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Une vie à l'image d'un conte

Conteuse et clown, Françoise Bonny partage ses univers imaginaires sur scène, dans les écoles, les hôpitaux ou les EMS

Il était une fois une paysanne qui devint conteuse et rencontra un prince... La trame de la vie de Françoise Bonny pourrait être celle d'une légende, contemporaine. Mais reprenons depuis le début... ou du moins, depuis son arrière-grand-mère, exilée dans les années 1900 dans la pampa argentine, dont elle aurait hérité des traits physiques. Ou encore de son enfance marquée par la lecture de contes chez sa grand-mère, dans une laiterie d'un petit village vaudois. Une plongée dans un univers de mots dont certains lui échappaient ajoutant encore de la féérie à son plaisir, «autant de manières différentes d'être au monde» qu'elle a retrouvé ensuite dans les romans de science-fiction de son adolescence. Le livre, son fidèle compagnon, poussera Françoise Bonny à suivre, maturité en poche, un apprentissage de libraire.
A 20 ans à peine, elle quitte Lausanne pour épouser un agriculteur de la Broye vaudoise et le travail de la terre. Elle mettra au monde trois enfants, à qui, bien sûr, elle racontera des histoires. Puis ouvrira une petite librairie à Payerne... Finalement, mue par son amour de la narration, elle se forme auprès de conteurs fameux. Et se lance sur le terrain, en contant dans des écoles puis ailleurs: bibliothèques, maisons de retraite, institutions pour personnes handicapées et sur scène.

Au début était la parole
Mais qu'est-ce que le conte? «C'est une parole précieuse, voire sacrée, toujours porteuse d'une sagesse, vieille comme le monde, hors de la pensée formatée. Une parole née d'un rêve, d'une anecdote, d'une histoire qui est ensuite amplifiée jusqu'à se fixer dans une forme qui correspond à l'inconscient collectif d'un peuple. Les contes traditionnels sont un patrimoine intangible et incontrôlable de l'humanité. Le conte est une parole vivante et je me permets donc de changer certains éléments, mais généralement en gardant sa trame», explique Françoise Bonny généreuse dans les mots comme dans la vie.
A 40 ans, elle est devenue clown pour la Fondation Theodora et l'Association Archop qui rendent visite aux enfants malades à l'hôpital et à domicile. Une activité où elle se sent à sa place, utile. Un engagement parmi d'autres pour cette militante du quotidien profondément révoltée par les injustices. «Nous pouvons tous quelque chose pour autrui, par un sourire, une écoute, un encouragement. Prendre soin de nos proches et montrer de la bienveillance envers les gens que l'on rencontre, c'est déjà changer le monde. C'est en tout cas ce qui m'empêche de sombrer dans le désespoir. Le conte et le clown - qui ouvrent tous les possibles et peuvent renverser les convictions et laisser de la place au doute - sont ma manière de supporter et si possible d'alléger pour autrui des réalités injustes. Je crois qu'il y a des paroles simples qui peuvent parfois changer la vie d'une personne. Ce sont des moments magiques lorsque le conte touche quelqu'un, ou lorsque la qualité d'écoute est telle que le récit coule tout seul.» De nombreux souvenirs lui reviennent, des instants partagés avec des personnes handicapées, ou âgées, qui paraissent parfois absentes mais dont les retours à la fin du conte sont bouleversants...

Une seconde vie
Depuis une quinzaine d'années, Françoise Bonny laisse libre cours à sa créativité, et jongle entre ses activités de clown, de conteuse et d'enseignante de français pour enfants migrants. En 2004, elle se sépare de son mari, et quitte la ferme pour revenir à Lausanne. Une seconde vie commence, marquée par sa rencontre avec un prince bamiléké. Patrice, originaire du Cameroun, qui, outre son titre honorifique, est musicien. Ensemble, ils forment un couple dans la vie et sur scène, où le Noir et la Blanche, l'homme et la femme, aiment se chamailler et se jouer des clichés, dans une complicité sans faille.
En automne 2012, ils ont créé l'association culturelle Nanaboco. Un troisième compère, Hugues Zoko, danseur originaire de Côte d'Ivoire, s'est depuis joint à eux. Des spectacles voient le jour, en solo, en duo ou en trio, où les cultures se mélangent pour offrir de nouveaux points de vue, d'autres manières d'appréhender le monde. «Nous ne créons pas de spectacles spécifiques contre le racisme. Mais je crois que le fait d'être sur scène ensemble, loin des longs discours, permet déjà une ouverture.» Son premier voyage au Cameroun lui a offert l'opportunité de se perdre, de s'ouvrir à un ailleurs, comme dans les contes. «Chez nous, c'est noir ou c'est blanc. Là-bas, parfois c'est noir... et c'est blanc. En même temps. Et puis c'est incroyable ce qui peut se cacher derrière un même mot. C'est déroutant, mais cela permet de briser les certitudes. Car j'ai la ferme conviction que l'un des fléaux qui nous menacent, c'est la conviction bétonnée d'avoir raison. Quelqu'un a dit bénies soient les failles, elles permettent de laisser passer la lumière...» 


Aline Andrey

www.nanaboco.org
www.archop.ch