Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Une industrie à côté de ses pompes

Public Eye dénonce l'opacité de la production de chaussures dans le monde ainsi que les conditions de travail des ouvriers

Aujourd'hui, nos chaussures sont produites de façon scandaleuse: salaires de misère, santé mise en danger, conditions de travail dangereuses. Dans son enquête, réalisée en collaboration avec le réseau international «Change Your Shoes», Public Eye pointe les abus perpétrés sur les chaînes de production et le fait que les grandes marques soient rarement mises face à leurs responsabilités. L'ONG lance en parallèle une vaste campagne de sensibilisation pour inviter les consommateurs à changer leurs habitudes et revendiquer des chaussures produites dans des conditions équitables.

Le chiffre est délirant: en 2015, plus de 23 milliards de paires de chaussures ont été produites dans le monde, soit plus de trois paires par individu. En Suisse, chaque année, chaque personne en achète six à sept paires. Les magasins en proposent toujours plus et toujours moins chères. Difficile de ne pas céder à la tentation. Le problème, c'est le manque de transparence qui règne dans l'industrie de la chaussure, et des lois floues qui permettent d'estampiller «made in Italy» ou «made in Germany» des produits confectionnés en Europe de l'Est. Mais le plus inquiétant, ce sont les conditions de travail dans lesquelles les millions d'ouvriers de ces pays opèrent: salaires de misère, horaires insoutenables ou encore atteintes à la santé font partie de leur quotidien. Dans une récente enquête, l'ONG suisse Public Eye pointe ces problèmes et interpelle les consommateurs, afin qu'ils changent leurs habitudes, mais aussi les entreprises et les politiques, pour qu'ils prennent enfin leurs responsabilités.
«Nous sommes face à un problème systémique, expose Géraldine Viret, de Public Eye. Le modèle d'affaires de la mode éphémère s'est étendu aux chaussures. Il faut produire toujours plus, plus vite et moins cher. Les conditions de travail pour des millions de personnes sont déplorables. Les entreprises ont fait des chaussures des produits jetables, sans valeur.» Le tableau dépeint par l'association est sombre. Selon elle, aujourd'hui, il est impossible de garantir qu'une chaussure ait été produite de façon équitable et respectueuse de A à Z.

Produits dangereux
«Nous ne connaissons plus les personnes qui confectionnent nos chaussures. Et eux non plus ne nous connaissent pas. Ils ignorent le prix que nous paierons pour acheter "leurs" chaussures, tout comme nous ignorons combien ils reçoivent à la fin du mois pour les avoir produites.» Dans son enquête, Public Eye est parti sur les traces des chaussures que nous portons, notamment les chaussures en cuir, plus onéreuses, de meilleure qualité, soi-disant produites en Italie ou en Allemagne. Direction les tanneries toscanes, où les ouvriers doivent supporter la puanteur des peaux de bêtes et s'exposent aux substances chimiques pour les traiter. Sans oublier les tonnes de peaux qu'ils sont amenés à soulever chaque jour: un travail pénible et usant que les Italiens ont depuis longtemps délégué aux migrants africains, d'accord de trimer 14 heures par jour pour se sortir de la misère. «Avec les Africains, il y a moins de problèmes, témoigne un chef d'entreprise interrogé par Public Eye. Ils travaillent dur. Et ils ne sont jamais malades. Les Italiens ne veulent plus faire ce genre de boulots.»

La misère en Albanie
Une fois le tannage terminé, le cuir est traité, teint et mis en rouleaux, toujours en Italie. On pourrait croire que la confection de la chaussure a lieu en Italie ou en Allemagne, mais ce n'est souvent pas le cas. Les marques exportent les produits semi-finis en Europe de l'Est et du Sud pour avoir une main-d'œuvre moins chère et les réimportent sans payer de droits de douane. Public Eye s'est rendu en Albanie, dans des usines qui produisent essentiellement pour des marques italiennes prestigieuses, pour faire l'état des lieux. Les ouvrières touchent l'équivalent de 150 francs suisses par mois, moins qu'en Chine, travaillent 6 à 7 jours par semaine dans le bruit et le froid, et travaillent sans aucune protection. Des salaires de misère qui ne permettent évidemment pas de subvenir aux besoins vitaux des ouvrières.

Revendications
«L'industrie de la chaussure est un secteur opaque et mondialisé, qui profite avant tout aux actionnaires des grandes marques», affirme Public Eye. Mais ce n'est pas une fatalité. Aux entreprises et aux fabricants, l'association demande qu'elles assument leurs responsabilités en prenant des mesures pour protéger les ouvriers des fabriques et des tanneries, en publiant la liste des fournisseurs et des sous-traitants auprès desquels elles s'approvisionnent et en rendant des comptes sur les mesures envisagées pour l'amélioration des conditions de travail. Des gouvernements, Public Eye exige qu'ils introduisent un salaire minimum légal au niveau du salaire vital et qu'ils s'assurent que les entreprises respectent les droits humains et les droits des travailleurs, notamment syndicaux.
«Nous invitons aussi les consommateurs à remettre en question leur mode de consommation, insiste Géraldine Viret. Réfléchissons à ce dont nous avons vraiment besoin, n'achetons pas à tout-va et faisons preuve d'esprit critique.» Public Eye suggère d'acheter donc moins de chaussures, pourquoi pas de seconde main, et de les faire réparer afin de les porter plus longtemps. «Nous ne publions pas de guide d'achat car face à des chaînes d'approvisionnement aussi complexes et opaques, il serait difficile pour nous de garantir qu'une entreprise jugée "acceptable" aujourd'hui le soit encore demain», explique Géraldine Viret.

Manon Todesco

Plus d'informations sur l'enquête et sur l'action de dénonciation des conditions de travail dans l'industrie de la chaussure à Berne le 6 mai, dès 13h30, à la Kornhausplatz: www.publiceye.ch

 


Crée ta propre chaussure!
Dans le cadre de sa campagne, Public Eye lance le «Shoe Creator», un outil qui propose aux internautes de créer les chaussures de leurs rêves à partir de quatre modèles et de nombreux accessoires. Au terme de ce concours, à la mi-juillet, le design gagnant sera produit sur mesure pour son créateur, en privilégiant les solutions locales et le fait main. L'idée? Sensibiliser les jeunes à ces problématiques.
MT

https://www.theshoecreator.ch/fr/