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Unia Neuchâtel s'invite au restaurant du Soliat

Le syndicyat a dénoncé les pratiques du gérant de la buvette d'alpage du Creux-du Van

Situé à deux pas du grand cirque rocheux du Creux-du-Van, Le Soliat est un emblème du tourisme neuchâtelois, mais l'arrière-cuisine cache des conditions de travail et d'embauche peu reluisantes. Au cours d'une action sur place, Unia Neuchâtel a dénoncé une fausse comptabilité des heures de travail effectuées, ajoutant un point supplémentaire à la longue liste de récriminations à l'égard du gérant de l'établissement.

Action syndicale mouvementée sur les crêtes jurassiennes. La semaine dernière, Unia Neuchâtel a invité les médias à la ferme auberge du Soliat. Début juillet, le syndicat, qui défend huit anciens employés, avait déjà porté de lourdes accusations à l'encontre du gérant de cet établissement situé à deux pas du Creux-du-Van. Pour rappel, la trentaine de personnes employées durant la saison d'été par cet emblème touristique neuchâtelois vivraient un «enfer». Dans une ambiance délétère, entretenue par un gérant autoritaire, ils travailleraient jusqu'à 16 heures par jour, sans pauses ni respect des jours de repos. En outre, les heures supplémentaires effectuées par le personnel du restaurant ne seraient pas payées, assure Unia, et des ouvriers agricoles seraient employés au service en salle. Enfin, selon le syndicat, des travailleurs ne seraient pas déclarés aux assurances sociales et les licenciements - nombreux - ne respecteraient pas les délais de congé.

Bousculade
Après avoir installé un stand sur l'entrée du parking et commencé à distribuer des tracts aux promeneurs, les secrétaires syndicaux allaient s'adresser à la presse quand des employés de l'établissement ont fait irruption en criant, arrachant drapeaux et banderoles, en bousculant syndicalistes, journalistes et photographes. Il a fallu calmer un grand jeune homme, très énervé, qui menaçait d'en venir aux mains. «Vous voulez couler Le Soliat et vous allez me faire perdre mon travail!», s'est plaint cet ouvrier agricole d'origine slovaque. Les secrétaires syndicaux ont alors trouvé les mots justes pour exposer le sens de leur action et ramener à la raison les salariés inquiets. «Je n'ai jamais vu une entreprise à ce point pas en ordre. Tout ce que nous demandons, c'est le respect des lois», a expliqué Catherine Laubscher, secrétaire régionale d'Unia Neuchâtel. «Si c'est votre but, alors d'accord. Le patron doit se mettre en ordre», a reconnu l'ouvrier. Un dialogue constructif a pu dès lors s'établir et, heureuse conclusion, des employés ont apporté pains, saucisses et bouteilles de vin afin de sustenter les syndicalistes. L'un des ouvriers agricoles a pu confirmer à L'Evénement syndical être aussi employé au service en salle. A l'heure du repas de midi justement, tous ces salariés ont dû quitter le parking pour se remettre au travail.

Double décompte des heures
Unia défend huit ex-travailleurs de l'établissement et réclame près de 80000 francs de salaires impayés et d'indemnités à l'employeur, qui a refusé d'entrer en matière lors d'une séance de conciliation. L'affaire est sur la table du Tribunal des prud'hommes, qui devrait convoquer prochainement les deux parties.
Elément nouveau, le syndicat se dit prêt à apporter la preuve que la comptabilité des heures de travail est faussée afin d'échapper aux contrôles. «Les travailleurs doivent signer des décomptes ne correspondant pas à la réalité. Ils sont menacés d'être renvoyés s'ils n'obtempèrent pas. En comparant avec un autre décompte, nous avons trouvé dans un cas quelque 600 heures impayées sur une saison», indique Isabel Amian, secrétaire syndicale d'Unia Neuchâtel, responsable de l'hôtellerie-restauration. «Il nous disait, soit vous signez le cahier des heures, soit vous partez», corrobore Patricia (prénom d'emprunt).

Un petit seigneur
Vivant dans la région, employée dans la restauration, cette travailleuse avait été engagée au Soliat en 2015. Elle a tenu à venir témoigner devant les médias afin que cesse «cette situation qui dure depuis trop longtemps». «Je me demande comment ça se fait que le patron n'ait jamais été inquiété. C'est une espèce de petit seigneur qui profite de la précarité dans laquelle se trouvent ses employés. Il est collant avec les filles, a ses petits chouchous, comme dans une cour, tout en pouvant exploser à tout moment. Il est capable de débouler à 6h20 pour gueuler d'allumer le feu. Dès que quelqu'un lui tient un peu tête, c'est loin, dehors. Au bout d'un mois, j'ai été licenciée sur-le-champ, devant tout le personnel. "Tu pars tout de suite de chez moi, dégage", m'a-t-il dit. Je me demande encore comment on pouvait supporter tout cela. C'est dingue, les collègues qui partaient en larmes, on n'y faisait même plus attention», avoue-t-elle.

Pas de gants pour les barbelés
Autre témoignage, celui de l'Equatorien Benito (prénom d'emprunt). «Début 2016, je suis devenu père d'un enfant. Pour nourrir ma famille, comme il n'y a pas beaucoup de travail dans mon pays, j'ai répondu à une offre d'emploi comme ouvrier agricole au Soliat parue sur Internet. J'ai contracté un crédit pour payer le voyage et je suis arrivé ici en mai 2016. On m'a chargé de poser une clôture de fil barbelé, mais je n'avais pas de gants de travail. Au bout de quinze jours, je suis descendu à pieds à Couvet en acheter, mais au retour le patron m'a reproché mon absence et m'a dit de partir. Il ne m'a rien payé. Je ne connaissais personne à Neuchâtel, je ne savais pas où dormir, alors j'ai frappé à la porte d'Unia», raconte-t-il. Le travailleur a depuis trouvé des emplois dans la construction et la branche viticole, en gardant une certaine rancœur à l'égard de l'administrateur du Soliat. «Cette personne se fiche de la justice, je ne savais pas que c'était possible en Suisse.»
Le gérant en question refuse de parler aux médias. Son avocat ne souhaite pas s'exprimer sur le détail d'une affaire faisant l'objet d'une procédure, qu'il décrivait début juillet dans nos colonnes comme une «cabale» lancée à l'encontre de son client.
Unia exige que ce dernier assume ses responsabilités. Le syndicat veut aussi s'assurer qu'à l'avenir la gestion de ce lieu touristique soit irréprochable. Enfin, Isabel Amian relève qu'au moment «où de fortes pressions sont engagées au niveau fédéral pour flexibiliser le temps de travail, on constate avec cette affaire que d'énormes abus sont déjà possibles sur les heures supplémentaires».

Jérôme Béguin