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Quand camionnage rime avec esclavage

Unia proteste contre l'exploitation des conducteurs européens et demande un relèvement des salaires

Unia et Syndicom se sont ralliés la semaine dernière à l'action des syndicats du personnel des transports en Europe. Ces derniers dénoncent les conditions de travail déplorables et les salaires de misère dont les chauffeurs européens sont victimes, sur fond de dumping social. Dans la foulée, Unia a plaidé pour un relèvement des salaires des professionnels suisses de la route.

Distribution de tracts, mercredi, aux camionneurs sur l'aire autoroutière bernoise du Grauholz et manifestation, jeudi, devant la délégation de l'Union européenne à Berne: les syndicats Unia et Syndicom se sont ralliés, la semaine dernière, à la campagne organisée par les syndicats du personnel des transports en Europe.

3160 francs pour 48 heures
«Nous voulions exprimer notre solidarité avec nos collègues européens mais aussi dénoncer ce qui se passe chez nous», précise Roland Schiesser, responsable de la branche transports d'Unia. Contactant les camionneurs de passage au Grauholz, les syndicalistes ont ainsi exigé un relèvement des rémunérations. Et pour cause, le salaire plancher défini par l'Association suisse des transporteurs routiers et Les Routiers Suisses n'est que de 3160 francs par mois, pour une semaine de 48 heures...
Le lendemain, face au bâtiment de la délégation européenne, les syndicalistes ont distribué un rapport accablant, dont le titre «Esclavage moderne dans une Europe moderne?» en dit long sur le sort des conducteurs professionnels sur le continent. Ce document publié par l'European Transport Workers' Federation (ETF) est le résultat d'une enquête de 4 ans réalisée auprès de 1000 conducteurs. Il a été remis aux hautes autorités européennes ainsi qu'aux gouvernements des Etats membres.
En préambule, le document dénonce le système qui permet de déréguler la profession et d'en détourner les règles en créant des sociétés boîte aux lettres dans les pays de l'UE les moins stricts en matière de protection sociale et salariale. Pourtant, le règlement européen exige que les entreprises de transport dirigent leurs activités à partir de structures concrètes dans les pays où elles sont réellement établies. Mais la fraude est monnaie courante. Exemple, les enquêteurs ont découvert que des conducteurs polonais opérant aux Pays-Bas et recrutés par une société de transport établie en Pologne ont été contraints de signer deux contrats, l'un néerlandais et l'autre polonais. Et c'est ce dernier, nettement moins favorable aux conducteurs, qui était appliqué. Autre exemple: des Roumains ont été engagés en Roumanie au nom d'une société basée à Chypre, opérant en France, Allemagne et Belgique avec des immatriculations cypriotes...

Vivre dans la précarité
Ces conducteurs forcés de travailler hors de leur frontière sont pour la plupart recrutés en Europe de l'Est. Ils acceptent de se plier à des conditions de travail déplorables dans l'espoir d'améliorer leur quotidien et celui de leur famille. «Vulnérables et totalement dépendants de leur emploi, la plupart sont obligés de travailler à la limite de la légalité», indique le document. «Ils vivent dans des conditions rudes, sans contacts avec la société ni avec les structures qui pourraient les assister. La barrière de la langue et la peur de perdre leur emploi contribuent à leur isolement.»
Nombre d'entre eux vivent dans des baraquements surpeuplés et mal équipés. Les conducteurs non résidents vivent le plus souvent dans les camions qu'ils conduisent. Leur employeur a pourtant l'obligation de leur fournir un logement décent mais les conducteurs n'ont pas les moyens d'en payer les frais. Environ 95% des conducteurs interrogés par l'ETF prennent leur temps de pause et de repos dans leur camion, y compris les week-ends. Et souvent, ils doivent payer eux-mêmes les frais liés aux aires de stationnement.
Environ 80% des conducteurs interrogés cuisinent et consomment leur propre nourriture à bord de leur camion. «Ils doivent notamment réchauffer de la nourriture en conserve sur des réchauds improvisés. 25% n'avaient pas mangé un plat chaud plus de 2 à 3 fois par semaine. 10% n'avaient même jamais pris de repas chauds.» Quant aux conditions sanitaires, ils renoncent souvent aux douches et toilettes des aires de repos, parce qu'elles sont trop chères.

Salaires indécents
Les salaires des conducteurs recrutés en Europe orientale excèdent rarement 1000 euros par mois. Pire, la majorité de ce revenu est composée de rémunération au kilomètre parcouru, à la livraison ou à des primes diverses. Le salaire fixe ne représente donc que 300 euros et seul ce montant est soumis aux cotisations sociales, au détriment du travailleur.
A noter que le paiement par kilomètre parcouru (10 euros par 100 km) est non seulement dérisoire, mais aussi dangereux pour la sécurité routière au motif qu'il incite à prendre des risques.
En moyenne, le temps de travail des conducteurs interrogés est de 11,5 heures par jour. Près de 80% de conducteurs disent n'avoir pas été payés pour leur travail de déchargement alors que tel devrait être le cas. Quant à la pause obligatoire de 45 minutes après 4,5 heures de conduite, 60% disent qu'ils sont souvent dans l'impossibilité de la prendre.
S'agissant des congés, environ 95% attestent qu'ils n'ont pas été payés pour les semaines passées à leur domicile, alors que leur contrat de travail les autorise à prendre ces congés payés. De plus, 25% n'ont pas été payés durant leurs vacances annuelles!
Ces conditions proches de l'esclavagisme sont une fois de plus le résultat d'une politique ultralibérale basée sur la maximisation des profits. A quand l'Europe sociale?

Pierre Noverraz


«Ne touchez pas aux chemins de fer»
Des actions de protestation se sont également déroulées dans toute l'Europe, la semaine dernière, contre la libéralisation des chemins de fer européens. Le syndicat suisse SEV y a également participé par solidarité mais aussi parce que la Suisse dépend étroitement des décisions de Bruxelles. Les syndicats s'élèvent contre le 4e paquet de mesures ferroviaires de l'Union européenne. Cette ouverture à la concurrence débridée risque d'avoir de lourdes conséquences pour l'emploi, l'efficacité et la sécurité, sans compter qu'elle prêtera flanc au dumping social et salarial.
PN