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Rêves et nature au bout du crayon

Portrait de Krum.
© Thierry Porchet

Krum a trouvé, avec le 9e art et la musique electro, un refuge et un espace à l’expression de sa personnalité rêveuse, inquiète et hypercréative.

L’illustrateur et bédéiste Bastien Krummenacher, alias Krum, conjugue son art avec le verbe rêver. De l’enchantement à la clé

Une palette de crayons et ses deux chats: voilà les ingrédients du bonheur de Bastien Krummenacher, alias Krum. Quand l’illustrateur et bédéiste n’enseigne pas son art à Vevey et à Lausanne – une activité qui l’occupe à mi-temps – il crée des univers oniriques portant au voyage. Escorté par ses élégants félins présents sur nombre de ses planches, le Vaudois de 43 ans dessine des mondes fantastiques qui s’inspirent notamment du mouvement culturel Steampunk. Un genre qui mêle l'esthétique et la technologie du XIXe siècle à des éléments de science-fiction. Avec, à la clé, des histoires sensibles où la nature joue un rôle majeur. Des images belles et poétiques, métaphoriques, ouvrant d’innombrables fenêtres sur le rêve tout en suscitant en filigrane une réflexion sur la vie et sur notre rapport à l’environnement et à sa préservation. Cette dernière question inquiète beaucoup l’auteur. Soucieux du futur de la planète, il en appelle, en ce début d’année propice aux vœux, à une prise de conscience élargie de son devenir. Pour sa part, le passionné se définit comme un petit consommateur: il vit dans un appartement modeste, ne possède pas de voiture et voyage essentiellement dans sa tête.

Le terreau fertile de l’electro

L’illustration n’est pas le seul talent de Krum. L’artiste, féru d’electro, compose aussi des morceaux utilisés comme support d’inspiration à ses dessins. Cet autre moyen d’expression, qualifié de complémentaire, offre à son imaginaire foisonnant un espace inventif supplémentaire. Il mettra par exemple en scène des synthétiseurs traités comme «des ruines Piranèsiennes» dans de gigantesques formats numériques et traditionnels.

«Scénarios et sonorités se bousculent en permanence dans ma tête», note le quadragénaire jamais à court d’idées, même s’il juge important d’apprendre à calmer le jeu, à savoir profiter des vacances. «Pas toujours simple en tant qu’indépendant. Mais les pauses s’avèrent également bénéfiques. De l’ennui vient la création», affirme cet être sensible, solitaire et secret qui quitte rarement son atelier. «Je suis un peu un ours. Quand je commence une illustration, j’en oublie jusqu’à manger, boire, totalement investi dans mon activité. Aussi, j’apprécie les invitations qui me poussent à sortir de chez moi», sourit Krum, pour qui dessiner se révèle «méditatif». «Il y a une forme d’automatisme qui s’instaure. Le crayon travaille tout seul», poursuit celui qui n’imaginerait exercer aucun autre métier au monde, même si sa viabilité peut se révéler «en dents de scie». Cette existence un rien bohême est appréciée du dessinateur que le costume de fonctionnaire rebute, et dont la passion plonge ses racines dans l’enfance.

Barrage à l’angoisse

Gamin déjà, Krum noircit les pages. Une façon pour le gosse introverti d’alors – biberonné aux BD, jeux vidéo et à la musique des seventies avec des figures de proue comme Klaus Schulze et Tangerine Dream – de communiquer, d’aller vers les autres. «Ce moyen d’expression mène à la rencontre.» L’illustration agit encore comme vecteur de sérénité pour cet angoissé menacé par les emballements de son imaginaire. «J’ai tendance à me faire des mauvais films, notamment sur ma profession et les risques liés à l’intelligence artificielle», confie le créatif qui, après avoir fréquenté deux ans l’école des Beaux-Arts en Valais, a préféré se former en autodidacte. Démarche semblable en musique, appréhendée intuitivement, sans passer par l’apprentissage du solfège même s’il s’évertue aujourd’hui à mieux maîtriser les accords.

Depuis ses premières expositions en 1999 intitulées Absurdopolis, l’auteur n’a cessé de confirmer son talent, décrochant différents prix, publiant aux Editions Hélice Hélas L’Au Dessus, son premier album déjà plusieurs fois réédité, recevant régulièrement des mandats pour illustrer des magazines, des jeux de rôle ou des jeux vidéo. Quelques années après la parution en 2015 de O2, une BD sans paroles et contemplative qui rencontre un très bon accueil de la critique, il crée le Porte-Rêves. Un fanzine où, associé à d’autres dessinateurs, il narre les histoires d’un personnage qui lui ressemble, «les possibilités financières en moins». Un protagoniste à l’imagination débordante... Dans les projets en cours, il y a aussi celui du Marcheur, le récit d’un robot post-apocalyptique évoluant dans un format de cases verticales publié sur Instagram et qui sortira cette année dans une version papier...

Des rêves pour de vrai

Pour se ressourcer, Krum privilégie les balades en forêt et les discussions avec son entourage «jusqu’à un certain point». Toujours ce côté sauvage qui finit par prendre le dessus sur cet homme timide adorant les fonds marins, les phares, se balader sous la pluie – et donc sans grand monde autour de lui – autant qu’il déteste la foule, le bruit, ou encore attendre. Une liste en vrac, non exhaustive, à laquelle on peut ajouter la passion du dessinateur pour l’histoire et l’archéologie; son amour du cinéma et l’admiration particulière qu’il porte au comédien Jean Rochefort ainsi qu’un goût prononcé pour l’absurde et l’art brut, «stimulant les envies de création». Sans croyances particulières, le Vaudois est néanmoins sensible aux questions d’énergie et estime «qu’on attire les gens qui nous correspondent, des personnes vraies quand on l’est soi-même». Enfin, au chapitre de ses peurs, rien n’inquiète davantage Krum que la disparition du rêve et des gammes d’émotions variées qu’il charrie au profit d’un pis-aller «aseptisé, rose bonbon ou convenu». Aussi invite-t-il chacun, en guise de mot de la fin, à ne pas oublier de rêver, regrettant que trop de gens omettent de regarder par la fenêtre du train ou de lever le nez vers le ciel...

Informations supplémentaires sur: absurdopolis.com