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«Chaque iceberg est un personnage»

Portrait de Marie-Morgane Adatte.
© Thierry Porchet

Marie-Morgane Adatte a vu sa conscience écologique encore renforcée après son voyage au Groenland qui lui a inspiré sa première BD.

La Neuchâteloise Marie-Morgane Adatte publie sa première BD intitulée Les mains glacées, une plongée dans l’Arctique et le réchauffement climatique

Son voyage au Groenland lui était prédestiné. Marie-Morgane Adatte aime l’hiver, la montagne, la nature, les cailloux et les gens. Elle a besoin d’un cadre pour travailler: un temps donné, un espace. Rien de mieux qu’un voilier donc. Et elle est particulièrement attirée par les pays du Nord, même si son père géologue emmenait parfois sa famille dans le sud, en Bulgarie, en Italie, en Grèce, en Espagne, au Mexique, au Maroc… «Je me souviens de marches dans le désert à la recherche de fossiles, tout en remplissant des sacs de cailloux», raconte-t-elle. Lors de ces périples, la petite fille dessine déjà. «J’ai très tôt adoré le format du carnet de bord», explique celle que ses proches appellent Marie-Mo, devenu plus tard son nom d’artiste (sans tiret). «Je devais avoir 7 ans, et je me souviens très bien, alors que je dessinais l’orque Willy (!), avoir entendu ma tante artiste me prédire l’entrée dans une école d’art!» Elle choisira, en effet, quelques années plus tard, celle de Bienne, le graphisme en spécialisation.

Quant à la navigation, l’enfant du village d’Enges sortait de temps en temps avec le bateau de sa tante et des amis sur le lac de Neuchâtel. Se laissant flotter sans jamais vraiment s’intéresser aux techniques marines. La voile, elle en apprendra donc les rudiments sur la côte ouest du Groenland.

La fonte des glaces

En été 2018, elle embarque, avec trois autres artistes, sur le voilier de l’association MaréMotrice – un nom qui fait étrangement écho au sien. Celle-ci propose des expéditions polaires pour documenter, autrement que scientifiquement, la mutation du pôle Nord en proie au réchauffement climatique. Un voyage comme une initiation. «C’était tellement beau et incroyable à chaque instant, que je me suis sentie comme un nouveau-né», témoigne MarieMo. Sa conscience écologique se renforce au fil des jours. «On voit littéralement la glace fondre, les glaciers se déplacer. Et on les entend! Chaque iceberg est un personnage. Cela chamboule d’en voir un se retourner sur lui-même plusieurs fois en quête d’un nouvel équilibre.»

MarieMo s’immerge dans cette nature sauvage tout en vivant avec cinq autres personnes sur un voilier de quinze mètres de long. Une proximité dans l’immensité. «Dès qu’on accostait quelques heures, chacun partait dans une autre direction», sourit-elle. Tout en précisant avoir beaucoup aimé ses compagnons de vagues. «J’adorais être au coin du poêle, confiné dans un petit espace. L’ambiance était celle d’un chalet. Cela me rappelait les camps de ski», souligne la monitrice de sport d’hiver.

Chaque soir, la lecture d’extraits de Moby-Dick, par un metteur en scène embarqué lui aussi dans cette aventure, l’enchante; tout comme l’odeur du café le matin, l’utilisation d’une perceuse bricolée pour faire mousser le lait, ou encore d’une théière d’eau froide et une autre d’eau chaude pour toute douche. Si son rêve d’enfant de voir un morse sera déçu, MarieMo tombera amoureuse des phoques, «si curieux et agiles dans l’eau, et si maladroits quand ils en sortent».

Regarder l’horizon, apercevoir des baleines, scruter les plaques de glace dans le brouillard, marcher sur le continent à la recherche de cailloux (encore et toujours), et surtout écrire et dessiner, malgré le froid. «On était en été, donc ça allait», tempère l’adepte de bains lacustres hivernaux. Une habitude qu’elle quittera, étrangement, à son retour du Grand Nord.

Chaque jour, la dessinatrice remplit son carnet de bord avec son stylo très fin qu’elle abreuve d’encre de Chine. «Je m’exerce à la couleur, mais je n’y arrive pas encore», explique la férue de noir et blanc. Quant aux textes, la bédéiste-reporter privilégie le piquant, flirtant avec le sarcasme, et évite les pensées trop gentilles ou moralistes. Sa première BD personnelle Les mains glacées – un titre qu’elle avait déjà en tête avant de partir – vient d’être publiée. Elle retrace ce voyage, entre réalité et imaginaire, qui a transformé sa créatrice.

Celle-ci rêve d’ailleurs de repartir en mer, mais cette fois à bord d’un navire de sauvetage en Méditerranée. «La migration me touche beaucoup. J’ai envie de pouvoir retranscrire des témoignages des personnes qui ont fui leur pays et de celles qui les sauvent. A travers mon travail, j’ai besoin de faire passer des messages sur des causes qui me touchent.» Le climat, l’exil, l’égalité des droits…

Le 9e art au féminin

Depuis sa résidence d’artiste au festival de BD à Delémont en 2017, MarieMo fait partie du collectif féministe La bûche, et participe activement au fanzine alternatif du même nom. Dernièrement, elle a contribué à son hors-série Les voix qui retrace la lutte des femmes en Suisse pour le droit de vote. Très admirative de ces révolutionnaires, l’autrice prône l’égalité, sans se sentir foncièrement féministe. Elle estime être entrée dans le monde du 9e art sans trop de difficulté, au moment où les femmes commencent à y trouver une place.

En 2020, MarieMo – qui travaille beaucoup pour des musées et autres institutions culturelles, et adore sortir dans des cafés sympas – vit très mal les répercussions de la pandémie. «J’en ai bavé, résume-t-elle, financièrement, professionnellement, socialement.»

En comparaison, 2022 sonne comme un renouveau pour l’illustratrice et graphiste qui se sent, depuis peu, prête à endosser le statut d’autrice de bandes dessinées. Elle vient de s’installer dans un atelier collectif, et d’emménager dans un nouvel appartement en colocation avec des amis. Sa première BD, Les mains glacées, a été récemment publiée, et en augure bien d’autres. D’ailleurs, elle a déjà les titres.

Les mains glacées, MarieMo, Editions Antipodes, 2021.