De sa dernière immersion, l'an dernier, elle a ramené les «empilés». Des œuvres composées de bols de différentes grandeurs posés les uns sur les autres pour se transformer en vases originaux, à la ligne sobre, douce, épurée.

Forêt urbaine
«J'ai conçu leur design et confié la réalisation de moules à des artisans locaux», précise la quadragénaire qui en revanche, dans son atelier collectif lausannois, se charge de toutes les étapes de la démarche. De ce dernier travail, elle a retiré une dizaine de formes différentes en vue d'une future installation. «L'idée? Créer une forêt de vases, tous sur le même principe, racontant l'histoire en filigrane de cette ville chinoise se consacrant depuis des millénaires à la porcelaine. Evoquer la multitude qui la caractérise - il y a du monde partout, jour et nuit...», poursuit, volubile et enthousiaste la porcelainière qui précise avoir besoin de ces respirations à l'étranger pour se ressourcer et nourrir sa pratique. «J'en ramène des savoir-faire et des savoir-être. J'ai rencontré des personnes qui exercent, toute une vie, le même geste, à la perfection. Je recherche le geste de ces céramistes de génération en génération. J'ai adoré mes escapades professionnelles. Me fondre dans la ville de Jingdezhen, bruyante, chaotique, joyeuse, chaleureuse... Me frotter à un Japon où tout est nettement plus codifié. Retenu. Plus proche de ma personnalité», note Sylvie Godel qui rêve de se rendre l'an prochain en Corée. Et précise toujours s'inspirer, pour ses œuvres, du quotidien, de son environnement. Elle a par exemple ainsi créé une série d'assiettes sur le thème de l'eau avec pour modèle les teintes du lac Léman à différentes saisons et heures de la journée et une gamme d'objets relatant symboliquement la fonte du glacier du Rhône... Sans oublier ses bijoux et autres pièces confectionnés avec des moules réalisés à partir d'os à moelle dans lesquels elle a coulé de la porcelaine «Bone China». Une céramique fine et translucide intégrant, dans sa composition, de la cendre d'os désagrégée. «J'adore expérimenter. Raconter. Rêver. Avancer», note l'artiste qui se plaît aussi à jouer avec les mots...

Méditatif...
Le processus, quant à lui, se révèle toujours plus ou moins le même. A l'idée, succède un dessin sommaire puis une maquette en papier avant la réalisation du moule, en plâtre. «Je coule alors la porcelaine dans ce dernier. Elle se présente comme une pâte à crêpes. Plus elle contient de kaolin - son principal composant avec des minéraux - plus elle est blanche», détaille Sylvie Godel tout en faisant démonstration de la technique. La pièce séchera ensuite durant une heure au moins avant d'être «délicatement» démoulée et cuite une première fois, à 800 degrés. Ce «biscuit» est ensuite poncé. «J'y consacre énormément de temps, parfois jusqu'à trois jours de suite, pour donner naissance à une forme très tendue, très pure» affirme l'artiste tout en montrant ses mains toutes abîmées. Et non sans souligner l'aspect méditatif de la pratique. Une seconde cuisson, à 1250 degrés puis la descente ou refroidissement (compter deux jours) complètent la démarche. «Quand on ouvre le four, on a parfois des surprises. Il arrive que tout soit cassé... Ma réaction alors? Je vais me promener et reviens une heure plus tard reprendre le travail. C'est la vie» commente la céramiste qui estime que pour exercer ce métier, il faut de la «curiosité, de la persévérance, de la rigueur, de l'endurance... et ne pas être dépressif». Un dernier risque pour le moins limité pour la dynamique et souriante Lausannoise d'adoption qui s'adonne à cet art depuis 14 ans. «Auparavant, j'étais bibliothécaire. J'ai changé d'orientation à l'âge de 30 ans. Et suivi l'Ecole d'arts appliqués de Genève. Mais je pratiquais déjà en dilettante.» Quant au choix de la porcelaine, l'artiste le justifie par la «finesse de cette terre noble, précieuse». «J'ai eu une véritable rencontre avec ce matériau.» Une découverte qui depuis se décline dans une gamme de pièces originales, tout en légèreté et délicatesse, simplicité et pureté, jeux de lumière et transparence, où se reflète la passion qui habite la talentueuse céramiste.

Sonya Mermoud

 

Davantage d'informations: www.syldavie.ch



Mets en scène: plaisir du palais et des yeux
Tamiser, biscuiter, mélanger, peser, mixer... Les termes utilisés en céramique ne sont pas sans rappeler le langage culinaire. Une similarité largement exploitée par Sylvie Godel qui s'est associée avec la cuisinière Fatima Ribeiro pour proposer, une fois par mois, dans le restaurant Le Fraisier, ruelle Grand-St-Jean 9 à Lausanne, des mets servis dans des couverts de sa confection. «L'idée est de valoriser la nourriture que nous mangeons et aussi de raconter des histoires avec sa mise en scène», précise la céramiste qui a déjà par le passé travaillé avec des gens du métier. Initié l'automne dernier, ce projet à quatre mains tient particulièrement à cœur à la porcelainière épicurienne aussi sensible à la présentation des plats qu'à leur dégustation, au plaisir conjugué du palais et des yeux...
SM