Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Vert demain

Portrait de Julia Steinberger.
© Thibault Schneeberger

«Il est inutile de se demander si l’on est optimiste ou pas. Il faut agir» estime Julia Steinberger sur la question climatique.

Docteure en physique, professeure à l’Université de Lausanne et autrice principale du 6e rapport du GIEC, Julia Steinberger milite sur plusieurs fronts. Echo à sa fibre écologiste

«Je n’arrive pas à savoir si vous parlez des araignées ou du capitalisme», s’exclame Julia Steinberger, 46 ans, questionnée sur ses peurs. Sans se départir de son sens de l’humour, la docteure en physique, professeure à l’Université de Lausanne et autrice principale du 6e rapport du GIEC, donne volontiers son avis, souvent critique, sur les politiques climatiques et sociales actuelles. Un ton engagé qui caractérise bien son caractère combatif. «Notre défi actuel est de protéger la vie sur Terre. Nous sommes face à un problème bien pire qu’une ère glacière.» Enseignant les enjeux sociétaux liés à l’impact des changements climatiques à l’Institut de géographie et durabilité de Lausanne, Julia Steinberger précise: «Dans la vie, on m’a souvent claqué la porte au nez. Je me réjouis de voir qu’aujourd’hui, les questions touchant à mon domaine se retrouvent sur le devant de la scène.» Cette activité ne représente toutefois qu’une part infime de son travail à l’Université. Parallèlement, la scientifique lit les recherches de ses collègues et en mène elle-même. Seule mais aussi accompagnée des étudiants doctorants qu’elle supervise. Une tâche importante pour celle qui, jeune, conserve un souvenir amer de son parcours universitaire.

Une histoire de famille

En 1994, sur le conseil de ses parents d’origine américaine, Julia Steinberger part effectuer un bachelor en physique et en mathématiques au sein de la renommée Brown University, à Providence, aux Etats-Unis. «Je voulais ensuite revenir à Genève mais mon diplôme n’était pas reconnu en Suisse», raconte Julia Steinberger, qui finit alors par trouver une place de doctorante au MIT (Massachusetts Institute of Technology) à Cambridge, aux Etats-Unis. Une mauvaise expérience dont elle garde, aujourd’hui encore, la trace. «On attend un travail immense des doctorants. L’enseignement au MIT était, à bien des égards, inefficace. J’ai rencontré plusieurs problèmes avec mes directeurs de thèse. Ils voulaient que je sois uniquement publiée dans la revue scientifique la plus cotée. Mes résultats, moins glorieux, ne comptaient donc pas à leurs yeux.» Son titre de docteure en physique en poche, elle finit par retourner en Suisse en 2004. Et fait une croix sur le monde académique, déçue par son fonctionnement mais aussi pour des raisons familiales. «En rentrant, je me suis occupée de ma mère et de mon père malades.» Ses parents, Julia Steinberger en parle des étoiles dans les yeux. Le sourire sur les lèvres. «La physique, c’est une histoire de famille. Mes parents ont été recrutés au CERN après la Seconde Guerre mondiale puis, en 1988, mon père a reçu un prix Nobel. Quand on le félicitait, il tenait toujours à réparer la mémoire collective en mettant en avant les femmes qui n’avaient pas pu obtenir de prix en raison de leur sexe. Grâce à eux, je n’ai jamais trouvé bizarre qu’une fille soit intéressée par ce domaine», souligne celle qui a aussi une forte fibre féministe.

Engagement citoyen 

«Mon père avait toujours le sentiment qu’il pouvait influencer le cours des choses.» Un trait de caractère transmis à sa fille, aujourd’hui l’une des autrices principales du 6e rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat). «Le GIEC est une grosse machine organisée de manière très hiérarchique. Nous nous chargeons de résumer les études actuelles sur le climat.» Un travail que Julia Steinberger estime insuffisant. Les scientifiques devraient, d’après elle, soutenir publiquement les mouvements citoyens. «Il faut arrêter de croire que l’information scientifique est neutre. Nous sommes sur un terrain politisé par l’industrie fossile depuis des décennies.» Une raison qui a poussé Julia Steinberger à rejoindre le mouvement d’Extinction Rebellion. Participant à de nombreuses actions du groupe, elle offre également son expertise en tant que scientifique. «XR a une forte influence sur les politiques actuelles. Grâce à cette organisation, le concept d’urgence climatique a atteint une légitimité sociale.» Mais tout avance à petits pas. La militante, en perpétuel mouvement, s’agace de cette inertie. «Les personnes sont souvent prisonnières d’un schéma de pensée et n’évoluent pas.»

De fil en aiguille

Admirative de Greta Thunberg et de la scientifique Kate Marvel, Julia Steinberger préfère aux discussions stériles l’action. «Il est inutile de se demander si l’on est optimiste ou pas. Il faut agir.» Mais de quelle manière? «Décroître, en repensant notre système économique. Il faut entraîner les politiques de notre côté, ne plus les supplier à genoux.» Un processus dans lequel elle est impliquée depuis des années. Notamment à travers un grand projet intitulé «Living Well Within Limits » (Vivre bien à l’intérieur des limites planétaires, ndlr). «Nous arrivons bientôt au terme de ce projet, mené en collaboration avec d’autres collègues. Nous sommes parvenus à expliquer quels sont les facteurs qui permettent à des sociétés d’avoir de bons acquis sociaux, tout en consommant moins.» Un projet passionnant parmi d’autres, pour cette assoiffée de nouveautés. Julia Steinberger envisage aussi d’éditer bientôt un livre sur lequel elle travaille, avec d’autres collègues, depuis une année et demie. «Notre but? Partager nos recherches pour apporter, de manière simple, des pistes de réflexion et d’action face aux problèmes politiques, sociaux et économiques actuels.» Au milieu de ses nombreux engagements, Julia Steinberger est également mère d’un petit garçon de 8 ans. Et raconte qu’ils se sont mis, pendant le confinement, à la couture. «On a fait des sacs ou des masques. Dans le monde académique, on prend des années à obtenir des résultats. Avec la couture, deux heures suffisent», sourit la quadragénaire. Au fil de son histoire, Julia Steinberger dévoile une femme aux multiples facettes. Engagée, passionnée et ambitieuse. Une voie à suivre.