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Une vie plus douce et exigeante à la fois

Ingénieur chimiste à la retraite, écrivain et enseignant de disciplines martiales, Nicolae Bialokur revient sur son parcours

Pas question de parler de compétition quand on évoque le Budô (disciplines martiales japonaises), avec Nicolae Bialokur. Pour ce Sensei (enseignant), ces pratiques relèvent davantage de la culture que du sport. «Dans une guerre, on est confronté à un ennemi; dans la rue, à un agresseur; sur un ring, à un adversaire, alors que dans le Budô, on a devant soi un partenaire avec lequel on progresse sur les chemins de la vie, vers le sommet de la montagne», poursuit cet attachant Suisse d'origine roumaine de 72 ans, divorcé et père d'un fils de 22 ans. Et d'énumérer les différentes valeurs véhiculées par le Budô: la droiture, la vérité, l'étiquette, la connaissance, la confiance et la bienveillance. Le Budô nécessite toutefois, précise-t-il, une bonne santé, de l'endurance, une volonté de se dépasser et l'acceptation d'une certaine hiérarchie. «Les personnes qui s'approchent de ce monde doivent l'aborder avec humilité, se montrer ouvertes à tout et à tous, être conscientes qu'elles ne deviendront pas des surhommes et qu'elles n'auront pas de maîtrise sur les autres, mais seulement sur elles-mêmes.» En revanche, les adeptes éprouveront peut-être, comme Nicolae Bialokur, «un sentiment de liberté totale, d'harmonie avec soi, les autres et l'univers». Et le Sensei d'insister sur l'impact du Budô dans son existence, la rendant à la fois «plus douce et plus exigeante». Et alors qu'il s'est formé en autodidacte aux disciplines martiales japonaises découvertes, enfant, dans un pays autrefois hostile à ces pratiques...

Pionnier du Budô
«Gamin, j'avais vu dans une bande dessinée un personnage briser une brique de la tranche de la main», sourit le septuagénaire, se souvenant de la douleur ressentie quand il avait tenté d'imiter le héros de son magazine. Nicolae Bialokur se rappelle aussi de l'effet qu'avait eu sur lui une histoire que lui racontait un oncle, et dans laquelle un officier japonais était parvenu à se défaire, seul, de plusieurs adversaires en recourant au Jûjutsu (l'art de la souplesse). «J'ai alors retenu qu'un homme peut en maîtriser plusieurs», relate celui qui, adolescent, se procurera un manuel d'autodéfense. «Mes professeurs ont ainsi été des livres dans une Roumanie communiste où les disciplines martiales, provenant de "l'Ouest", étaient quasi inexistantes et particulièrement mal vues.» L'autodidacte parvient néanmoins à trouver un Dôjô (le lieu où l'on progresse sur la voie) de Judo. Et, à force d'entraînement, devient enseignant de Karatedô (la Voie de la main vide) et d'Aikidô (la Voie de l'union des énergies). En 1975, il fonde son école de Budô - appréhendé comme un élément de la culture japonaise - intégrée dans une institution académique. «J'ai été le pionnier du Budô en Roumanie», affirme non sans une certaine fierté le Sensei, qui invitera alors, «véritable exploit», des homologues occidentaux et verra son niveau reconnu et validé par ces derniers.

Pressions de la Securitate
Trois ans plus tard, en 1978, Nicolae Bialokur est à son tour reçu en France et en Allemagne de l'Ouest, convié à suivre des cours de Budô sous la direction de Sensei. Il s'étonne encore aujourd'hui d'avoir obtenu l'autorisation de voyager. Un «miracle» qui ne se reproduira plus par la suite, ses espoirs de déplacements ultérieurs ayant fait l'objet de chantage auquel il ne cédera pas. Mais ne brûlons pas les étapes. Si l'homme, issu d'une famille d'intellectuels d'origine noble, déteste le régime en place, il retourne néanmoins à Bucarest. «Je ne voulais pas m'enfuir. Question d'honneur, de principe et en raison de ma famille. Je croyais aussi pouvoir développer le Budô dans mon pays.» Les pressions exercées par la suite par la Securitate, la police politique secrète roumaine, auront toutefois raison de ses réticences. Sa belle-famille étant déjà en Suisse, Nicolae Bialokur et son épouse la rejoignent sous le registre du regroupement familial, et ce après une lutte acharnée pour obtenir leurs papiers. Arrivés légalement à Lausanne le 23 mars 1983, ils obtiennent en 1984 le statut de réfugiés politiques. Et, quelques années plus tard, deviennent Suisses!

Fabuleux logiciel
Ingénieur chimiste diplômé d'Etat, l'exilé, qui travaillait dans son pays dans le domaine du génie chimique, ne peut exercer cette profession dans nos frontières. Engagé comme maître auxiliaire (maths, physique et chimie) dans différentes écoles, il va continuer son activité Budô: pratique, recherche, enseignement, livre et articles. «Il y a deux ans, j'ai dû fermer mon Dôjô pour des raisons de santé», soupire le Sensei attristé par cette situation. Pas de quoi toutefois décourager cet inconditionnel optimiste qui trouve énormément de joie auprès de son fils et dans la lecture, englobant des ouvrages sur le Budô, sur l'univers, des traités d'histoire et de philosophie ou encore de physique relativiste et quantique. Et confiant n'avoir qu'une peur, celle de la mort. «Je la déteste. C'est l'inconnu. Je suis contre la peine de mort et Exit. Je suis un scientifique qui croit que l'Univers a un sens. Il suffit de regarder la merveilleuse perfection qui nous entoure, des atomes aux étoiles. Comme un logiciel. Fabuleux.» Et le Sensei de lancer, au passage, un Kiai. Ce «cri de combat» qui vient du ventre, amplifié par l'esprit de décision qui le déclenche, libérant l'énergie intérieure. Puissant. Et d'une extraordinaire vitalité...

Sonya Mermoud