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Septante ans d'engagement syndical féministe et politique

Gabrielle Ethenoz-Damond a été de toutes les luttes et à 94 ans n'a pas fini de s'engager

«Quel est le salaud qui m'a poussé?» C'est en faisant référence à la légende de Winkelried qu'elle explique, avec humour, les raisons de ses nombreux engagements. «Mon grand malheur, c'est de ne pas savoir dire non. Il y en avait toujours un qui me poussait, et un autre qui me tirait», ajoute Gabrielle Ethenoz-Damond avec le sourire. A 94 ans, à la table de la cuisine de sa jolie maison nyonnaise, elle revient sur sa vie avec humilité et simplicité.
Gabrielle est née le 4 juin 1921, dans une famille de cinq enfants. Son père, un petit entrepreneur du bâtiment, savait tout faire et lui a transmis son sens de la bricole. Sa mère, femme au foyer, lui a légué son français impeccable. Mais sa scolarité est marquée par son don, et sa passion, pour les mathématiques. Elle sera d'ailleurs l'unique représentante féminine de sa volée à suivre le cours facultatif de comptabilité.
Rares étaient pourtant les jeunes filles d'alors à pouvoir rêver d'une carrière scientifique. A défaut de devenir ingénieure ou comptable, et les quelques places à l'Ecole normale de Lausanne étant limitées cette année-là aux autochtones, elle se voit finalement proposer une place d'apprentissage dans la manufacture de poteries fines de Nyon.
«On était payé aux pièces. On faisait la course avec l'aiguille trotteuse de notre montre posée devant nous. C'était épouvantable!», raconte l'ancienne décoratrice sur faïence, dont la dextérité lui permettra toutefois d'obtenir un très bon salaire pour l'époque, soit un peu plus de 200 francs, et qui se verra confier par la suite l'analyse des terres d'argile.

De la FOBB
Travaillant cinq jours et demi par semaine, sans vacances, sans assurance maladie, dans le froid, la poussière et l'humidité, avec des hommes payés le double des femmes, les quelque 60 employés de la manufacture répondent à l'invitation de la Fédération des ouvriers du bâtiment et du bois (FOBB) de se syndiquer. Très vite, Gabrielle Damond, de son nom de jeune fille, rédige les procès-verbaux des assemblées de section. «J'ai fait un nombre de PV dans ma carrière, je vous dis pas!»
Elle est engagée au syndicat en 1952 pour administrer le bureau de Nyon. «A l'époque on faisait office de service social. On savait tout faire. Et j'aimais résoudre les problèmes des ouvriers autant que les mathématiques au collège», se souvient-elle. Un souvenir de ses années d'engagement syndical? «Les cortèges du 1er Mai. Chaque année, j'avais le même soliloque qui trottait dans ma tête: Pourquoi cette «bedoume» reste sur le trottoir? Pourquoi cet imbécile ne défile pas avec nous?»
Pendant 30 ans, la militante travaillera en tandem et en harmonie parfaite avec le secrétaire syndical Albert Dubrez. «La tactique d'Albert: s'enfiler partout où c'était possible!», raconte-t-elle. Ils entreront ainsi dans le comité de la nouvelle Université populaire. Et c'est là que la militante sera invitée à rejoindre l'Association pour le suffrage féminin (ASF) qui sera pour beaucoup dans l'acceptation des citoyens vaudois d'octroyer le droit de vote et d'éligibilité aux femmes en 1959.

Un demi-siècle de politique
Gabrielle Damond se marie quelques années plus tard, à passé 40 ans, avec Albert Ethenoz. «Si on n'avait pas été aussi timide, on se serait marié avant», rigole-t-elle. «Il est mort il y a 10 ans. On était comme deux larrons en foire, au même niveau intellectuel, même si lui avait une tête de moins que moi. Vous savez, j'étais une grande femme, même si ça ne se voit plus.» Un peu voûtée, Gabrielle Ethenoz-Damond dit, avec l'âge, faire les choses beaucoup plus lentement et se lever très tard. Mais continue sans relâche de s'impliquer dans les commissions et le Conseil communal qu'elle n'a jamais quitté depuis 1960. «Mon père a démissionné, car il en avait marre qu'on se moque de sa dyslexie. Et le Parti socialiste est venu chercher la fille...» L'année suivante, elle passe l'épreuve des urnes haut la main, avant de siéger, parallèlement, au Grand Conseil pendant 17 ans, au gré des besoins du parti, sans plan de carrière aucun, dévouée à la cause. Un exemple de longévité et d'implication d'où les nombreux diplômes d'honneur accrochés à ses murs: du PS nyonnais, de l'Association pour les droits de la femme, ou encore de l'Université populaire. Elle est aussi l'une des rares personnes à s'être vu décerner la bourgeoisie d'honneur de Nyon «en reconnaissance des éminents et signalés services rendus à la cause des femmes et de son engagement constant pendant 50 ans dans la vie politique de la Ville de Nyon». Plus précisément, 55 ans de Conseil communal l'été prochain. «Je vais m'arrêter là. J'espère qu'ils ne vont pas m'embrigader encore une fois!», lance celle qui aura décidément marqué les esprits et son temps. Et laisse une trace de plus avec son livre «La manufacture de poteries fines de Nyon - Souvenirs d'une ouvrière 1938-1952», publié en 2008. «Le bâtiment a été démoli, comme beaucoup d'autres usines, dans les années 80. Ça m'a fait quelque chose», dit-elle les larmes aux yeux. «J'ai fait ce travail pour la mémoire...»

Aline Andrey